00:00:00 / 00:00:00


FRANCAIS - ENGLISH
Architecture - Histoire générale - Monde - Histoire de l'art André Stevens Architecture de terre et Patrimoine mondial Missions en Terres d'argile
Junior
Amateur
Expert
Reporticle : 153 Version : 1 Rédaction : 01/04/2014 Publication : 25/11/2015

PORTE XIII. Les haciendas des Andes centrales. Un patrimoine euro-américain en Equateur, en Bolivie et au Pérou.

Avant-propos

Fig. 299 – Le volcan Cayambé sur la route de Zuleta, Equateur.
Photo André StevensFermer
Fig. 299 – Le volcan Cayambé sur la route de Zuleta, Equateur.

Entre 1984 et 1997, l’auteur réalisa cinq reportages dans les Andes centrales, principalement en Equateur, mais aussi au Pérou et en Bolivie. Tout commenca en 1982, quand le Secrétariat d’Etat à la coopération décida de l’envoyer à Quito, pour une mission de trois mois, afin d’assister l’Institut national de la culture de l’Equateur. Ce n’est qu’en septembre 1984 qu’il put enfin arriver à destination et commencer le premier inventaire des grandes fermes coloniales des Andes (216). L’auteur y retourna à deux reprises pour compléter ses recherches et surtout bénéficier d’un meilleur climat pour les prises de vue photographiques. De retour en Belgique, il contacta la Commission européenne pour une exposition à présenter à Bruxelles. La Commission fut d’accord de l’aider financièrement, à condition qu’il étende son projet à d’autres pays andins. Ce qui fut fait au printemps 1997, quand il réalisa un reportage sur les haciendas du Pérou et de Bolivie, avec le soutien d’institutions culturelles nationales et régionales. Un total de six mois passés dans la campagne andine, une aventure humaine hors du commun.

Introduction

Fig. 300 – L’hacienda Zuleta, l’une des exploitations rurales les plus étendues de l’Equateur.
Photo André StevensFermer
Fig. 300 – L’hacienda Zuleta, l’une des exploitations rurales les plus étendues de l’Equateur.

La formidable barrière que constituent les Andes n’a jamais été un obstacle, ni au peuplement, ni à la circulation. En Colombie, en Equateur, au Pérou, en Bolivie, des hommes vivent jusqu’à 4000 mètres d’altitude, grâce à la proximité des Tropiques. L’opposition des versants comme les effets climatiques de la latitude ont créé une succession de paliers entre lesquels les habitants ont implanté des réseaux d’échange. Partie de cette cordillère, les Andes équatoriennes protègent une longue série de bassins dont les plus fertiles sont ceux de Quito et de Cuenca. Tout ce couloir se situe entre 2600 et 3200 mètres d’altitude et représente un décor de rêve pour l’implantation d’haciendas, grandes exploitations rurales, fruit de l’hispanisation et de l’évangélisation des terres envahies au XVIème siècle par les Conquistadors (217). Ces fermes-villas se retrouvent à des altitudes plus élevées, dans les vallées proches de Cusco (3400 m) au Pérou et dans celles proches de Potosi (3900 m) en Bolivie, où « elles dorment telles d’inaccessibles merveilles accrochées aux plis andins » selon l’expression de Jacques Franck, ex-ambassadeur de Belgique à Quito. Parmi elles : la vallée sacrée des Incas au Pérou et les vallées insoupçonnées de l’Altiplano bolivien.

    1 image Diaporama
    Fig. 302 – L’hacienda Aynan : une ferme étagée dans la vallée sacrée de l’Urubamba, sur la piste de l’Inca vers Machu Picchu, Pérou.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 302 – L’hacienda Aynan : une ferme étagée dans la vallée sacrée de l’Urubamba, sur la piste de l’Inca vers Machu Picchu, Pérou.
    Surexploitation.

    Début 1980, on estima que 50 à 60% de la population de l’Equateur vit, directement ou indirectement, des activités agricoles, allant des cultures primitives réalisées par les communautés indiennes des montagnes jusqu’aux grandes exploitations du littoral. Dans les Andes, la surexploitation, parallèlement au déboisement provoqué par les Espagnols et à la perte des structures sociales et culturelles, correspondant aux modes traditionnels de conservation des sols, a entraîné un appauvrissement considérable de la productivité. On considère que la plupart des terrains cultivés dans les Andes équatoriennes sont plus ou moins érodés et beaucoup devraient cesser d’être exploités pour essayer d’être régénérés. Malheureusement, des projets de coopération peuvent tourner au drame : une nouvelle plantation d’arbres indigènes qui quelques années après, partit en fumée !

    Demeures et domaines coloniaux. Les haciendas La Merced et Ibarra.

    Fig. 303 – L’hacienda Tilipulito, un vaste édifice avec galerie à arcades, chapelle à double clocher et patio-jardin, Latacunga, Equateur.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 303 – L’hacienda Tilipulito, un vaste édifice avec galerie à arcades, chapelle à double clocher et patio-jardin, Latacunga, Equateur.
    Fig. 304 – L’hacienda La Merced (1643) dans la vallée des Chillos, le bassin fertile de Quito. Les quatre ailes entourent le patio reflétant l’authenticité des lieux.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 304 – L’hacienda La Merced (1643) dans la vallée des Chillos, le bassin fertile de Quito. Les quatre ailes entourent le patio reflétant l’authenticité des lieux.

    Il y a une trentaine d’années, se recensaient dans la province de Pichincha aux environs de Quito, plus de trois cents cinquante domaines terriens, enserrant pour la plupart la casa de hacienda, la maison du maître. Aujourd’hui encore, elles se terrent dans un paysage de bocages où les allées d’eucalyptus centenaires, les pâturages, les terres de culture, les collines, les vallées et les volcans agrémentent les perspectives d’un environnement équatorial de toute beauté, tour à tour délicat et grandiose (218).A la suite de la colonisation après 1534, la nouvelle société organisée autour de l’Audience de Quito de 1563, vécut en fonction de l’encomienda, la mita et les obrajes (219). Elle facilita l’établissement de grands domaines fonciers – latifundia – avec leurs formes de servage et l’imposition souvent superficielle de nouvelles valeurs et habitudes. Cette prospérité favorisa la prolifération d’une architecture plus fidèle aux normes et modèles de la métropole, contrairement à ce qui s’est passé au Pérou et en Bolivie, lesquels développèrent des formes de plus en plus métissées. Quant à l’économie des haciendas, les réformes agraires de ces cinquante dernières années auraient réussi à éliminer pratiquement les traditionnels rapports féodaux qui asservissaient l’Indien et son maître.

    Qu’en est-il des communautés indigènes aujourd’hui ? Parmi d’autres personnalités, retenons les propos de Mgr Corral, évêque du diocèse de Riobamba jumelé avec la paroisse de Louvain-la-Neuve : « La particularité de mon diocèse est de comprendre de nombreuses communautés indigènes vivant dans une grande pauvreté à proximité des sommets des montagnes, avec en outre le volcan Chimborazo qui surplombe le diocèse. Pendant plus de cinq siècles, les communautés indiennes subirent le joug des populations métisses et l’Eglise fut longtemps du côté du pouvoir. Ce fut donc une révolution au sens propre du terme lorsque Mgr Proaño, après avoir visité les communautés indiennes, prit fait et cause pour elles en se jurant de leur rendre leur dignité. Le diocèse a développé une intense action pastorale et sociale pour accompagner les communautés. Comment ? En soutenant les coopératives agricoles mais aussi en formant des catéchistes et des animateurs pastoraux qui ont développé les infrastructures sanitaires ou encore l’accès à un meilleur logement… Des projets pas nécessairement gigantesques mis en place avec la paroisse de Louvain-la-Neuve, tels l’édification d’une maison des étudiants, un centre de tissage à Cacha, la construction d’une chapelle ou encore la traduction de la Bible en quechua sans oublier la création d’écoles radiophoniques ou de pharmacies ambulantes » (220).

    Avec la disparition de la main d’œuvre bon marché, tout le système économique a changé. Les haciendas se sont reconverties à l’élevage et à la production laitière qui exigent moins de salariés. Les habitations et constructions diverses en subirent aussi les conséquences. La réforme agraire de 1953 en Bolivie et celle de 1969 au Pérou contribuèrent à la destruction, puis à l’abandon de nombreuses casas de hacienda, devenues témoins inutiles d’une époque révolue. A ces causes d’origine humaine, il faut ajouter les calamités naturelles comme les tremblements de terre et les pluies diluviennes engendrées par le phénomène El Niño (221). Distinguons en Equateur deux haciendas, l’une conservée dans toute son authenticité, l’autre disparue.

    Fig. 305 – L’hacienda La Merced, Equateur. Plan : A.S. et l’Institut national du patrimoine culturel de l’Equateur. 1. Entrée. 2. Galerie de pourtour. 3. Cuisine. 4. Salle à manger. 5. Bibliothèque, séjour. 6. Chambre. 7. Salle de bain. 8. Remise. 9. Chapelle. 10. Bureau. 11. Grenier. 12. Terrasse couverte. 13. Terrasse sur remise. 14. Galerie vitrée, séjour. 15. Bureau. 16. Tour à étage.
    Fermer
    Fig. 305 – L’hacienda La Merced, Equateur.

    Au sud-est de Quito, la vallée des Chillos avec ses nombreuses sources thermales, bénéficie d’un climat doux et agréable (222). Comme Tumbaco, elle est un centre de villégiature pour les gens de la capitale. Nombreuses y sont les haciendas réparties autour des deux principaux centre : San Rafael et Sangolqui. Parmi elles, la plus authentique et la mieux conservée : l’hacienda La Merced. Construite en 1643, comme l’indique une pierre encastrée au-dessus de la porte d’entrée, elle a appartenu aux Mercedarios, religieux de l’Ordre de la Merci. Dans les années 1980, la propriété privée servait à l’occasion de lieu de séminaires pour diverses associations quiténiennes. Probablement l’une des plus anciennes de l’Equateur, restaurée en 1931 et soigneusement entretenue par sa propriétaire, elle a conservé toute son authenticité hormis quelques changements mineurs, dans un environnement naturel où chemins empierrés, bois d’eucalpytus et murs de clôture en terre crue s’intègrent harmonieusement. L’un de ces murs longeant la voie d’accès, est surplombé par le massif débordant d’une haie de conifères taillés, plantée à l’intérieur de la propriété : un exemple rare de mise en valeur d’une clôture combinant le végétal avec la terre locale.

    Fig. 306 – L’hacienda La Merced, façade principale.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 306 – L’hacienda La Merced, façade principale.

    Le plan très caractéristique affecte la forme d’un quadrilatère dont les ailes entourent un vaste patio empierré, bordé de galeries. Une série de marches en « amphithéâtre », adaptées à la légère pente du patio, donnent accès à la galerie de pourtour, communiquant ainsi avec les différentes pièces de l’habitation. Toutes les fonctions propres à ce type d’habitat y sont représentées : la bibliothèque et le musée privé au nord, les chambres et la salle à manger à l’est en communication avec la cuisine via la galerie, le vaste double grenier au sud et enfin la chapelle ainsi que la tour de surveillance à l’ouest. Dans ce cas, la chapelle et le grenier font partie des volumes de l’ensemble. Terrasses et galeries, ouvertes ou vitrées, prolongent ces espaces dans les quatre directions, offrant à l’occupant des perspectives aussi variées qu’inattendues. Outre le portail d’entrée avec encadrement de pierre, s’élève le long de la façade principale un large escalier menant à une galerie à colonnade et balustrade, le résultat d’une transformation, comme l’aile ouest et sa colonnade aérée par les bois environnants.

    Construits à des fins parasismiques, les murs porteurs en adobes ou en tapia peuvent atteindre 1,20 m d’épaisseur et n’offrir que d’étroites ouvertures dans des pièces généralement fort sombres (223). Une toiture largement débordante de même qu’un soubassement en matériau imperméable les préservent des pluies qui peuvent être violentes (224). A l’origine, aucun système de chauffage n’était prévu, si ce n’est celui tout naturel du port du poncho, un lourd manteau de laine. Ce n’est que plus tard, qu’apparurent les cheminées et les feux de bois pour abaisser le taux d’humidité lors de la saison des pluies.

    Fig. 307 – L’hacienda Ibarra, une composition symétrique à étage utilisant une structure mixte – pierre, bois, torchis, pisé (tapia), briques crues, terre cuite – disparue en 1990.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 307 – L’hacienda Ibarra, une composition symétrique à étage utilisant une structure mixte – pierre, bois, torchis, pisé (tapia), briques crues, terre cuite – disparue en 1990.
    Fig. 308 – L’hacienda La Herreria proche de Quito. La chapelle, la galerie et la terrasse dominent le parc alentour, conférant à l’édifice une allure de belvédère.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 308 – L’hacienda La Herreria proche de Quito. La chapelle, la galerie et la terrasse dominent le parc alentour, conférant à l’édifice une allure de belvédère.
    Fig. 309 – Mur de clôture en pisé, hacienda Zuleta, Equateur.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 309 – Mur de clôture en pisé, hacienda Zuleta, Equateur.

    L’hacienda Ibarra, du nom d’une grande famille équatorienne dont l’un des membres, José Maria Velasco, fut président de la République à plusieurs reprises entre 1934 et 1972, appartient en 1984 à la Coopérative des travailleurs ambulants de Quito. Située dans la région de Chillogallo au sud de Quito, elle s’étend le long d’une allée d’eucalyptus centenaires, dans un environnement en pleine mutation immobilière. En 1984, un projet de lotissement sur quelque 200 hectares de l’hacienda prévoyait la construction de 12 700 logements pour une population d’environ 65 000 personnes réparties sur 6380 lots (225). Malgré son état de délabrement avancé, l’ancienne habitation aurait été reconvertie en dispensaire médical, garderie d’enfant ou maison communale. La partie la plus ancienne serait l’aile nord, composée d’écuries, de granges, de réserves, d’un four à pain et du logement du personnel. Le plan de l’habitation elle-même, de construction plus récente, présente une composition symétrique autour de la pièce centrale : un alignement de pièces s’ouvrant sur des galeries vitrées, orientées de part et d’autre du bâtiment. La façade principale s’ordonne autour d’une galerie recouverte d’une terrasse à balustrade, qu’enserrent deux ailes à double niveau. Au centre : l’escalier monumental précédé par le bassin d’eau, lui-même entouré d’un mur en moellons rehaussé d’une balustrade et pourvu de contreforts. Deux portails marquent l’entrée de la maison, l’un donnant sur le plan d’eau, l’autre sur la vaste cour arrière, proche de l’entrée secondaire menant directement à la galerie vitrée. A l’autre bout de celle-ci, se trouvent l’accès à l’étage ainsi qu’à l’aile nord du complexe.

    L’habitation est recouverte d’une toiture à double versant pour le corps principal et à quatre versants pour les ailes. Les murs porteurs d’1,20 m d’épaissseur, sont élevés en briques crues, excepté ceux construits de part et d’autre de la façade principale, lesquels utilisent une structure mixte de bois et de torchis. Les façades des ailes sont décorées d’une part par des motifs en stuc : piliers engagés, frises, volutes, d’autre part, par des dessins géométriques légèrement roses sur fond d’enduit ocre. Lors de son dernier séjour en Equateur, l’auteur ne put que constater sa disparition, sa rénovation n’entrant plus en ligne de compte dans le plan d’aménagement. Une façon expéditive de s’en débarrasser ! Outre la terre locale employée pour les murs, la casa de hacienda n’en utilise pas moins d’autres matériaux dans une parfaite harmonie de structure et de texture. Citons la pierre pour les soubassements, les soutènements, les colonnes, les bassins d’eau et leur fontaine, les croix du souvenir, les balustrades, le bois (226) pour les charpentes, les châssis de fenêtre, les portes, les planchers, la brique cuite ou la dalle de terre cuite pour le revêtement de sol ou même la colonne, la pierre ponce pour la construction de voûtes ou de coupoles, les carreaux de faïence – plutôt rares –, les tuiles en couvre-joint pour les toitures, les lanières de cuir pour l’assemblage des charpentes, la laîche pour l’armature des terrasses. Cette architecture de terre, qui n’en a pas l’air, représente une vaste entreprise où chaque matériau a trouvé son meilleur champ d’application.

    Origines, transformations, destinations.

    Fig. 310 – La salle à manger à double niveau de l’hacienda Chillo Jicon, la propriété privée d’un ambassadeur équatorien.
    Photo André StevensFermer
    Fig. 310 – La salle à manger à double niveau de l’hacienda Chillo Jicon, la propriété privée d’un ambassadeur équatorien.

    Anciennes propriétés pour nombre d’entre elles d’Ordres religieux : Jésuites, Oblats, Franciscains, Augustins, Ordre de la Merci, les haciendas sont aujourd’hui bien souvent des biens privés. Devenues résidences principales ou secondaires, elles bénéficient pour la plupart d’un entretien exemplaire, surtout lorsqu’elles sont aisément accessibles depuis les villes importantes. Certaines ont conservé leur caractère d’exploitation agricole, soumettant parfois leurs occupants aux tâches de la ferme traditionnelle. D’autres furent amputées d’une bonne partie de leurs terres de culture, voyant leur environnement naturel considérablement réduit. D’autres ont été reconverties en hôtel ou restaurant de standing (227).

      2 images Diaporama

      Dans un cas exceptionnel, les propriétaires n’ont pas hésité à construire à côté des anciens bâtiments devenus irrécupérables, une habitation de facture très contemporaine et judicieusement intégrée à l’environnement. Par contre, lorsque l’hacienda appartient à une communauté telle que l’association des travailleurs ambulants de Quito, l’association des employés du Ministère des affaires étrangères, l’Institut national de la sécurité sociale, l’université de Quito, la ville de Latacunga, on remarque une absence totale d’entretien, l’hacienda tombant en ruine, même si l’une ou l’autre institution bancaire a bien un projet de restauration. Parmi elles, l’hacienda La Tolita que la faculté des sciences agronomiques de l’université de Quito souhaitait reconvertir en musée des technologies agricoles et pourquoi pas en musée des haciendas, l’hacienda formant un tout harmonieux avec ses terres de culture, ses bois, ses étangs, ses parcs et jardins, ses chemins et ses constructions de terre. Autres destinations imaginées pour certaines d’entre elles : crèche, foyer pour personnes âgées, infirmerie locale, immeuble administratif dans le cadre de projets de lotissement des terres alentour, maison de vacances pour employés et leur famille, centre culturel ou de congrès (228).

      Fig. 313 – Construction inca reconvertie en salle à manger de l’hacienda San Agustin de Callo proche du volcan Cotopaxi. Latacunga, Equateur.
      Photo André StevensFermer
      Fig. 313 – Construction inca reconvertie en salle à manger de l’hacienda San Agustin de Callo proche du volcan Cotopaxi. Latacunga, Equateur.

      Les deux tiers des haciendas n’ont subi que des transformations mineures, préservant ainsi l’accent d’authenticité à peine altéré par le poids des siècles. Il en va ainsi de l’hacienda La Merced et l’hacienda Itulcachi dont une pierre scellée dans un mur affiche la date de 1613. D’autres témoignent toujours des différentes phases d’occupation ayant entraîné transformations et agrandissements d’édifices plus anciens. Le nouveau corps d’habitation à deux niveaux de l’hacienda Ibarra en est un exemple typique, tout comme celui franchement contemporain, de l’hacienda Cuchigarangui. L’hacienda San Agustin de Callo se singularise par la présence de deux constructions d’époque inca de la 2ème moitié du XVe siècle ou même pré-inca, parmi les mieux conservées de l’Equateur, autour desquelles le logis s’est développé, tout en les enserrant dans un ensemble concerté : l’une fait aujourd’hui office de chapelle, l’autre de salle à manger.

      Remontant à la fin du XVIIème siècle, époque de grande floraison artistique due à l’apogée des missions chrétiennes et à une forte augmentation de la population, l’hacienda Tilipulo atteste d’une transformation harmonieuse du XVIIIème siècle, visant à l’ouvrir davantage sur les jardins alentour. Il en est de même de l’hacienda Chillo Compañia où se regroupent des constructions d’époques différentes, l’ancienne laverie réhabilitée en logement autonome. Plus radical, à Zuleta (1691) où sur les ruines de l’église détruite par le tremblement de terre de 1768, s’élève le corps principal de l’habitation d’aujourd’hui.

      Fig. 314 – L’hacienda Magdalena et son grenier à double niveau, construite à flanc de colline dans un environnement de terres semi-arides.
      Photo André StevensFermer
      Fig. 314 – L’hacienda Magdalena et son grenier à double niveau, construite à flanc de colline dans un environnement de terres semi-arides.

      Commune à la plupart des haciendas, la caractéristique principale en est l’existence d’un ou plusieurs patios empierrés, trois à Pesillo, autour desquels s’articulent les différents corps de l’édifice. Une galerie de pourtour, « rayonnant » à travers la transparence des arcades et des colonnades, communique avec les pièces de l’habitation, formant en quelque sorte le prolongement abrité du patio, mais à un niveau supérieur, protégeant les occupants des rayons solaires comme des pluies saisonnières. Outre cette fonction de distribution, la galerie comme le patio, sert à l’occasion d’aire de séchage des céréales. La distribution des galeries vers le patio d’une part, vers les pièces d’autre part, constitue un élément important dans l’organisation des espaces, permettant de grandes possibilités de variation dans les formes, la décoration et les proportions.Il n’existe pas de profondes différences entre les types d’édifices suivant la fonction qu’ils occupent à l’intérieur de l’ensemble. Presque tous d’un niveau, des constructions basses avec des murs épais et des toitures à double versant. Le groupe des bâtisses, cours et patios compris, occupe au sol une aire variable, allant de 2000 mètres carrés pour les plus petites jusqu’à plus d’un hectare pour la plus étendue, l’hacienda Zuleta dont le patio central a plus de 50 m de côté.

        4 images Diaporama

        Les différentes parties du corps principal abritent l’habitation privée, composée de pièces de séjour, chambres, salle à manger, cuisine en communication directe avec les services ainsi que de la chapelle et du grenier. La chapelle se distingue parfois en volume du reste des constructions notamment à Chillo Compañia, Chillo Chicon, La Herreria. Par contre le grenier, un édifice à part entière, garde une importance majeure dans l’agencement des corps bâtis. Le logement du personnel, les étables, les écuries, les hangars se regroupent quelque peu à l’écart de l’édifice principal. Suivant les possibilités d’irrigation, l’ensemble est entouré de jardins et d’étangs, à l’intérieur d’un mur de clôture.

        Fig. 319 – Le couvent Santo Domingo, en partie restauré grâce à la coopération belge. Centre-ville de Quito.
        Photo André StevensFermer
        Fig. 319 – Le couvent Santo Domingo, en partie restauré grâce à la coopération belge. Centre-ville de Quito.

        Peu d’études sur les types d’hacienda en Espagne ont été faites. Est-ce à dire qu’elles n’avaient pas une fonction prédominante dans l’organisation économique et sociale du XVIème au XVIIIème siècle ? Toujours est-il que des similitudes existent bel et bien dans l’organisation des ensembles bâtis comme des détails architecturaux entre l’Espagne et les colonies : le système de regroupement d’édifices autour d’un puits central, le moyen de communication par des galeries de pourtour, le caractère d’isolement par rapport à l’extérieur, la massivité de la construction, l’usage d’arcades ou de colonnades. Se retrouve ce type d’habitat en Andalousie et dans les provinces de Séville et de Cadix, calqué sur les fermes villas romaines, puis gallo-romaines. Ceci explique l’existence outre-atlantique, d’un patrimoine ibéro-américain et même euro-américain. Au stade actuel de la recherche, on peut prétendre que l’influence européenne se fit sentir dans la campagne andine, après son passage dans les cités coloniales et leur riche architecture tant sacrée que civile.

        Fig. 320 – L’hacienda San Agustin y Cotochoa et ses galeries de pourtour vitrées où portes et fenêtres se partagent des panneaux de plantes grimpantes, Equateur.
        Photo André StevensFermer
        Fig. 320 – L’hacienda San Agustin y Cotochoa et ses galeries de pourtour vitrées où portes et fenêtres se partagent des panneaux de plantes grimpantes, Equateur.

        Condamnée à vivre de tremblements de terre en secousses telluriques, la casa de hacienda se présente alors comme une vaste entreprise où chaque matériau se trouve à sa place, la terre crue étant bien entendu mise à l’abri de toute intempérie. La construction comme l’architecture y est de grande qualité, préservant autant le caractère authentique que le bien-être matériel, tirant le meilleur parti des ressources naturelles aussi nombreuses que variées. Rendons justice aux bâtisseurs anonymes qui élevèrent pendant plus de deux siècles d’éblouissantes architectures « écologiques » qui se révèlent aujourd’hui le témoignage d’un authentique art colonial. L’histoire de cette architecture reste à faire, tant en Equateur que dans d’autres pays d’Amérique latine, l’histoire socio-économique ayant été par contre davantage étudiée. Que d’émotions à la vue de ces demeures parfaitement adaptées au milieu ambiant ; il est vrai que ceux qui vivent à l’extérieur, sont bien souvent plus sensibles aux « espaces », autant celui du désert ou de la mer que celui des montagnes andines. Faire connaître les richesses de ce patrimoine méconnu, tirer les haciendas de leur torpeur andine, sensibiliser le monde à leur existence ne peuvent qu’encourager toute initiative privée ou publique dont l’objectif serait la remise en valeur de cet héritage autant architectural que paysager, autant national qu’universel (229). Si certaines haciendas sont directement menacées par l’état d’abandon dont elles souffrent depuis de trop nombreuses années, d’autres heureusement connaissent toujours leurs heures de gloire dans un formidable foisonnement de vie végétale (230)

          1 image Diaporama

          Notes

          NuméroNote
          216Grâce à la volonté du responsable du département comme à ses facilités d’introduction dans « le monde des propriétaires terriens », les portes de nombreuses casas de hacienda s’ouvrirent pour la première fois à une mission officielle, chargée d’y mener un pré-inventaire des biens immeubles. La mission représentait en outre l’intérêt d’offrir aux fonctionnaires débutants un terrain relativement commode pour les travaux pratiques. Le groupe eut accès aux propriétés privées de la campagne, où il se livra en toute quiétude aux premières tâches d’inventorisation : relevé architectural – plans, élévations, croquis, coupes –, reportage photographique, enquête historique menée in situ et description circonstanciée des lieux. Des activités multiples que se partageait une équipe de six personnes. D’autre part, à l’occasion de ces déplacements parfois lointains – il faut compter une vitesse moyenne de 15 km à l’heure, dès que l’on quitte les routes principales –, l’équipe récolta des informations succinctes sur d’autres haciendas et sur la situation socio-économique des régions traversées. Après 1984, le phénomène El Niño s’est fait sentir dans les Andes, provoquant davantage de pluies et entraînant inondations et glissements de terrain, ce qui rendit la prospection d’autant plus pénible.
          217Les trois régions reconnues : Quito et environs (province de Pichincha) ; haciendas Ibarra, Las Quadras, El carmen, Ortega, La Florida, La Herreria, La Merced, Chillo-Compañia, San Agustin de Conocoto, San Francisco, Santa Rosa, San Agustin y Cotochoa, San Agustin, Miraflores, Chillo-Chicon, San Antonio, San German, La Cocha, Itulcachi, Palugo, La Delicia, Santa Rosa de Guapulo, La Tolita. De Cayambe à Ibarra (province d’Imbabura) ; haciendas Came, Pesillo, Zuleta, Cuchicaranqui, Magdalena, La Merced de Azaya, Pinsaqui, Chorlavi. Environs de Latacunga (province de Cotopaxi) ; hacienda San Agustin de Callo, La Cienaga, Tilipulo, Tilipulito. cfr l’étude complète publiée par l’Unesco en 1989 : Les casas de hacienda des Andes équatoriennes, Etablissements humains et environnement socio-culturel, n°42, 125 p. La composition des membres de l’équipe reflétait les diverses cultures de la société équatorienne (blanc, noir, métis). Il y avait en outre le guide Patricio Andrade Onotre, le médiateur José Arce Arboleda, l’artiste-peintre Fabien Lara et Maria Fernandez Espinosa, aujourd’hui ministre du patrimoine culturel de l’Equateur, cherchant le meilleur compromis entre recherche pétrolière, écotourisme, protection de la nature et des populations indigènes. Dernièrement, l’Equateur a renoncé au projet de sauvegarde du parc national Yasuni, une gigantesque réserve naturelle. Il comptait sur une compensation financière internationale pour y interdire l’exploitation pétrolière, ce qui lui fut refusé.
          218Les éruptions volcaniques font partie du paysage équatorien. En mai 2010, le Tungurahua (Gorge de feu) culminant à 5000 m et situé à 135 km de Quito, se réveilla, entraînant l’évacuation de plusieurs agglomérations. A Guyaquil, les écoles et l’aéroport furent fermés en raison des pluies de cendres.
          219Encomienda : territoire dont les terres et les habitants sont économiquement, politiquement et fiscalement à la charge d’un Espagnol habitant la ville voisine. Mita : institution inca reprise par les Espagnols visant le travail obligatoire pour réaliser certaines œuvres d’infrastructure. Obrajes : chantiers pour lesquels chaque communauté devait fournir régulièrement un contingent d’hommes.
          220Laporte (Christian), De Riobamba à Louvain-la-Neuve, la solidarité avec les pauvres, dans La Libre Belgique, 26 mai 2010.
          221En Equateur, le principal dernier tremblement de terre eut lieu le 5 mars 1987 dans les provinces d’Imbabura et de Napo. On releva 300 morts et de 2000 à 3000 disparus. Précédemment en 1797, un extraordinaire mouvement tellurique (tremblements de terre et éruptions volcaniques) dura un mois et provoqua un affaissement des Andes centrales équatoriennes.
          222L’étage quechua, entre 2000 et 3000 mètres, bénéficie d’un climat tempéré aux pluies regroupées sur quelques mois de l’année. La saison des pluies va de décembre à mai, tandis que les températures oscillent suivant les endroits et les saisons, de 8 à 20 degrés. Depuis la fin des années 1980, les changements climatiques ont sérieusement modifié ces données
          223Comme dans les centres historiques de Quito et de Cusco.
          224Un proverbe anglais veut qu’une maison édifiée en terre crue défie les temps si « elle porte de bonnes bottes et un bon chapeau ».
          225En 1984, M. Raul Diaz, professeur à l’université d’Ibarra, proposa un programme d’habitat en blocs de terre crue, lequel reçut l’aval du président de la République. Selon ses calculs, le mètre carré bâti en blocs de ciment armé revenait à 16 000 sucres, tandis que celui en blocs de terre revenait à 4500 sucres. Oct. 1984 : 1 USD = 100 sucres = 60 FB.
          226Variétés d’arbre ou d’arbuste utilisées dans la construction en Amérique du Sud : l’eucalyptus, l’aulne, le laurier, le cèdre, le noyer, l’acajou, le caroubier, le molle (nom de divers arbres), le romerillo (plante sauvage originaire de Cuba), le capuli (arbre originaire du Pérou mais aussi de Virginie) qui produit des fruits très agréables. On utilise aussi l’agave, plante d’origine mexicaine très décorative, aux feuilles vastes et charnues, dont le suc donne une boisson fermentée et les feuilles des fibres textiles capables de lier la terre des adobes ou le stuc.
          227Aujourd’hui reconvertie en hôtel de luxe, l’hacienda La Ciennaga vit passer le géographe Charles de la Condamine vers 1740 et le naturaliste Alexandre von Humboldt vers 1802. Ingénieur des Mines, celui-ci s’initia aux instruments de précision et dès qu’il le put, vendit quelques domaines pour se lancer dans l‘exploration. Ceci pour dire que la recherche de moyens financiers peut provenir de diverses sources, parfois personnelles. Dans la plupart des cas, un projet crédible, basé sur une expérience grandissante, parfois défendu par un homme seul, mais bien entouré, se verra accorder tout ou partie du budget souhaité, si on frappe aux bonnes portes avec de bonnes raisons.
          228L’une des solutions qui sauverait certaines haciendas du délabrement et de l’abandon qu’elles connaissent depuis parfois plus de cinquante ans, serait de pouvoir revendre à un particulier la casa de hacienda pour autant qu’elle soit entourée d’un environnement naturel minimal – jardin, allée d’arbres –, et qu’elle soit accessible par un chemin privé à défaut d’une servitude de passage. Le nouveau propriétaire qui en ferait l’acquisition, ne manquerait pas d’y mener tous les travaux nécessaires à la réhabilitation des lieux, dans le souci d’une juste adaptation aux réalités d’aujourd’hui, tout en préservant le caractère authentique tant de l’habitation que de la nature attenante.
          229Les haciendas du Mexique et du Chili, les fazendas du Brésil et les estancias d’Argentine sont mieux connues.
          230Extraits de presse : Haran inventario de haciendas, dans Hoy, Quito, 22/09/1984 ; Burnet (A.), Un Belge à la rescousse des haciendas de l’Equateur, dans Le Soir, 9/10/1989 ; Especialistas europeos en Bienal de Arquitectura, dans El Commercio, Quito, 15/10/1984 ; Oude haciëndas, dans Tijd-Cultuur, 15/04/1998 ; Bernard (G.), Biermans (G.), Noiret (M.), L’héritage des conquitadors, dans le Quinzième, mensuel de l’université de Liège, 21/05/2002 ; Eggericx (L.), Entre la Belgique et les Andes, dans La Libre Belgique, 4/11/2002.