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Architecture - Histoire générale - Monde - Histoire de l'art André Stevens Architecture de terre et Patrimoine mondial Missions en Terres d'argile
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Reporticle : 153 Version : 1 Rédaction : 01/04/2014 Publication : 25/11/2015

PORTE II. Le projet « Light Umbrella » à Babylone en Irak : une création au secours de la conservation.

Introduction

Fig. 62 – Le temple d’Ishtar à Babylone, recouvert par une structure textile de protection. Projet et dessin : André Stevens, 1979.
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Fig. 62 – Le temple d’Ishtar à Babylone, recouvert par une structure textile de protection.

Après une période de l’archéologie consacrée davantage à l’analyse scientifique du site et à la sauvegarde des détails de son décor, une nouvelle tendance se dessine parmi les responsables des départements culturels. Parallèlement aux opérations de sauvetage, les autorités concernées envisagent, la plupart du temps, l’aménagement et la mise en valeur du site, en vue d’un meilleur impact sur le public. Le site n’appartient plus aux seuls archéologues ou chercheurs : des architectes, des artistes, des plasticiens, des auteurs d’événements tentent à présent de lui donner une nouvelle signification (52). Suite aux multiples débats tenus ces dernières années, il ressort que l’un des soucis majeurs des départements d’antiquité ou du tourisme est de faire parler un site – par exemple, en terre crue, site fragile par excellence – au travers des structures existantes, en dehors de toute construction prêtant à confusion et non intégrée au site à respecter. En d’autres mots, comment tirer parti d’un héritage culturel en l’associant aux préoccupations de notre temps, par le moyen d’interventions contemporaines de qualité ? En 1979, après avoir visité les principaux sites archéologiques d’Irak, l’auteur proposa au Service des Antiquités l’installation d’une structure textile de protection pour le temple d’Ishtar à Babylone.

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    Etat des lieux. Désolation et protection minimale.

    Fig. 64 – Patio du temple sud du Tell Kannâs, site de Habuba-Kabira sur l’Euphrate. Dessin : André Stevens.
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    Fig. 64 – Patio du temple sud du Tell Kannâs, site de Habuba-Kabira sur l’Euphrate.
    Fig. 65 – Temple sud du T.K., détail du jeu des niches et redans. Dessin : André Stevens.
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    Fig. 65 – Temple sud du T.K., détail du jeu des niches et redans.
    Fig. 66 – La grande Mosaïque de chasse, découpée en panneaux, ramenée par le professeur Fernand Mayence et exposée dans la salle d’Apamée aux Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles, inaugurée le 18 mars 1933.
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    Fig. 66 – La grande Mosaïque de chasse exposée dans la salle d’Apamée aux Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles, inaugurée le 18 mars 1933.
    La grande Mosaïque d’Apamée.

    Le 18 mars 1933, le roi Albert Ier et la reine Elisabeth de Belgique inauguraient la « Salle d’Apamée » aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles. Outre la reconstitution d’une partie de la grande Colonnade, on y découvrait la grande Mosaïque de chasse (13 m sur 8,50 m) que le professeur Fernand Mayence venait de ramener intacte au pays (54). Datant des dernières années du Vème siècle ou du début du Vème siècle de notre ère, elle provenait de l’édifice dit au triclinos (55).

    Dans le cas du site de Tell Kannâs le long de l’Euphrate en Syrie – fouilles de sauvetage – il n’était pas question d’entreprendre des travaux de conservation des structures architecturales, comme par exemple le « réensablement » préconisé par certains, lors des fins de mission. Seuls les relevés architecturaux entamés aussitôt après dégagement comme les séances de photographie entreprises dans de bonnes conditions de lumière, furent à même de fixer sur papier ou pellicule, le dernier état d’une construction avant sa rapide destruction au contact des éléments naturels. Les études scientifiques permettront ensuite de suggérer d’éventuelles reconstitutions en maquette ou en dessin (53). Les rapports, publications et expositions, deviennent alors une forme de conservation, non pas des structures authentiques, mais bien de leur mémoire.

    Jean Helbig, dans un numéro de la revue Clarté de juin 1938 (56), terminait son article par « Quand on songe qu’un mètre carré de cette mosaïque comporte en moyenne 10 000 petits cubes et qu’une surface de 10 m de côté en compte un million environ, on demeure stupéfait devant l’activité formidable que représente l’ensemble des décors en mosaïques de la ville d’Apamée… Le transport de cette mosaïque, de Syrie en Belgique, ne s’est pas fait sur des roulettes ! Il a fallu la diviser en tranches après avoir relevé cube par cube chaque bande de découpage, coller chaque fragment sur des toiles soutenues par du béton, détacher le tout du sol, emballer les panneaux dans 75 grandes caisses… et refaire, à l’arrivée au Musée, tout ce travail en sens inverse » (57). La montée des eaux de l’Euphrate, suite à la mise en eau du lac Assad, provoqua l’abandon de nombreux villages, les habitants récupérant les rondins et les linteaux en bois, parfois même les briques crues si le temps le leur permettait. Le site de Arouda, à une vingtaine de km au nord de Habuba Kabira Kannâs et dominant la vallée de l’Euphrate, ne fut pas immédiatement concerné par cette montée. Deux temples situés sur les flancs de la montagne présentaient les mêmes signes d'érosion, lors du dégagement entrepris par une mission hollandaise, au début des années 1970. Dans l’intention de freiner la dégradation des parois et dans l’attente de mesures plus définitives, les responsables décidèrent de recouvrir les structures par un enduit traditionnel en terre couvert de chaux. Le site bénéficiant d’une situation exceptionnelle méritait que l’on prit des mesures de protection élémentaires.

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      Fig. 69 – Palais de Nabopolassar et Nabuchodonosor II à Babylone. Cours et entrepôts (pseudo-Jardins suspendus) à l’angle nord-est. L’Art antique du Proche-Orient, P. Amiet, Mazenod, Paris, 1977, p. 511.
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      Fig. 69 – Palais de Nabopolassar et Nabuchodonosor II à Babylone. Cours et entrepôts (pseudo-Jardins suspendus) à l’angle nord-est.

      A Mari, non loin de la frontière irakienne et toujours sur l’Euphrate, une tentative originale de protection fut réalisée en 1975. Une partie du palais présargonique datant de 2400 av. J.-C., dont les murs s’élevaient encore jusqu’à 5 ou 6 m, fut recouverte par une toiture plate en éléments modulaires de plastique posés sur une charpente métallique, reconstituant ainsi l’espace principal du sanctuaire où différents niveaux d’occupation, dégagés par une mission française, restent visibles. Les montants furent ancrés dans la structure authentique, tandis que le drainage des eaux de toiture pose un problème tout autour de la partie protégée. On assiste en outre à un assèchement prématuré des parois qui tombent en poussière. Enfin, cette toiture plate se prête au passage d’animaux comme aux jeux des enfants qui n’hésitent pas à s’y promener, causant d’irrémédiables dégâts. La maintenance d’une telle structure nécessite des crédits supplémentaires pour les réparations inévitables. Néanmoins, il s’agit d’un essai intéressant d’une structure contemporaine en milieu archéologique, respectant l’environnement par une intégration plus ou moins neutre, instaurant une forme de coexistence entre les structures nouvelle et ancienne, ce qui aura permis d’analyser sur place les effets positifs et négatifs d’un tel système de protection (58).

      « Babel : part majeure de notre héritage culturel ; Babylone appartient à toutes les nations », proclament des pancartes à l’entrée des ruines de l’ancienne capitale de la Chaldée. Le site de Babylone, dont les principaux vestiges datent de Nabuchodonosor II (600 av. J.-C.) fut l’objet de lourds travaux de reconstruction des remparts, entreprise de prestige. Des briques industrielles furent utilisées pour la masse de l’ensemble, tandis que des briques mi-cuites constituaient l’enveloppe du mur.

      Fig. 70 – Le temple d’Emah reconstruit à Babylone dans les années 1960.
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      Fig. 70 – Le temple d’Emah reconstruit à Babylone dans les années 1960.

      Un édifice majeur mérite le détour. Dans les années 1960, le temple d’Emah a été remonté sur les lieux mêmes de son emplacement d’origine. On utilisa la brique crue pour les murs et du béton armé sur des nattes et rondins de bois pour la toiture. La reconstitution donne une image fidèle de ce que pouvait être un temple à Babylone. L’ensemble massif, rehaussé par le jeu des tours en façade, abrite des espaces organisés autour d’un patio de lumière au décor sobre et élégant, lieu le plus frais du site en été. En octobre 1979, un angle s’écroula sous le poids de la couverture de béton, pendant que les trois autres se fissuraient (59). La reconstruction totale à l’identique autorise la pleine perception des volumes et des espaces d’origine (60). La porte d’Ishtar, aboutissement de la voie processionnelle de 900 m de long, fut remontée au musée de Pergame à Berlin. Ses bas-reliefs en briques émaillées et colorées en font l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture néo-babylonienne, aujourd’hui protégé et admiré dans ce qu’on appelle « l’Ile des musées », site inscrit en 1999 sur la Liste du Patrimoine mondial.

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        Fig. 73 – Le palais de Sennachérib à Ninive, recouvert par des plaques ondulées. Une solution provisoire qui devient définitive.
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        Fig. 73 – Le palais de Sennachérib à Ninive, recouvert par des plaques ondulées. Une solution provisoire qui devient définitive.
        Fig. 74 – Le palais de Sennachérib, restauré en 1967 et protégé par une structure métallique.
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        Fig. 74 – Le palais de Sennachérib, restauré en 1967 et protégé par une structure métallique.

        Début 1979, les archéologues irakiens mirent au jour le temple de Nabou-sha-haré dans un état remarquable de conservation sur une hauteur voisine de 6 m. Dehors, devant la porte d’entrée encore décorée de niches et de redans, subsiste l’autel extérieur qui servait de dépôt aux offrandes de la population. A l’intérieur, un autre autel est toujours en place dans la pièce centrale du temple dont certaines parois présentaient encore un décor peint. Des mesures provisoires de protection pouvaient être envisagées pour le sommet des murs et le sol en dalles de terre crue. Il n’en était pas de même pour la protection des parois peintes qui comme dans le film Roma de Fellini, peuvent tout à coup disparaître au contact de l’air. De prime abord, le relevé photographique immédiat semble être la mesure la plus appropriée pour fixer le dernier état d’une empreinte en cours de disparition. Le remarquable état de conservation exigerait des mesures exceptionnelles de protection, notamment le recouvrement total du sanctuaire au moyen d’une structure nouvelle, comme le projet Light Umbrella, largement commenté dans la presse belge et étrangère de l’époque (61). A la lecture des communications portant sur la conservation du matériau lui-même, soit en laboratoire soit in situ, il ressort que les recherches menées par le monde scientifique dans ce domaine n’ont pas été suivies de résultats suffisants sur le terrain. Malgré tout, des techniques sophistiquées – injection de produits chimiques ou naturels : éthyle silicate ou jus de cactus –, permettent de consolider in situ des parois de faible épaisseur, des frises ou des peintures murales par exemple, une solution que l’on ne peut envisager à grande échelle.

        Fig. 75 – Le site d’Assour sur le Tigre, vu depuis le sommet de la ziggourat.
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        Fig. 75 – Le site d’Assour sur le Tigre, vu depuis le sommet de la ziggourat.

        La fouille archéologique, mettant au jour des vestiges millénaires en briques, contribue d’une certaine façon, à leur destruction accélérée. S’agissant de constructions dont il ne reste rien des toitures, mais dont les épais murs sont parfois remarquablement conservés – sur 6 m de hauteur à Babylone –, les responsables locaux parent au plus pressé. Soit la reconstruction à l’identique où l’édifice apparaît comme neuf, soit l’enrobage des vestiges d’origine au moyen d’un enduit imperméable de protection – c’est le vestige qui apparaît alors comme neuf –, soit le recouvrement de certaines parties par des matériaux de remploi : plaques ondulées, charpente métallique, pièces de bois, bouts de rail, sans aucune préoccupation d’ordre esthétique (62). Dans ce dernier cas, la solution provisoire devient définitive, offrant au visiteur le triste spectacle d’une ruine recouverte par une « autre ruine », faussant toute appréciation sérieuse des vestiges d’origine. Indépendamment de leur environnement, les sites archéologiques en briques : Mari en Syrie, Assour et Babylone en Irak, sont rarement spectaculaires, à part ceux dont les édifices ont été entièrement reconstruits, une infime minorité. Le visiteur semble à chaque fois déçu, tant il est difficile, pour un non-spécialiste, de s’y retrouver dans un dédale de murs, de parois de fouilles, de tas de déblais. Rien d’attirant au départ et pourtant, en ce qui concerne les sites importants de Mésopotamie ou de la vallée de l’Indus, leur ancienneté peut remonter jusqu’à plus de 5000 ans.

        Technologie innovante et patrimoine en danger.

        Fig. 76 – Le temple d’Ishtar à Babylone et la porte monumentale de Gurguri à Assour. Projet et croquis : André Stevens, 1979.
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        Fig. 76 – Le temple d’Ishtar à Babylone et la porte monumentale de Gurguri à Assour.
        Fig. 77 – Le temple d’Ishtar. Projet et plan : André Stevens.
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        Fig. 77 – Le temple d’Ishtar.

        En 1979, à l’invitation du Service des antiquités d’Irak, après avoir étudié les principaux sites archéologiques du nord de l’Irak, l’auteur a proposé une méthode de protection destinée aux ruines les plus significatives, menacées par de rudes conditions climatiques. L’objectif principal état de créer une structure contemporaine de protection qui rehausserait par le contraste des formes et des matières, la dignité authentique des ruines et de leur environnement. Cette structure légère et tendue se veut le prolongement architectural des formes et espaces originels. Inspirée de la tente bédouine, elle s’élève et s’abaisse en fonction de la hiérarchie des espaces à couvrir, tout en préservant le caractère des ruines conservées ou restaurées (63). Le remplacement de la fonction d’origine – le culte – par une fonction actuelle – la visite – assure le maintien des valeurs spirituelles attachées à la qualité de l’ambiance et leur permet de se révéler au fil des jours plus dignes de l’authenticité des lieux. Le paysage de Babylone, actuellement monotone, serait ainsi ponctué de signes, des « écrins », qui appellent à la découverte de lieux privilégiés. Suite au rapport envoyé au Service des antiquités d’Irak, les responsables irakiens répondirent en demandant à l’auteur d’envisager une coupole de protection en béton. Projet non défendable à ses yeux. L’utilisation de matériaux lourds ne manquerait pas d’occasionner des dégâts irréparables autour du temple lors de sa construction et en cas d’effondrement toujours prévisible, des dommages irréparables aux vestiges que l’on voulait précisément sauvegarder (64). Le système proposé, visant la protection comme la mise en valeur d’un site en principe peu spectaculaire, repose sur la construction d’un vélum, permanent ou transitoire, quasi indépendant des vestiges d’origine et n’altérant en rien l’authenticité des lieux. Il vaut mieux un monument vivant qu’un édifice qui meurt lentement. Dans le cas « Light Umbrella », prolonger la vie d’un site meurtri équivaut à l’apparition d’un objet plastique à la fois protecteur et réanimateur des lieux. Persuadé que la protection et la mise en valeur d’un site archéologique en terre crue relève également de l’architecte contemporain comme de tout créateur, l’auteur s’est employé à défendre une idée nouvelle, à savoir l'édification en milieu archéologique d'une structure réversible de protection et ce, malgré la perplexité des milieux concernés. Outre la barrière « conformiste », l’obstacle reste d’ordre financier; la technique quant à elle est aujourd’hui totalement maîtrisée. Le budget des missions archéologiques étrangères s’amenuise dans bien des cas et ne peut englober les travaux de conservation ou d’aménagement, la prédominance étant réservée à la fouille elle-même. D’autre part, les services nationaux du patrimoine ont en général d’autres priorités réservées à quelques sites prestigieux, en général construits en pierres (65).

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          Marquant le site de repères visuels mettant en évidence un lieu « élu », le projet pallie cette lacune. Loin du gadget de luxe, l’objet plastique nouvellement implanté se veut être l’expression d’une idée radicale, novatrice, volontiers provocante. Le matériau de construction – la brique crue – ou la partie d’un mur en ruine y perdent leur aspect misérabiliste. Les espaces et les formes issus de la nouvelle disposition aérienne, se voient désormais dignement abrités des pluies et aussi des rayons parfois aveuglants du soleil. Un objet de choix s’installe dans le paysage, offrant en quelque sorte un toit à une construction qui l’aurait perdu. Le lieu s’apparente à un « trésor précieux » ; il se visite dorénavant confortablement et respectueusement. Seule une structure textile de protection, une canopée architecturale, par les grandes portées qu’elle autorise, présente un caractère de réversibilité indispensable à ce genre d’intervention : une tente-abri qui ne touche pas physiquement les vestiges, les points d’ancrage étant localisés judicieusement (66). Poussant plus loin l’étude, la nouvelle toiture pourrait refléter en partie le plan, par ses formes qui découlent de l’importance des espaces découverts à la lecture de l’enveloppe aérienne privilégiant ici et là des zones d’ombre ou de lumière.

          Fig. 81 – Le nouveau paysage de Babylone avec les « signes » aériens de reconnaissance. Dessin : André Stevens
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          Fig. 81 – Le nouveau paysage de Babylone avec les « signes » aériens de reconnaissance.

          D’autres sites répartis en Mésopotamie, en Egypte, en Syrie, en Asie centrale, au Pérou ou en Chine, pourraient se prêter à une telle opération, pour autant que les autorités responsables en acceptent l’idée novatrice dans un esprit où conservation et développement vont de pair. Mohenjo-Daro au Pakistan, inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial en danger, fait l’objet d’une campagne internationale pour sa sauvegarde. D’après certains experts, plusieurs groupes d’édifices devraient être mis à l’abri des pluies sporadiques, mais torrentielles. Le projet « Light Umbrella » qui pourrait avoir le soutien moral de l’Unesco, n’est envisageable qu’avec l’assistance du grand mécénat qui trouverait à cette occasion, un terrain idéal pour valoriser son image, tout en contribuant à la sauvegarde du patrimoine culturel de l’humanité. Le projet allie en effet l’utilisation des technologies modernes à la création d’un objet visible dont l’aspect plastique et environnemental préserve le caractère authentique des ruines (67). C’est avec inquiétude que les responsables locaux voient les monuments du passé se détériorer faute d’utilisation rationnelle et donc d’entretien permanent. Le projet contribuerait ainsi à faire vivre un site intensément, ouvrant la voie aux manifestations des industries culturelles d’aujourd’hui : festivals, expositions, défilés, concerts, etc. Si l’expérience est concluante, le système serait en mesure de s’adapter à tout autre site, moyennant des améliorations que seule une expérimentation in situ est capable de nous donner.

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            Le projet « Du neuf sur Terre » : la pyramide de l’an 2020.

            Depuis onze mille ans environ, l’homme utilise la terre crue pour édifier monuments et habitations. L’homme d’aujourd’hui aurait-il perdu le contact élémentaire avecl’argile de ses ancêtres ? La brique comme le pain reste issue des mains (68). En ce début de millénaire, l’occasion nous est donnée de rendre gloire à la terre – l’argile, le limon, la chaux, le sable, la paille –, à l’eau, à l’air et au feu, quatre éléments pouvant rentrer dans la construction d’un édifice en matériaux naturels. Célébrer l’événement par l’élévation d’une pyramide de terre, dédiée aux éléments les plus courants de notre planète, mais aussi au souvenir de ceux qui les ont cotoyés au jour le jour depuis l’arrivée de l’être humain, une certaine Lucy l’éthiopienne, née il y a 3 000 000 d’années, à 200 000 ans près.

            Fig. 84 – Une pyramide de briques crues, dédiée aux 90 milliards d’êtres humains passés sur terre. Pyramides inversées et Terres d’avenir. Projet et croquis : André Stevens.
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            Fig. 84 – Une pyramide de briques crues, dédiée aux 90 milliards d’êtres humains passés sur terre. Pyramides inversées et Terres d’avenir.
            Fig. 85 – Les vestiges du stupa de Yar – oasis de Tourfan, Chine – dans le globe ruiné du pavillon des USA à Montréal.
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            Fig. 85 – Les vestiges du stupa de Yar – oasis de Tourfan, Chine – dans le globe ruiné du pavillon des USA à Montréal.

            En un lieu précis, s’élèvera le « moteur » du patrimoine bâti : la mémoire des 90 milliards d’humains passés sur terre. La ville fugitive, une réserve d’abris provisoires en terre étrangère, occupera une zone internationale ou déclarée telle, loin des nationalismes au goût du jour. Un lieu qu’aucune nation ne pourra s’approprier. Sept cent cinquante mille personnes de tous horizons, réunis autour des droits et des devoirs de l’homme, porteront leur pierre – en l’occurrence une brique crue – à la construction de la pyramide, chacune passant un certain temps des cinq années nécessaires au succès du projet. Vingt cinq mille individus seraient présents ensemble pendant environ deux mois sur le site. Autant d’habitants occasionnels, de passants voyageurs, au contact d’une boue en forme de brique, qui s’en ira sécher au soleil avant de rejoindre les lits du temple-pyramide. Un gigantesque chantier pour l’archéologie du futur où l’on ne fera que déterrer la terre pour la remettre en forme. A titre indicatif, la construction d’une pyramide de 100 m de haut et de 150 m de côté à la base, nécessite la mise en œuvre de nonante millions de briques crues, chaque brique représentant la mémoire de mille individus. Chaque homme portant le patrimoine de mille de ses ancêtres.

            Le 25 septembre 2009, paraissait dans le Vif-l’Express l’article Une pyramide pour votre dernière demeure (69) . La journaliste Marieille Mayot écrit : « Ce projet pharaonique, quelque peu utopique, est en passe de se transformer en un vrai concept architectural et économique… il s’agit d’ériger la pyramide la plus haute du monde pour accueillir la sépulture de millions de personnes … Le pari fut lancé par l’écrivain allemand Ingo Niermann et son complice Jens Thiel, entrepreneur et artiste… L’idée de cette vaste nécropole, ouverte à toutes les nations et toutes les religions, a séduit des personnalités comme l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, lauréat en 2000 du prix Pulitzer… Pour un prix modique d’environ 700 euros, chacun devrait pouvoir apporter sa pierre à l’édifice, plus précisément une urne funéraire contenant ses cendres ou un objet matérialisant son souvenir. Ainsi une pyramide formée de 5 millions de pierres « mémoriales » dominerait le paysage de 150 m., dépassant la hauteur de la pyramide de Khéops. A terme, la gigantesque pyramide serait visible de l’espace… Ingo Niermann qui, le premier, a évoqué l’idée d’une pyramide dans une série d’essais, a dès l’origine mis en avant la possibilité de créer des emplois et de revitaliser le tissu économique par l’application du concept … Les reservations sont ouvertes sur Internet et quelque 1200 personnes, issues de 46 pays, se sont déjà inscrites. »

            Notes

            NuméroNote
            52En avril 1988, l’artiste suisse Pierre-André Vuitel monta une installation sculpturale Atlantique Trois Lieux, sur l’esplanade des Sémaphores, point culminant de Rabat. Une place choisie comme lieu historique et culturel. Il s’agissait de trois grandes sculptures formant un ensemble de formes géométriques, volumes et arêtes, offerts à l’espace et à la lumière, palissades blanches enserrées de dunes d’argile rouge. « Cette exposition, selon P.-A. Vuitel, s’inscrit dans un lien étroit entre les œuvres blanches et rouges, la ville blanche et les murailles rouges dominant l’Atlantique. »
            53Une maquette des « temples » du Tell Kannâs fut réalisée par l’auteur à l’intention des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, une commande du Centre d’études et de recherches historiques, épigraphiques et archéologiques en Mésopotamie.
            54Vaute (Paul), Fouiller en Syrie dans les années 1930, la vie et les recherches de Fernand Mayence, directeur des premières missions à Apamée, dans La Libre Belgique, 3/03/1999 ; Moreau (C.), Les étapes du professeur Mayence, dans Le Soir, 7/04/1999.
            55« Parmi les cinq pièces fondamentales des Musées du Cinquantenaire, sur un million de pièces, figure la grande Mosaïque d’Apamée », écrit Claudine Delcourt, ex-directeur général ad interim des MRAH, dans Le Soir du 7 août 2010. Michel Draguet, directeur général ad interim, dans un article de Guy Duplat paru dans La Libre Belgique du 29 juillet 2010, ajoute : « …Il y a, avant tout, un problème d’identité. Il y a des joyaux dans ce musée, mais le parfum général semble ne pas avoir bougé depuis 30 ans, et il est difficile de mobiliser des moyens et de créer une culture interne sans identité claire… »
            56Les mosaïques d’Apamée, dans Clarté, Art et Art décoratif, Architecture, n° 6/06/1938, pp. 7-9.
            57Le 6 février 1937, voici comment Fernand Mayence relate à Franz Cumont, celui qui conçut le projet d’assurer la concession des fouilles d’Apamée à la Belgique, l’arrivée des mosaïques à Bruxelles : « Cher Monsieur Cumont, je crois vous avoir dit dans ma dernière lettre que les 75 caisses de mosaïques d’Apamée étaient arrivées au Musée sans encombre. Il n’a pas été facile, vous le pensez bien, de loger ces lourds et encombrants colis. L’emballage était parfait ; les caisses n’avaient pas souffert du transport ; bref, extérieurement, tout paraissait très bien. Mais il restait un dernier point d’interrogation, et non le moins important. Dans quel état allions-nous trouver les mosaïques ? En attendant de pouvoir entreprendre les travaux d’installation, j’ai fait ouvrir quatre caisses et j’ai le grand plaisir de vous annoncer que les panneaux sont en excellent état ; à peine quelques légers fendillements, d’ailleurs facilement réparables… » Bonnet (Corinne), Fernand Mayence, 49 lettres / 1928-1938, dans Correspondance scientifique de Franz Cumont (2000 lettres), publication de l’Institut historique belge de Rome, Academia Belgica, 1997, p. 312. « …Mais le mauvais sort va frapper le fouilleur d’Apamée. Les bombardements de Louvain pendant la guerre, l’incendie accidentel, en 1946, de l’aile des Antiquités aux Musées de Bruxelles, entraînent la disparition presque totale des carnets de fouille et des documents préparés pour la publication. Mayence doit renoncer à donner les comptes rendus scientifiques de ses travaux… » Verhoogen (Violette), Mayence, dans Biographie nationale, Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Tome trente neuvième, Supplément Tome XI (fascicule 2), Bruxelles, Etablissement Bruylant, 1976, pp. 678-683.
            58Voir la maquette du musée du Louvre et la reconstitution graphique de Christophe Gaggero parue dans les Cahiers de Science et Vie (avril 2010, p. 37), une forme de conservation de l’esprit des lieux hors site, une idée de se rendre compte de l’ampleur de la ville et de son palais.
            59A l’auteur on répondit sur place que c’était Allah qui l’avait voulu ! Par la suite on remplaça le toit en béton par une couverture traditionnelle.
            60En 2002 et durant 10 jours, le festival des arts de Babylone rassembla 46 groupes étrangers et 40 artistes locaux, réunis sur 4 théâtres de plein air, mais aussi dans l’auditoire al-Arsh (trône) et le patio du temple d’Emah, tous aménagés avec la technologie d’aujourd’hui. Ils provenaient d’une vingtaine de pays dont l’Egypte, la Syrie, la Jordanie, la Palestine, la Lybie, les Emirats Arabes Unis, l’Algérie, mais aussi la France, l’Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie, la Finlande, la Suède, la Grande-Bretagne, le Venezuela, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, et enfin la Chine et l’Inde. Parmi les arts représentés, citons le théâtre, l’opéra, le ballet, la musique, le folklore, la danse, la mode. D’autres activités furent organisées comme un colloque scientifique, un symposium sur l’archéologie et la restauration et des séminaires sur l’art et la musique. Restaurants, cafés, librairies et marchés (artisanat populaire) agrémentaient cette manifestation d’une exceptionnelle ampleur.
            61Rahim (S. Abdul), Unesco Expert in Archaeological Preservation in Iraq, dans Baghdad Observer, 5/7/1979. Interview de l’architecte André Stevens (en arabe) dans Al-Jumhuriyah Iraq, 9/10/1979. Burnet (Albert) : Un expert belge consulté pour sauver Babylone et Assour dans Le Soir, 2/8/1979 ; Architecte belge, André Stevens propose de mettre Babylone sous une tente de bédouins, dans Le Soir, 20/12/1979 (cinq colonnes). Een landgenoot in de bescherming van monumenten uit het oude Tweestromenland dans Vlaanderen Erfgoed, n°61, juillet-août 1980, pp. 30-31. Colloque d’architecture méditerranéenne (Marseille), dans Perspectives méditerranéennes, Fondation postuniversitaire interculturelle, Paris, n°12, 12/1982, p. 2. Par la suite, l’auteur publia deux articles dans la presse étrangère, l’un dans Spirit of Enterprise, the 1990 Rolex Award (Bern, 1990) et l’autre dans Leaders Magazine (New York, 1992).
            62A Babylone, le temple d’Ishtar a été reconstruit sur une hauteur de 2 m. Malencontreusement, un enduit trop riche en ciment, appliqué sur des parois trop planes, élimine toute perception de la texture des murs en briques crues. L’ensemble fait davantage songer à un labyrinthe à ciel ouvert où se perd toute hiérarchie des espaces.
            63Une société belge propose un concept exclusif de tentes d’inspiration bédouine à la vente et à la location, des tentes révolutionnaires pour événements extraordinaires. Ces tentes d’une esthétique novatrice, sont disponibles sous une multitude de formes et de coloris attrayants, Leur structure en bois d’eucalyptus permet de jongler avec les formes et de s’adapter à tous les terrains. 100% imperméables grâce à une toile exclusive, elles offrent une acoustique unique et répondent à toutes les normes de sécurité. Publicité parue dans La Libre Essentielle du 07/08/2010. A Paris, Le Louvre a ouvert une riche section consacrée aux Arts de l’Islam. « …En arrivant dans “ce musée à l’intérieur du musée”, on est émerveillé par la “grande voile” de métal et de verre qui recouvre la cour. Avant même l’ouverture du lieu, les métaphores pleuvaient déjà. La plus évidente, vu le contexte, est d’y voir une très grande tente bédouine qui couvre les vitrines. Elle en a l’ondulation et la légèreté. Ou un tapis volant en suspension dans les airs car “ce voileˮ n’est jamais accroché aux façades de la cour, il semble réellement en suspension dans les airs, tenu seulement au sol par huit fines colonnes obliques de 30 cm de diamètre… », Duplat (Guy), Le “tapis volantˮ du Louvre, dans Le Soir, 21/09/2012.
            64Quant au site de Aïn Dara en Syrie, les autorités décidèrent de le recouvrir d’une coupole en béton. Lors du passage de l’auteur en 1994, seuls les montants en béton avaient été enfouis dans le sol et on ne savait toujours pas comment installer la coupole par-dessus les ruines. Sa proposition fut d’enlever au plus tôt les montants qui avaient fait suffisamment de dégâts !
            65En 1980, la firme Stromeyer de Constance établit un devis estimatif du projet de protection du temple d’Ishtar à Babylone au moyen d’une structure textile. Sur base d’une aire couverte de 2000 m2 (40x50 m), l’estimation se montait à 600.000 DM, y compris la réalisation des éléments de la structure au-dessus du niveau des fondations en béton (coût non inclus dans l’estimation), mais sans les taxes et les frais de douane. Ce prix incluait l’élaboration technique comme les calculs statiques, plans d’exécution des mâts et autres pièces comme la membrane. Il faut ajouter à ce devis 30.000 DM pour l’avant-projet avec la réalisation d’une maquette, 42.000 DM pour le transport de 40 tonnes, des pièces vers Babylone au moyen de trois poids lourds et 50.000 DM pour la surveillance du chantier par deux spécialistes pendant un mois. En plus, le client met à la disposition de l’entrepreneur 20 manœuvres et l’équipement nécessaire au montage de la structure.
            66« …En d’autres termes, la protection totale des monuments – lesquels pourraient avoir la taille d’une ville – ne pourrait être assurée que par leur mise sous cloche au sein de laquelle température et humidité seraient maintenues constantes. On se souviendra qu’un ingénieur avait suggéré de placer entièrement l’Acropole d’Athènes sous un globe de plexiglas pour le soustraire à la pollution atmosphérique. Les propositions d’André Stevens n’ont pas ce caractère utopique. Ayant observé les effets protecteurs, d’une part de la toile de certaines araignées, et de l’autre de la grande tente des Bédouins, l’architecte préconise… » Burnet (Albert), Le Soir, 20/12/1979.
            67Le nouveau terminal de Djedda en Arabie Saoudite, entièrement recouvert par une structure textile conçue par un groupe d’architectes américains, s’est vu attribué en 1983 le prix d’architecture Aga Khan. D’autre part, l’architecte Frei Otto est resté célèbre pour ses réalisations à Montréal : le pavillon de la RFA pour l’exposition 1967, en collaboration avec le constructeur allemand Stromeyer et à Riyad en Arabie Saoudite : le Club des diplomates. En milieu historique, on connaît peu de réalisations textiles, à part à Bad Hersfeld : la protection d’une église en ruine (1968) et à Nîmes où les arènes ont été recouvertes par un vélum amovible.
            68« …Deux cents mètres de croûtes de maison à traverser de votre pensée et deux cents mètres d’altitude à conquérir pour une solution d’urbanisme. Sur ce bord de mer, pétrir une argile, potentiel assoupi dans le site, la pétrir de splendeur et interdire – oui, à temps et d’urgence – que pour des œuvres basses d’argent, elle ne soit pétrifiée de bêtise et d’erreur… » Le Corbusier dans Poésie sur Alger, p. 44.
            69A la question « Quels sont les architectes avec lesquels vous vous sentez en phase ? », Renzo Piano, dans un article du Monde du 8 mars 1994, répondit : «  Je suis très mauvais critique. Dans une architecture, il y a toujours quelque chose qui me plaît. Et j’ai la mauvaise-bonne habitude de tout voler. J’ai emprunté à Jean Prouvé, je vole chez Jean Nouvel, chez Paul Andreu, chez Rogers, mais aussi chez les hommes de sciences, les mathématiciens, les anthropologues, les sociologues – pas trop – et même les journalistes. Il n’y a que les imbéciles qui pensent qu’il ne faut pas voler. Que voler, c’est copier. Notre science, comme la musique, est faite de pillage systématique, et c’est bien comme cela. »