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Art en général - Antiquité - Égypte - Archéologie Christian Lauwers Alexandrie ad Aegyptum À la recherche d’une cité antique dans les sources documentaires et archéologiques
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Reporticle : 87 Version : 1 Rédaction : 01/01/2010 Publication : 28/03/2014

Introduction

Avec Rome, Alexandrie fut une des deux plus grandes cités de l’Antiquité. Textes antiques et récits de voyageurs donnent des éléments de description de cette ville, que l’archéologie de sauvetage complète par bribes et morceaux. Quelle idée de la ville antique pouvons-nous nous faire, sur base de ces divers témoignages ?

Situation géographique

Fig. 1 – Alexandrie sur la carte de l’Égypte moderne.
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Fig. 1 – Alexandrie sur la carte de l’Égypte moderne.

La ville d’Alexandrie se trouve à quelque 210 kilomètres au nord-ouest du Caire, non loin de l’ancienne branche canopique du Nil, sur une étroite bande de terre entre la Méditerranée et le lac Mariout, autrefois appelé le lac Maréotis. L’île de Pharos, qui donna son nom au phare, fut reliée au rivage par une jetée d’environ un kilomètre et demi, l’Heptastade, aujourd’hui enfouie sous les alluvions. Cette jetée était dans l’Antiquité percée de deux tunnels permettant aux navires de passer du port est au port ouest et réciproquement. Des récifs rendent l’entrée des ports périlleuse, mais l’eau y est profonde et permet le mouillage de bateaux de fort tirant d’eau ((fig. 01).

Fondation par Alexandre le Grand

Fig. 2 – Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) sur la mosaïque de la Maison du Faune, Pompéi.
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Fig. 2 – Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) sur la mosaïque de la Maison du Faune, Pompéi.

En 332 av. J.-C., Alexandre avait passé sept mois à assiéger la forteresse insulaire de Tyr, en Phénicie. Pour la prendre, il avait dû faire construire une chaussée reliant l’île au continent. Alexandre s’empara ensuite sans coup férir de la satrapie d’Égypte et se fit couronner pharaon à Memphis en 331. Accompagné de l’architecte grec Deinocrates, il choisit le site de la future Alexandrie. Selon les auteurs antiques, il choisit cet emplacement parce que la situation de l’île de Pharos lui rappelait Tyr, et la chaussée qu’il fit construire pour la relier au continent reproduisait celle qui lui avait permis de prendre la ville phénicienne. Selon une autre tradition, Alexandre choisit cet emplacement parce que l’île de Pharos était citée dans Homère. Il décida du tracé des murailles, de l’orientation des rues en fonction des vents frais dominants, de la place des temples et de l’agora ((fig. 02).

Capitale du royaume ptolémaïque, puis de la province romaine

Fig. 3 – Carte d’Alexandrie à l’époque ptolémaïque (305-30 av. J.-C.)
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Fig. 3 – Carte d’Alexandrie à l’époque ptolémaïque (305-30 av. J.-C.)
Fig. 4 – Titus Flavius Vespasianus, empereur de 69 à 79 ap. J.-C. Buste du Musée Capitolin.
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Fig. 4 – Titus Flavius Vespasianus, empereur de 69 à 79 ap. J.-C. Buste du Musée Capitolin.

Lorsqu’à la mort d’Alexandre en 323 Ptolémée fils de Lagos obtint la satrapie d’Égypte, il choisit d’installer sa capitale à Alexandrie plutôt qu’à Memphis. Macédonien de culture grecque, il préférait avoir la Méditerranée à portée de vue. Ptolémée était un érudit et un historien, qui écrivit une vie d’Alexandre, perdue, mais dont beaucoup d’auteurs postérieurs s’inspirèrent. C’est pourquoi il voulut que sa capitale soit non seulement un port de commerce et la caserne de son armée de métier, mais également la nouvelle patrie de la science, de l’érudition et de l’art grecs. S’inspirant du Lycée d’Aristote, il fonda le Musée et la Bibliothèque et y invita des savants et des artistes de tout le monde grec. Il eut également une grande activité édilitaire, ainsi que son fils Ptolémée II. Les sources épigraphiques attestent la fondation par ces deux monarques de tout l’appareil urbanistique d’Alexandrie : les ports, le phare, le Sérapeion, le gymnase… Sous le règne des Lagides, de Ptolémée Ier à la mort de Cléopâtre VII en 30 av. J.-C., Alexandrie fut la première cité du monde hellénistique, abritant une population d’environ 500000 personnes ((fig. 03). Sous Auguste, l’Égypte devint une province romaine, et Alexandrie passa au second rang, derrière Rome. Le gouvernement de l’Égypte, par ordre du premier empereur, fut réservé à des fonctionnaires de rang équestre. Les sénateurs n’avaient pas le droit de se rendre en Égypte. L’approvisionnement de Rome en blé dépendait en grande partie de la production égyptienne : qui tenait Alexandrie, tenait Rome. À la mort de Néron en 68 de notre ère, Vespasien abandonna à son fils Titus le siège de Jérusalem et alla s’emparer de l’Égypte. Il s’installa à Alexandrie, d’où il fit le blocus de Rome. Quelques mois plus tard, en 69, Vespasien devenait empereur ((fig. 04).

De l’Antiquité à nos jours

Fig. 5 – Vues d’artiste d’Alexandrie à la fin du XVIIIème siècle.
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Fig. 5 – Vues d’artiste d’Alexandrie à la fin du XVIIIème siècle.

Pendant l’Antiquité tardive, la ville fut le siège de nombreuses luttes religieuses. Prise par l’armée du calife Omar, sous le commandement du général Amr Ibn el-Ass en octobre 641, Alexandrie perdit son rôle de capitale au profit de Fostat, qui deviendra plus tard Le Caire. La ville resta d’abord prospère, servant d’avant-port à la nouvelle capitale, avant de péricliter suite à la découverte de la route du Cap en 1498. Lorsque Napoléon débarqua à Alexandrie en 1798, la ville tout entière tenait sur l’Heptastade, le reste n’étant qu’un champ de ruines ((fig. 05). C’est le pacha Muhammad (ou Méhémet) Ali qui, à partir des années 1820, présida à la renaissance d’Alexandrie. Sous son règne, le canal antique fut curé, le port réaménagé, et la population, qui était tombée à 13000 habitants, remonta rapidement, jusqu’à atteindre aujourd’hui plus de quatre millions d’âmes ((fig. 06). Depuis les années 1990, les constructions du XIXème et du début du XXème siècles, qui ne comptaient que quelques niveaux et possédaient des fondations peu profondes, sont démolies pour faire place à des buildings dont les fondations reposent sur le roc. Ces grands travaux amènent la destruction de toutes les strates archéologiques. D’autre part, toute la surface de la ville antique, y compris les cimetières, est couverte d’habitations modernes ((fig. 07).Les fouilles terrestres sont donc exclusivement des fouilles de sauvetage, pratiquées dans l’urgence. La pression des promoteurs est permanente. Un autre problème se pose : le niveau du sol s’est abaissé de près de 9 mètres par rapport au niveau de la mer. Les strates archéologiques les plus basses se trouvent aujourd’hui sous la nappe phréatique, tandis que les installations portuaires antiques se trouvent sous la mer. Le site a également été touché par plusieurs séismes, et de nombreux bâtiments ont été détruits lors de révoltes religieuses ou d’épisodes guerriers. Le quartier des palais, par exemple, a été incendié par les Palmyréniens lorsqu’ils envahirent la ville à la fin du troisième siècle de notre ère. Enfin, les remplois de matériaux architecturaux sont innombrables, au point qu’il est difficile de distinguer les vestiges des enceintes antiques et médiévales et que très peu d’inscriptions ont été retrouvées dans leur contexte original.

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    Les sources

    Sources antiques

    Choix de textes

    La littérature alexandrine et la littérature sur Alexandrie sont abondantes. Fraser a fait le relevé complet de la littérature grecque en 1972 dans ce qui était alors la somme sur le sujet, Ptolemaïc Alexandria. Un série de textes anciens sont consacrés à l’urbanisme et peuvent nous aider à nous faire une idée de la ville dans l’Antiquité. Philon d’Alexandrie a donné une indication supplémentaire en signalant qu’Alexandrie était divisée en cinq quartiers désignés par les lettres a, b, g, d et e, les Juifs étant concentrés dans les quartiers d et e. L’historien grec Diodore de Sicile, dans son Histoire universelle, écrivit :(Alexandre) voulait bâtir dans ce royaume une grande ville. Il avait déjà donné ordre à ceux qu'il y avait laissés d'en préparer le terrain entre la mer et le lac Maréotide ; [2] et lui-même revenu sur les lieux en traça le plan avec beaucoup de soin et la nomma d'avance Alexandrie de son nom. Par la situation qu'il avait choisie il lui avait procuré l'avantage d'avoir dans son port l'île du Phare. Il eut attention que les vents du nord pussent enfiler toutes les rues pour les rafraîchir... [6] Aussi n'y a-t-il aucune autre ville qui l'égale par le nombre des citoyens. Dans le temps que j'y ai passé moi-même, ceux qui tenaient les registres publics m'ont dit qu'il y avait plus de trois cent mille personnes libres et que les revenus royaux montaient à plus de six mille talents. 6000 talents de 26 kilos représentaient 156 tonnes d’argent par an, provenant principalement des bénéfices sur la vente de céréales et de papyrus, sur les taxes douanières et portuaires, sur le change des monnaies étrangères en monnaies ptolémaïques et sur les autres productions locales telles que les verreries. Strabon, contemporain d’Auguste, nous fournit au livre XVII de sa Géographie une description de la ville, où il résida plusieurs années entre 27 et 20 avant notre ère : [8] Le terrain sur lequel a été bâtie la ville d'Alexandrie affecte la forme d'une chlamyde, les deux côtés longs de la chlamyde étant représentés par le rivage de la mer et par le bord du lac, et son plus grand diamètre pouvant bien mesurer 30 stades, tandis que les deux autres côtés, pris alors dans le sens de la largeur, sont représentés par deux isthmes ou étranglements, de 7 à 8 stades chacun, allant du lac à la mer. La ville est partout sillonnée de rues où chars et chevaux peuvent passer à l'aise, deux de ces rues plus larges que les autres (…) s'entrecroisent perpendiculairement. A leur tour, les magnifiques jardins publics et les palais des rois couvrent le quart, si ce n'est même le tiers de la superficie totale. (…) on peut compter aussi comme faisant partie des palais royaux le Musée, avec ses portiques, son exèdre et son vaste cénacle (…) Une autre dépendance des palais royaux est ce qu'on appelle le Sêma, vaste enceinte renfermant les sépultures des rois et le tombeau d'Alexandre... [10] La ville d'Alexandrie peut être dépeinte d'un mot : «une agglomération de monuments et de temples». Le plus beau des monuments est le Gymnase avec ses portiques longs de plus d'un stade. Le tribunal et ses jardins occupent juste le centre de la ville. Là aussi s'élève, comme un rocher escarpé au milieu des flots, le Panéum, monticule factice, en forme de toupie ou de pomme de pin, au haut duquel on monte par un escalier en limaçon pour découvrir de là au-dessous de soi le panorama de la ville... [13] Toutefois, ce qui aujourd'hui encore contribue le plus à la prospérité d'Alexandrie, c'est cette circonstance qu'elle est le seul lieu de l'Égypte qui se trouve également bien placé et pour le commerce maritime par l'excellente disposition de son port, et pour le commerce intérieur par la facilité avec laquelle lui arrivent toutes les marchandises qui descendent le Nil, ce qui fait d'elle le plus grand entrepôt de toute la terre.En 47 av. J.-C., Jules César se trouva assiégé avec une petite armée dans le quartier des palais, le Bruccheion. Un de ses officiers ou de ses secrétaires rédigea, d’après les notes de César, le récit de cette Guerre alexandrine. Nous y trouvons d’utiles renseignements sur le système de distribution d’eau dans la ville à la fin de l’époque hellénistique :
    [5] (1) Alexandrie est presque tout entière minée, et a des canaux souterrains qui partent du Nil et par lesquels l'eau est conduite dans les maisons des particuliers, où, avec le temps, elle dépose et s'éclaircit peu à peu... [6] (1) Ganymède (…) nous coupa d'abord toute communication avec les canaux de la partie de la ville qu'il occupait; ensuite, à force de roues et de machines, il éleva l'eau de la mer et la fit couler des quartiers supérieurs dans celui de César. (2) Aussi, bientôt, l'eau qu'on allait puiser aux citernes voisines parut-elle plus salée que de coutume, et nos soldats étaient tout surpris, ne sachant d'où cela pouvait provenir. Ils avaient peine à en croire leur goût, quand ceux de leurs camarades, qui étaient postés plus bas, disaient que leur eau était toujours de même espèce et de même saveur qu'à l'ordinaire; ils les comparaient l'une avec l'autre, et en les dégustant, ils reconnaissaient combien elles étaient différentes. (3) Mais au bout de quelques jours, l'eau du quartier le plus élevé ne pouvait plus se boire d'aucune façon, et celle de la partie inférieure commençait à se corrompre et à devenir salée.On peut également y trouver la description de maisons :
    [1] (3) Alexandrie est à peu près à l'abri de l'incendie, parce qu'il n'entre ni charpente ni bois dans ses constructions, que tous les étages y sont voûtés, et les toits recouverts en maçonnerie ou pavés.
    [17] (1) César (…) crut devoir mettre tout en œuvre pour s'emparer de l'île (de Pharos) et de la jetée qui y conduisait (…) les ennemis (…) sortirent des vaisseaux pour défendre les maisons (…) quoique, toute proportion gardée, leurs maisons fussent à peu près dans le genre de celles d'Alexandrie; que leurs hautes tours, qui se touchaient, leur tinssent lieu de rempart (…) Ces mêmes hommes n'osèrent nous attendre dans des maisons hautes de trente pieds (…)

    La description de ces maisons munies de tours rappelle les modèles réduits de maisons macédoniennes que l’on a retrouvés dans certaines tombes d’Alexandrie (fig.8 et 9).

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      Sources épigraphiques
      Fig. 10 – Tablette de fondation en or du sanctuaire de Sarapis, dédiée par Ptolémée III (246-222 av. J.-C.)
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      Fig. 10 – Tablette de fondation en or du sanctuaire de Sarapis, dédiée par Ptolémée III (246-222 av. J.-C.)

      Le matériel épigraphique non funéraire d’Alexandrie a été publié de façon scientifique, le recueil des inscriptions d’époque ptolémaïque en 2001, celui des inscriptions du haut empire romain en 1994. Pour beaucoup de pierres on ne dispose pas de contexte, soit parce qu’elles furent remployées dès l’Antiquité, soit parce que leurs inventeurs modernes n’ont pas signalé leurs lieux de découverte. Seules les pierres disposant d’un contexte assuré présentent un intérêt ici, car les dédicaces qui y sont gravées permettent d’identifier certains bâtiments antiques. Pour l’époque ptolémaïque, c’est par exemple le cas d’une tablette de fondation en or (fig. 10), découverte par Alan Rowe, alors directeur du musée gréco-romain, le 27 août 1943. Cette tablette avait été enterrée avec neuf autres, faites de différentes matières, à l’angle sud-est de l’enceinte du Sérapéum. Voici la traduction du texte grec : «  Le roi Ptolémée, fils de Ptolémée et d’Arsinoé, Dieux Adelphes, (sous-entendu : a dédié) à Sarapis le temple et le sanctuaire ». Le texte hiéroglyphique se lit : « Le roi de la Haute et Basse Égypte, héritier des Dieux Frères, choisi par Amon, puissante-est-la-vie-de-Râ, fils de Râ, Ptolémée III, vivant éternellement, aimé de Ptah, a fait le temple et l’enceinte sacrée pour Ousor-Hapi ». Cette inscription fixe de façon précise l’emplacement du sanctuaire principal de la ville antique et nous donne une fourchette chronologique pour sa fondation, le règne de Ptolémée III (246-222 av. J.-C.). Pour l’époque impériale, une colonne et une plaque en calcaire (fig. 11 et 12) rappellent la construction du « Canal Auguste ». Découvertes, la colonne dans le centre-ville, la plaque hors les murs, près de la porte Canopique, elles portent la même inscription, le texte latin inscrit en lettres plus grandes et au-dessus du texte grec, comme il convient pour une inscription impériale. En voici la traduction : « L’empereur César Auguste, fils d’un dieu, grand pontife, a fait venir depuis Schedia le « Canal Auguste », destiné à couler de lui-même dans toute la ville, Caïus Iulius Aquila étant préfet d’Égypte, l’an 40 de César. » Le dossier de ce canal est bien sûr incomplet : nous disposons de deux points de repère, les lieux des deux découvertes, et d’une date. Mais le système d’adduction d’eau d’Alexandrie était complexe. Ce canal fut-il creusé sous Auguste ? Ou bien ces inscriptions commémoraient-elles la réfection d’un canal existant ?

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        Numismatique
        Fig. 13 – Revers de deux monnaies de bronze d’Antonin le Pieux (138-161) et de Commode (180-192) frappées à Alexandrie et portant une représentation du Phare.
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        Fig. 13 – Revers de deux monnaies de bronze d’Antonin le Pieux (138-161) et de Commode (180-192) frappées à Alexandrie et portant une représentation du Phare.

        Les monnaies forment un autre type de document nous apportant des renseignements sur les bâtiments antiques. Les empereurs romains s’en servaient pour diffuser des images de leurs programmes édilitaires, et l’on trouve aux revers de leurs monnaies de nombreuses représentations de temples, d’arcs de triomphes et d’autres monuments publics. Des monnaies de bronze frappées à Alexandrie sous Hadrien, Antonin et Commode (figs. 13, 13bis, 14), au IIème siècle de notre ère, offrent de nombreuses représentations du phare. La déesse égyptienne Isis, adoptée par les Grecs, est devenue la protectrice d’Alexandrie et des marins sous le nom d’Isis Pharia. Elle apparaît sur de nombreuses monnaies, tenant une voile, en face du Phare. Ce mélange des iconographies, des cultes et des arts gréco-romains et égyptiens est caractéristique d’Alexandrie. Un autre intérêt du matériel numismatique consiste en ceci qu’il est très souvent daté, et pour certains empereurs à l’année près. Entre 115 et 117, sous Trajan, la population juive d’Alexandrie révoltée avait brûlé le Sérapeion, considéré comme un temple païen. Ce sanctuaire est cependant représenté sur des monnaies d’Hadrien datées de 132/133, montrant l’empereur, à droite d’un autel sur lequel son nom est inscrit, face au dieu Sarapis. Ce sanctuaire avait donc été reconstruit et était à nouveau en activité sous le règne d’Hadrien. L’archéologie ne peut pas nous renseigner sur ces événements, les chrétiens ayant complètement détruit le Sérapeion sous le règne de Théodose, à la fin du IVème siècle. Il n’en reste que le négatif des fondations.

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          Les sources modernes

          Les récits de voyages et la Description de l’Égypte
          Fig. 15 – Description de l’Égypte par l’abbé Le Mascrier, 1735.
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          Fig. 15 – Description de l’Égypte par l’abbé Le Mascrier, 1735.

          Une autre source nous est fournie par les récits de voyageurs, comme la Description de l’Égypte de l’abbé Le Mascrier, parue en 1735 (fig. 15). Sous la direction de Jean-Yves Empereur, Oueded Sennoune a consacré sa thèse de doctorat à compiler le corpus de tous les passages de ces récits décrivant Alexandrie. Il a recensé 309 récits, s’étalant du VIème au XXème siècle. Les voyageurs occidentaux sont de loin les plus nombreux, avec 277 récits. Beaucoup de pèlerins en route vers Jérusalem passaient par Alexandrie et y visitaient les lieux saints tels que l’église où l’évangéliste Marc était enseveli. Certains visiteurs poursuivaient des buts politiques, et ramenaient en Occident la description des ports et des murailles de la ville, en vue de s’en emparer lors d’une prochaine croisade. Il y eut plus tard des ambassades visant à nouer des liens commerciaux avec les Ottomans et à assurer la sécurité des pèlerins. Enfin, des voyageurs se rendirent à Alexandrie pour y acheter des antiquités et des manuscrits et récolter des observations sur la faune, la flore, la médecine locale et les monuments du passé. 32 visiteurs orientaux, Arabes, Perses et Turcs, laissèrent également des descriptions de la ville. La plupart de ces voyageurs s’intéressaient au pittoresque, et leurs descriptions relèvent parfois du conte des Mille et une nuits, tel cet extrait d’Ibn-Khordadbeh, écrit au milieu du IXème siècle : On rapporte que la construction d’Alexandrie dura trois cents ans, et que, pendant soixante et dix ans, les habitants n’osaient sortir durant le jour, leurs yeux ne pouvant supporter le reflet mat et éclatant de ses murs. Son phare prodigieux s’élevait du milieu de la mer, sur une écrevisse de verre. Cette description du phare posé sur une écrevisse pourrait s’expliquer par une confusion avec les obélisques du Césareum, qui reposaient sur des crabes de bronze. D’autres visiteurs nous donnent des descriptions précises de l’état d’Alexandrie à leur époque, par exemple Ibn Battuta au XIVème siècle :
          Lors de ce voyage, je me rendis au Phare. Je constatai qu’une de ses façades était en ruine. C’est une construction carrée et haute. La porte est surélevée par rapport au sol, elle se trouve en face d’une construction de la même hauteur et entre les deux sont posées des planches qui servent de passerelle : si on les ôte, on ne peut plus accéder à la porte du Phare. À l’intérieur de la porte, on voit une niche où se tient le gardien. À l’intérieur du Phare, se trouvent de nombreuses salles. La largeur du couloir est de neuf empans, l’épaisseur du mur de dix et la longueur de chaque face de cent quarante. Le Phare est situé sur une colline élevée, à une parasange d’Alexandrie, sur une langue de terre entourée de trois côtés par la mer qui baigne le rempart de la ville.

          Fig. 16 – Relation d’un voyage fait au Levant par Jean de Thévenot, 1664.
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          Fig. 16 – Relation d’un voyage fait au Levant par Jean de Thévenot, 1664.
          Fig. 17 – Description de l’Égypte, Volume 5, Antiquité V, n° 34 : vue, profil et détails de la grande colonne appelée communément la colonne de Pompée.
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          Fig. 17 – Description de l’Égypte, Volume 5, Antiquité V, n° 34 : vue, profil et détails de la grande colonne appelée communément la colonne de Pompée.

          Jean de Thévenot visita la ville en 1657. Il en décrivit le système d’adduction d’eau : …ce canal que les Egyptiens firent creuser pour conduire l’eau du Nil à Alexandrie, n’ayant point d’autre eau à boire… commence à environ six lieuës au dessus de Rosette au bord du Nil & vient de là à Alexandrie, & lorsque le Nil est cru… cette eau remplit les citernes, qui sont faites exprès sous la ville, & sont très-magnifiques, & de grande étendue, car tout le dessous de l’ancienne Alexandrie est creux, étant tout une cîterne dont les voûtes sont soutenuës de plusieurs belles colonnes de marbre, & sur ces voutes étoient bâties les maisons d’Alexandrie, ce qui a fait dire à plusieurs qu'il y avoit en Alexandrie sous terre une ville aussi grande que dessus, & quelques personnes m'ont assûré qu'on peut encore à présent aller dessous toute la ville d'Alexandrie par de belles ruës, dans lesquelles on voit encore des boutiques, mais les Turcs ne permettent pas qu'on y descende. L'eau du Nil qui entre ainsi dans ce Hhalis, sous la ville, sert pour boire toute l'année, car chaque maison en fait tirer par des pousseragues qui la versent dans la cîterne particulière de la maison à mesure qu'ils la tirent. Ces pousseragues sont des rouës où il y a une corde en chapelet sans bout, l'entour de laquelle sont attachez plusieurs pots de terre, qui remontant toûjours pleins d'eau, la versent dans un canal, qui la conduit où on veut.Lorsqu’il débarqua en 1798 à Alexandrie, Napoléon, imitant Alexandre, dont la vie racontée par Plutarque était un de ses livres de chevet, était accompagné de 165 savants composant sa « Commission des Sciences et des Arts ». Cette Commission rédigea de 1803 à 1828 la première Description de l’Égypte basée sur des principes scientifiques. L’ingénieur des ponts et chaussées Gratien Le Père réalisa la première étude moderne de la topographie de la ville d’Alexandrie, contribuant à l’identification de monuments anciens avant la transformation du paysage urbain sous Méhémet Ali. L’ingénieur Saint-Genis se chargea de la description des antiquités de la ville et de ses environs ; il établit la carte d’Alexandrie d’après les vestiges encore visibles, deux rues anciennes, des fragments du rempart médiéval, les ruines du Serapeion, du Césareum, d’un hippodrome et de quelques tombes. Gratien Le Père écrivit : Les ruines d'Alexandrie (…) n'offrent que l'image hideuse de la destruction absolue de l'homme et de ses ouvrages. En effet, dans un vaste espace fermé d'une double enceinte flanquée de tours élevées, le sol n'est couvert que de ruines de vieux monuments ensevelis sous des monticules de décombres, de colonnes et de chapiteaux brisés ou renversés, de pans de murs écroulés, de voûtes enfoncées, de revêtements de murs dont les pierres défigurées sont rongées par l'humidité saline du salpêtre et de l'acide marin (…) Au milieu de ce chaos, quelques habitations solitaires environnées de tombeaux, semblent ne s'élever du sein de ces ruines que pour recouvrir de leur ombre l'asile de la mort (…) Enfin l'intérieur de cette enceinte ne renferme plus que la poussière d'une immense cité, que l'on cherche en vain au milieu de ses murs. Alexandrie comptait à cette époque environ 8000 habitants. Les membres de l’Expédition d’Égypte furent les premiers à enregistrer les données de leurs recherches de façon précise et détaillée et à établir des relevés exacts des monuments et des inscriptions.

          Mahmoud el-Falaki et la problématique du plan
          Fig. 18 – Carte de l’antique Alexandrie dressée par Mahmoud Bey en 1866.
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          Fig. 18 – Carte de l’antique Alexandrie dressée par Mahmoud Bey en 1866.

          En 1865, l’empereur Napoléon III ayant besoin, pour écrire l’histoire de Jules César, d’un plan d’Alexandrie dans l’Antiquité, en fit la demande au khédive Ismaïl, petit-fils de Méhémet Ali. Le khédive confia à Mahmoud el-Falaki, dit Mahmoud Bey, ingénieur et astronome, le soin de faire les sondages et mesures nécessaires. À l’époque, de vastes zones de la ville n’avaient toujours pas été construites et il lui était facile d’avoir accès aux ruines visibles en surface. Cependant Mamhoud Bey se plaint dans ses mémoires des difficultés qu’il rencontra. La tâche était énorme, malgré son excellente équipe d’ingénieurs, dessinateurs, assistants, deux cents ouvriers et l’appui des plus hautes autorités du pays. Mahmoud el-Falaki n’était pas un archéologue professionnel, mais ses sondages et relevés topographiques peuvent être considérés comme la première campagne archéologique à Alexandrie. Son plan fut dessiné d’après les mesures des restes de rues et de remparts visibles en surface ou dans les tranchées creusées le long de l’alignement des rues anciennes (fig. 18). Achevé en 1866, ce plan pose deux problèmes. D’abord, à quelle période de l’Antiquité correspond-il ? Aujourd’hui, il existe un consensus selon lequel le plan de Mahmoud Bey représente un état du réseau viaire de la ville pendant l’Antiquité tardive, c’est-à-dire la fin de l’époque romaine et à l’époque byzantine. Dans quelle mesure ce plan tardif est-il superposable au plan original ptolémaïque? Il semble que le quadrillage constitué par les grandes avenues est-ouest, dont la voie Canopique, et les larges rues nord-sud, se soit conservé durant toute l’Antiquité. Le découpage intérieur des îlots aurait par contre varié au fil des siècles. Les fouilles polonaises d’un quartier d’habitation gréco-romain à Kôm el-Dikka, dans le centre-ville, confirment le plan de Mahmoud Bey : la rue R4, sur laquelle sont alignées les constructions de ce quartier, avait été correctement relevée. Ce plan correspond également aux indications fournies par la littérature : il est orthogonal et orienté en fonction des vents dominants.

          Fig. 19 – Carte de l’antique Alexandrie avec l’Heptastade menant au Phare dans l’axe de la rue R9 et l’emplacement de bâtiments repérés lors de fouilles archéologiques.
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          Fig. 19 – Carte de l’antique Alexandrie avec l’Heptastade menant au Phare dans l’axe de la rue R9 et l’emplacement de bâtiments repérés lors de fouilles archéologiques.

          L’orientation de l’Heptastade, cette chaussée reliant l’île de Pharos au continent, posait un second problème. L’Heptastade a en effet complètement disparu, enseveli par les alluvions, puis recouvert par la ville ottomane. Mahmoud Bey ne put y effectuer aucun sondage, et son tracé, oblique par rapport à la rue R9, relevait de l’hypothèse (fig. 19). On sait par les textes que sous l’Heptastade courait un aqueduc approvisionnant l’île de Pharos en eau. Une étude récente de la topographie de l’isthme de Pharos et de son sous-sol a permis de restituer le tracé original. Sur ce nouveau plan, communément accepté aujourd’hui, l’Heptastade se trouve dans l’axe de la rue antique R9. L’Heptastade s’inscrivait donc dans le réseau viaire ptolémaïque, vers l’escalier de 100 marches, à l’autre extrémité de la rue R9, qui permettait d’accéder au sanctuaire de Sarapis. Depuis le Sarapeion, on profitait d’une vue plongeante sur une voie qui courait jusqu’à l’île de Pharos, soit sur plus de 2 kilomètres d’une perspective rectiligne vers la mer. Cette découverte donne à réfléchir sur l’aspect théâtral de l’urbanisme de la cité et sur la date haute de ce dessein d’urbaniste, qui appartient à la conception originelle du IVème siècle avant notre ère.

          Historiographie de l’archéologie d’Alexandrie
          Fig. 20 – Lettre de Heinrich Schliemann, découvreur de Troie et de Mycènes, du 4 janvier 1889.
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          Fig. 20 – Lettre de Heinrich Schliemann, découvreur de Troie et de Mycènes, du 4 janvier 1889.
          Fig. 21 – D.G. Hogarth.
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          Fig. 21 – D.G. Hogarth.
          Fig. 22 – Ernst von Sieglin.
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          Fig. 22 – Ernst von Sieglin.

          Suite à la réhabilitation d’Alexandrie et de son port sous Méhémet Ali au début du XIXème siècle, la ville retrouva son caractère cosmopolite. Le centre-ville, correspondant au cœur de la ville antique, fut urbanisé dans les années 1830-1850, et il fallut attendre les grands projets immobiliers de la fin du XXème siècle pour pouvoir y pratiquer des fouilles, toujours dans l’urgence, sous la pression des promoteurs. Il y eut cependant quelques essais de fouilles au XIXème siècle. Heinrich Schliemann, en 1889, se mit, sans succès, en quête du tombeau d’Alexandre. Il écrivit dans une lettre aux savants locaux : « Je partage parfaitement votre opinion que le Sôma doit se trouver dans les environs immédiats de la mosquée du prophète Daniel, laquelle couvre probablement le site exact du Tombeau d’Alexandre. Très vraisemblablement le Mnéma ou Tombeau de Cléopâtre et de Marc Antoine faisait aussi partie du Sôma. » (fig. 20). D.G. Hogarth (fig. 21), envoyé par la British School of Archaeology d’Athènes, s’enfonça en 1894 dans les déblais de la colline de tessons de Kôm el-Dikka où il découvrit, par plus de 10 mètres de profondeur, des couches romaines tardives. Devant ces désillusions, les grandes missions archéologiques abandonnèrent Alexandrie. À l’exception notable d’Ernst von Sieglin (fig. 22), qui fouilla et publia de façon remarquable la nécropole de Kôm el-Chougafa, les recherches archéologiques y furent longtemps menées exclusivement par des notables et des savants locaux. Les grandes familles bourgeoises, les d’Anastasi, Demetriou, Passalacqua, Pugioli et autres, s’étaient constitué des collections d’antiquités. En 1892, Giuseppe Botti réussit à décider la Municipalité à fonder le Musée Gréco-romain. Sous l’impulsion de Botti fut fondée l’année suivante la Société archéologique d’Alexandrie, dont le Bulletin parut pour la première fois en 1898, et qui est toujours en activité. Le musée et ses directeurs successifs, Botti, Brescia, Adriani et Rowe, procédèrent ou participèrent à de nombreuses fouilles. Ils eurent également la tâche ardue de veiller à la conservation des monuments antiques. « Il m’est arrivé souvent, écrivit Botti, de trouver des sarcophages sciés précédemment par les carriers et manquant de telle ou telle autre partie sculptée, qu’on avait vendue au détail aux antiquaires de la ville ». Botti publia des rapports sur la marche du musée et commença les fouilles scientifiques à Alexandrie, entre autres dans la région du Sérapeion et à Kôm el-Chougafa avec le financement de von Sieglin. Evaristo Breccia, son successeur à la tête du Musée, en publia le premier catalogue. Il publia également le premier recueil épigraphique d’Alexandrie, Izcrizioni greche e latine, en 1911. Achille Adriani publia de 1961 à 1966 le Repertorio d’arte dell Egitto Greco-Romano. Alan Rowe, qui reprit la direction du Musée pendant la deuxième guerre mondiale, fouilla le Sérapeion, où il découvrit notamment le dépôt de fondation et l’enceinte du temple de Sérapis.

          Fig. 23 – Kazimierz Michalowski.
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          Fig. 23 – Kazimierz Michalowski.
          Fig. 24 – Jean-Yves Empereur.
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          Fig. 24 – Jean-Yves Empereur.

          Depuis 1960, d’abord sous la direction de Kazimierz Michalowski (fig. 23), la Mission polonaise conduit des recherches archéologiques et des travaux de restauration dans le centre d’Alexandrie, à Kôm el-Dikka. Cette Mission, qui rassemble des chercheurs du Centre d’archéologie méditerranéenne de l’Académie polonaise des sciences et du Centre polonais d’archéologie méditerranéenne dans la République arabe d’Égypte au Caire, publie le résultat de ses fouilles dans la série Alexandrie. Le tome III, paru en 1984, est consacré aux habitations romaines tardives de Kôm el-Dikka. Ce site est devenu un parc archéologique, doté de panneaux explicatifs pour les visiteurs. Il doit ce statut privilégié - en général, à Alexandrie, on détruit l’ancien pour construire du neuf - à la présence du dernier théâtre antique de la ville. Alors que des archéologues français du CNRS travaillaient déjà à Alexandrie et dans ses environs, leurs activités prirent beaucoup plus d’ampleur avec la création en 1989 du Centre d’études alexandrines dirigé par Jean-Yves Empereur (fig. 24). Répondant aux demandes du Conseil Suprême des Antiquités, en collaboration avec l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO) et l’Ecole française d’Athènes, le CEA s’est engagé dans plusieurs missions : les fouilles de sauvetage de sites d’habitat, une intervention de sauvetage dans la Nécropolis (mot forgé par Strabon pour désigner le gigantesque cimetière à l’ouest de la ville), la publication du matériel conservé au musée gréco-romain, les fouilles sous-marines au large de l’ancienne île de Pharos, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine bâti, entre autres des citernes, et enfin le partage des connaissances acquises, par la publication de livres et de films et l’organisation d’expositions. Le CEA a de plus organisé un département pédagogique, afin de sensibiliser les jeunes Alexandrins au patrimoine exceptionnel de leur cité. Pour de futurs archéologues, Jean-Yves Empereur est un modèle en ce qui concerne la médiatisation des travaux : sous son égide, pas moins de trois films ont été réalisés sur les fouilles d’Alexandrie.

          Archéologie

          La fouille de deux sites, ainsi que les recherches autour de deux problématiques, vont nous aider à nous représenter la ville telle qu’elle était dans l’Antiquité.

          Les fouilles du Centre d’études alexandrines dans le quartier du Bruccheion

          Les fouilles de sauvetage du Centre d’études alexandrines s’apparentent à un gigantesque puzzle. Les grandes structures mises en place au XIXème siècle et au début du XXème, théâtres, cinémas, garages, aux fondations peu profondes, sont démolies aujourd’hui pour laisser la place à des buildings reposant sur des piliers de béton qui descendent jusqu’à la roche en place, à 8 mètres de profondeur par endroits. Si les anciens immeubles scellaient les couches archéologiques, les constructions actuelles les détruisent complètement. Dans l’intervalle entre la démolition de l’ancienne structure et la construction de la nouvelle, le CEA dispose d’un peu de temps pour enregistrer un maximum de données. Ces données sont fragmentaires, d’une part parce que les zones de fouilles sont éloignées les unes des autres, mais aussi parce que le laps de temps dont disposent les archéologues ne leur permet pas toujours de descendre jusqu’à la couche hellénistique. De plus, les promoteurs ne préviennent pas toujours les autorités de l’ouverture des chantiers, et il arrive que les archéologues arrivent sur place alors que plusieurs mètres de déblais ont déjà été enlevés.

          Fig. 25 – Les fouilles du Centre d’études alexandrines dans le centre-ville.
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          Fig. 25 – Les fouilles du Centre d’études alexandrines dans le centre-ville.
          Fig. 26 – Andrôn de la maison macédonienne sur le site de l’ancient consulat britannique.
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          Fig. 26 – Andrôn de la maison macédonienne sur le site de l’ancient consulat britannique.

          A partir de 1992, le CEA a fouillé plusieurs sites proches dans le centre-ville (fig. 25), au sud de la pointe du Silsileh, l’ancien cap Lochias, dans le quartier du Bruccheion. Il s’agissait d’un quartier riche, voisin du quartier des palais, et situé sur une colline. Une première intervention d’urgence, dans les jardins de l’ancien consulat britannique, a permis d’atteindre les structures installées sur le rocher naturel. Un quartier d’habitation a été mis au jour, avec des murs en élévation sur plus d’un mètre de hauteur. La pièce la mieux conservée, un andrôn, ou salle à manger réservée aux hommes, présente un sol recouvert d’une mosaïque de galets avec un paillasson marquant l’entrée et une rosace au milieu (fig. 26). Le matériel archéologique trouvé sur place, notamment des monnaies émises par des cités grecques, antérieures à la réforme monétaire introduite par Ptolémée Ier en 315 av. J.-C., indique une date haute, à la fin du IVème siècle. Il s’agit donc d’une maison datant de la première génération des Alexandrins. Le meilleur parallèle pour la mosaïque de galets se trouve à Pella, l’antique capitale macédonienne (fig. 27). Il est probable que les premiers colons aient importé leurs techniques de construction. A environ 250 mètres du site précédent, le site de l’ancien théâtre Diana, inséré dans le tissu urbain actuel, a connu plusieurs campagnes de fouilles de 1994 à 1997, avec une vingtaine d’ouvriers en moyenne (fig. 28). Ces fouilles ont permis de dégager une portion de la rue R5 du plan de Mahmoud Bey. Cette rue présente une série de recharges continues, suivant l’exhaussement des habitations successives, avec une série de caniveaux à couverture en bâtière destinés à l’écoulement des eaux usées. Des ruelles secondaires, non reprises sur la carte de Mahmoud Bey, et variant selon les phases, desservaient l’intérieur des îlots. Des puits étaient aménagés dans les rues et à l’intérieur des maisons, certains d’accès public. Ils mènent, par 6 à 8 mètres de profondeur, à un système d’aqueducs souterrains recouverts d’un enduit hydraulique. En 1994, un secteur de 200 m2 a été fouillé. Sous une couche de remblai fatimide de plus d’un mètre 50 d’épaisseur et datant du Xème au XIIème siècle sont apparues les premières structures antiques, avec un sol dallé de marbre. La plupart des murs, orientés nord-sud et est-ouest, et donc dans la grille viaire repérée par Mahmoud Bey, n’étaient plus visibles qu’en négatif. Les matériaux ont été récupérés et les tranchées comblées par des remblais à l’époque fatimide. Dans la partie ouest de ce sondage, un mur orienté nord-sud fut exhumé. Au-dessus de fondations de pierre et de mortier de 40 centimètres de haut, deux assises de gros blocs calcaires étaient conservés, à 2,80 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il s’agit de vestiges d’un bâtiment important, sans doute une façade le long de la rue. Des sondages profonds ont permis de mettre à jour deux égouts superposés, à couverture en bâtière, de pente sud-nord. Un matériel céramique important a été trouvé dans le limon du fond de l’égout inférieur, ce qui permet de dater son abandon du premier siècle avant notre ère. Deux égouts plus récents, d’époque romaine, ont été mis au jour le long de la rue moderne ; cette rue moderne se trouve au-dessus de la rue R4. Sous le bâtiment romain au dallage de marbre, les fouilleurs ont découvert une maison plus ancienne, désormais appelée Maison de la Méduse d’après le décor de mosaïque qui l’ornait (fig. 29).

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            Fig. 29 – Pavement mosaïqué d’un triclinium, avec au centre l’emblema à la tête de méduse.
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            Fig. 29 – Pavement mosaïqué d’un triclinium, avec au centre l’emblema à la tête de méduse.

            Cette mosaïque a été déposée et restaurée. Elle se compose d’un tapis géométrique en pi enserrant un bouclier qui porte en son centre un gorgoneion, une tête de Méduse apotropaïque, en opus vermiculatum. L’emblema, la tête de Méduse, a été réalisée dans un atelier alexandrin puis insérée dans le tapis géométrique, ainsi que le montre le dos de cette mosaïque. La forme en pi du tapis nous donne la fonction de la pièce, une salle à manger ou triclinium, et son étude a permis de le dater du IIème siècle de notre ère. Les pièces voisines étaient pavées de dalles de marbre ou de mosaïques à décor géométrique. Ces pièces se dessinent avec les murs en négatif, les pierres ayant été récupérées. Ces murs étaient recouverts d’enduits peints dont on a trouvé de nombreux fragments. L’abandon de la maison peut être fixé, grâce à l’étude du matériel, dans la seconde moitié du IIIème siècle de notre ère. Il s’agissait certainement d’une habitation riche et de vastes dimensions. Que peut-on retirer des fouilles du quartier du Bruccheion ?

            • Elles confirment le plan de Mahmoud Bey. Les grands axes qu’il a repérés lors de ses sondages, les rues R et L, ont été régulièrement rechargés pendant les époques hellénistique et romaine, au fur et à mesure de l’exhaussement des maisons. La grande rue est-ouest, baptisée L1 par Mahmoud Bey, et plus connue sous le nom de Voie Canopique, est devenue au XIXème siècle la rue Fouad et au XXème la rue el- Hurriya. Ces fouilles ont permis un repérage topographique. Les cartes anciennes montrent rarement les élévations. Dans l’Antiquité, plusieurs quartiers et bâtiments d’Alexandrie se trouvaient sur des collines aujourd’hui nivelées. Les fouilleurs du Bruccheion ont trouvé la couche hellénistique à 2,80 mètres au-dessus du niveau de la mer sur le site du théâtre Diana, à 8,70 mètres au-dessus de la mer sur le site de l’ancien consulat britannique. Cela donne une dénivellation de près de 6 mètres. Ce quartier s’étageait donc en terrasses, à flanc de colline, en direction de la mer.La stratigraphie du quartier confirme les sources textuelles antiques. Le quartier du Bruccheion a été incendié et détruit à la fin du IIIème siècle de notre ère, soit lors de l’invasion des troupes palmyréniennes de la reine Zénobie en 269, soit lors de la reconquête d’Aurélien en 271, soit lors de la prise d’Alexandrie par Dioclétien en 297. L’absence de vestiges tardo-romains et byzantins entre les sols de marbre du IIIème siècle et les remblais d’époque fatimide montrent que le quartier est resté en friche durant plusieurs siècles. Durant la période romaine comme pendant la période hellénistique, il s’agissait d’un quartier de villas, assez peu peuplé. Ce quartier est ensuite resté longtemps inoccupé. Cela incite à revoir à la baisse les chiffres de la population de la cité. Selon les auteurs anciens, ces chiffres varient de 400000 à plus d’un million d’habitants (sans parler des exagérations de Philon qui estimait que la seule population juive se montait à un million d’habitants.) Pour Jean-Yves Empereur, la faible population du Bruccheion, quartier intra-muros, devrait nous pousser à rapprocher nos estimations du bas de cette fourchette.Enfin, le matériel abondant trouvé sur place provient de diverses origines. Les céramiques trouvées dans les niveaux d’époque impériale sur le site du théâtre Diana sont de provenances variées. 872 fragments dont 225 de céramique fine, trouvés dans le remblai au-dessus de la mosaïque à la Méduse avant sa dépose, ont fait l’objet d’une étude détaillée. On y trouve de la céramique hellénistique tardive, surtout d’Asie Mineure, ainsi que de la sigillée d’Orient, du Pont et d’Italie. Les importations représentent près des 2/3 des céramiques fines. Alexandrie était un centre majeur du trafic commercial maritime. Sur ce point, les fouilles d’habitats ne font que confirmer ce que nous apprennent la fouille des nécropoles - par exemple, la nécropole de Hadra qui a livré des centaines d’hydries fabriquées en Crète - et celle des épaves gisant à l’entrée du port, qui livre des cargaisons venant de toute la Méditerranée.

            Maisons romaines et de l’Antiquité tardive à Kom-el-Dikka

            Fig. 30 – Situation du quartier de Kôm-el-Dikka sur la carte d’Alexandrie.
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            Fig. 30 – Situation du quartier de Kôm-el-Dikka sur la carte d’Alexandrie.
            Fig. 31 – Vue en coupe des couches d’occupation à Kôm-el-Dikka.
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            Fig. 31 – Vue en coupe des couches d’occupation à Kôm-el-Dikka.

            Kôm el-Dikka se trouve en plein centre-ville, juste au sud de la rue principale L1 (fig. 30); comme son nom, Kôm, l’indique, il s’agissait d’une colline. Les archéologues de la Mission polonaise y ont mis au jour deux couches d’occupation distinctes séparées par une couche de destruction et de remblais (fig. 31). Il n’y a pas superposition des murs anciens et plus récents sur ce site. Entre les deux périodes intervint une nouvelle division du parcellaire. La couche inférieure nous est connue par des fouilles pratiquées entre les bâtiments tardifs et par des sondages. Ces restes romains anciens ne donnent que des informations morcelées. Les fouilleurs ont cependant pu reconnaître plusieurs maisons aux plans assez similaires. La mieux conservée est la maison Alpha, dite aussi Maison aux oiseaux, d’après les mosaïques de sa salle à manger.Elle comporte 6 pièces organisées autour d’une cour dallée, et un système de canalisations. La céramique retrouvée sur place permet de dater le début de l’occupation du milieu du premier siècle de notre ère. Des réparations pratiquées sur les mosaïques et des céramiques plus tardives montrent que ce niveau a été occupé jusqu’à la fin du IIIème siècle, époque à laquelle le quartier fut détruit par un incendie. Cette date de destruction recoupe celle du quartier du Bruccheion. Au vu des vestiges de la maison aux oiseaux et des maisons voisines, lors de cette première occupation mise au jour, le quartier de Kôm el-Dikka se composait de maisons coûteuses, possédant des salles à manger aux sols mosaïqués comme dans les maisons grecques, et des cours à pseudo-péristyles, c’est à dire avec des colonnes engagées, un croisement entre le péristyle grec à colonnes libres et le puits de lumière interne des maisons égyptiennes. Dans certains cas, des installations de bains privées étaient rattachées aux maisons.

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              Fig. 34 – Plan de la seconde phase d’occupation à Kôm-el-Dikka.
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              Fig. 34 – Plan de la seconde phase d’occupation à Kôm-el-Dikka.
              Fig. 35 – Théâtre romain, Kôm-el-Dikka.
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              Fig. 35 – Théâtre romain, Kôm-el-Dikka.

              Suite à la destruction du quartier à la fin du IIIème siècle, le caractère de l’occupation a changé. Les villas romaines urbaines ont cédé la place à des constructions publiques et à un quartier d’habitations plus modestes. L’agencement des rues à l’intérieur de l’îlot changea également. Une isolation complete se forma entre les deux couches de construction, séparées par des strates de terre. La direction des murs et des rues principales fut par contre respectée. Le changement de caractère des constructions au cours de deux périodes historiques ne modifia pas l’orientation des édifices là où des constructions urbaines plus anciennes subsistaient aux alentours. La seconde période correspond à un programme d’urbanisme organisé (fig. 34). Après remblayage et nivelage de la couche de destruction, un ensemble d’édifices publics fut érigé sur la partie ouest du site, entre les rues L1 et L’2 et les rues transversales R4 et R5. Cet ensemble comprenait une citerne en surface, s’élevant à près de 10 mètres de haut de façon à conserver l’eau à une pression suffisante pour alimenter les bains impériaux voisins, des salles de lecture, un théâtre (fig. 35) – le seul conservé à Alexandrie –, la nouvelle rue menant à ce théâtre, une latrine publique et un collecteur d’eaux usées. Ce complexe fonctionna de la fin du IVème à la fin du VIIème siècle. Sur la partie est du site, au-delà de la rue R4, fut implanté le quartier d’habitations. Il s’agissait cette fois de maisons bon marché incluant des boutiques et des ateliers (figs. 36 et 37).Les vestiges de ce quartier se composent de fondations, de sols, de murs atteignant par endroit une hauteur de 2 mètres 90 et d’installations hydrauliques. Des peintures murales ont été retrouvées en place. Les murs de ces maisons furent construits en petits blocs de calcaire fixés par du mortier, stuqués et peints, ainsi qu’en matériaux de remploi. Elles furent occupées jusqu’au VIIème siècle, avec des modifications et des changements dans l’utilisation des pièces. On entrait dans les maisons C, D, E, G et H par la rue R4. Les maisons A et B étaient petites et sur un seul niveau. Les pièces des maisons G et H ouvrant sur la rue R4 devaient être des échoppes. Les pièces à l’arrière des maisons étaient employées comme ateliers et aires domestiques. Il y avait une latrine publique derrière la maison H. Le quartier disposait d’un système d’égouts bien planifié et exécuté. Les ateliers des maisons A, B, D, F et H servaient au travail de pierres semi-précieuses comme le cristal de roche et au travail du verre. Dès l’époque ptolémaïque, le verre faisait partie des principales exportations égyptiennes, après le grain et le papyrus. Des fragments de cristal de roche et de verre, ainsi que des perles de verre coloré, furent trouvés dans beaucoup de pièces de ces maisons, suggérant une aire spécialisée dans ces artisanats.

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                Fig. 38 – Plan de la maison D.
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                Fig. 38 – Plan de la maison D.

                La maison D étant bien conservée, son plan est assez clair (fig. 38). De la rue R4, on accédait à une longue cour avec des ateliers des deux côtés. A l’extrémité est de cette cour, face à l’entrée, il y avait une latrine et un escalier conduisant aux espaces domestiques à l’étage. Le plan du dernier état de la maison D rappelle celui des insulae à étages de Rome et d’Ostie. Cette maison résulte de la réunion de deux maisons de 5 pièces se situant au nord et au sud d’une cour commune. Les deux habitations avaient des pièces axées est-ouest, disposées en rangées avec portes et fenêtres donnant sur la cour. La latrine et l’escalier, à l’extrémité est de la cour, ont dû être construites lors de la réunion des deux maisons. La taille des pièces varie, de même que l’ornementation de leurs murs. Rodziewicz, qui rédigea et publia en 1984 les résultats de ces fouilles, en conclut que les trois salles les plus proches de la rue étaient destinées à recevoir des gens du dehors, les autres salles, aux décors plus modestes, étant réservées aux habitants. Les ergasteria, ateliers ou échoppes, sont des ajouts tardifs. La cour se divisait en trois zones utilitaires : une partie ouest, munie de banquettes de pierre, devait être destinée aux réunions et au repos. La zone centrale était réservée au culte ; on y trouva une fresque représentant une Madone trônant et portant l’enfant Jésus sur les genoux, ainsi que des pointes de fer fichées dans le mur et servant probablement à accrocher les chaînettes des lampes à huile (fig. 41). Enfin, la zone est comprenait, en plus de l’escalier, la latrine et les traces d’une installation qui pouvait servir d’étagère pour des cruches d’eau afin de se laver les mains. Les sols de cette maison étaient pour la plupart en terre battue. La pièce D 6, de 5,15 mètres sur 2,90, était la plus grande pièce de l’aile sud. Dans un premier état, elle conserva un sol appartenant à une construction plus ancienne et comportant une mosaïque en noir et blanc avec motifs géométriques, en opus tessellatum. Cette mosaïque fut par la suite recouverte de terre battue. Les seuils des différentes pièces étaient soit en pierre, soit en bois reposant sur des blocs de pierre. Les murs de façade ont disparu, mais les murs intérieurs sont conservés sur une hauteur allant jusqu’à 2 mètres 90. Les enduits couvrant certains murs portaient des décorations gravées : croix, zigzags, motifs floraux. En plus des nombreux déchets d’artisanat, le mobilier trouvé sur place comprend des outils tels que des enclumes, des objets d’usage quotidien - fragments de bouteilles de terre cuite, d’amphores, d’assiettes -, ainsi que des monnaies, et des ampoules de saint Ménas (fig. 64), petits récipients d’argile destinés à contenir une eau aux propriétés réputées miraculeuses. La salle D13 disposait d’un puits, de deux bassins aux parois recouvertes d’un enduit hydraulique et d’une rainure d’écoulement dans le sol pour l’évacuation des eaux usées. Lors de la dernière phase d’occupation de la maison, le puits fut comblé avec une terre contenant de nombreuses perles de verre inachevées, ainsi que de la vaisselle, des amphores, des lampes et des aiguilles en os. Le puits faisait alors office de fosse à détritus. La latrine se composait d’un couloir d’accès de 60 centimètres de large, d’une pièce de 2 mètres 20 sur 2 mètres 55, d’une banquette, d’un canal d’écoulement inséré dans l’angle sud-est et venant d’une seconde latrine située à l’étage, enfin de la fosse d’aisance placée sous un dallage qui a disparu depuis. La fosse d’aisance renfermait beaucoup de petits objets, fragments de céramique, de verre, de lampes, de terre cuite, ainsi que des petites monnaies. Du point de vue archéologique, ce dépôt était particulièrement important, car formant un ensemble clos, dont les objets furent utilisés uniquement par les habitants de la maison, et non au cours de sa destruction ou après celle-ci. De ce fait, cet ensemble permet de définir la chronologie de la maison D et le niveau de vie de ses habitants dans ses dernières phases d’occupation.

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                  Fig. 42 – Essai de restitution de l’escalier de la maison D.
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                  Fig. 42 – Essai de restitution de l’escalier de la maison D.

                  L’escalier fut construit en même temps que la latrine, lors de la réunion des deux maisons primitives. Il joignait les deux ailes et permettait d’accéder à au moins un étage et au toit. Sous les marches se formèrent deux espaces vides utilisés comme réduits et accessibles depuis la cour. L’escalier était étroit, environ 90 centimètres de large, et formé de blocs calcaires soigneusement taillés et posés sur des poutres en bois dont les extrémités étaient fixés dans les murs latéraux.

                  On ne connaît pas de tuiles à Kôm el-Dikka, ce qui implique que le type prédominant était la maison gréco-égyptienne où, indépendamment du nombre d’étages, un escalier menait au toit plat, dont la surface était utilisée et pouvait même être louée. Dans le cas de la maison D, le nombre important de blocs dans les décombres, l’épaisseur des murs - une quarantaine de centimètres -, le peu de distance entre ces murs - la plus grande pièce est large de 2 mètres 90 -, l’escalier et la latrine installée au-dessus de celle du rez-de-chaussée, identifiée par son canal d’évacuation, confirment la présence d’au moins un étage avant le toit plat. Ce toit était formé de poutres de soutien en bois, probablement recouvertes de planches, portant des plaques de calcaire recouvertes d’un mortier de chaux et de cendre. Des traces de fenêtres et de portes sont conservées. Une construction en bois dans les fenêtres, sous forme de grilles ou de volets, ressemblant aux moucharabiehs, semble le plus probable. L’utilisation de vitres est possible, des fragments de verre plat ayant été trouvés sur place. Des fouilles françaises à Esna ont montré que de grandes assiettes en verre plat étaient placées dans des encadrements de fenêtres, enrobées de plâtre ou de stuc. Des serrures et des clefs de fer ont été découvertes. Au début du VIème siècle de notre ère, des boutiques étroites furent construites du côté ouest de la rue R4, ramenant sa largeur à environ 6 mètres 50. Du VIème au VIIème siècle, des structures similaires furent également bâties du côté est de la rue, ne laissant à celle-ci qu’une largeur d’environ 3 mètres 50. La rue resta droite, mais bordée d’échoppes et d’ateliers des deux côtés, formant un souk. À la même époque, des maisons isolées ou des îlots s’insérèrent entre les bâtiments publics. A la fin du VIIème siècle, le terrain compris entre les thermes et la citerne était couvert de petits bâtiments construits en matériau léger. Il n’en est resté que des traces infimes.

                  Les citernes

                  Fig. 43 – La citerne al-Nabih.
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                  Fig. 43 – La citerne al-Nabih.

                  L’auteur de la Guerre d’Alexandrie et Jean de Thévenot parlaient dans leurs récits de l’adduction en eau et des citernes d’Alexandrie. La colonne et la plaque de calcaire d’époque romaine mentionnées plus haut commémoraient l’ouverture ou le réaménagement du Canal Auguste. Les fouilles archéologiques confirment l’omniprésence de l’eau à Alexandrie. Le quartier de Kôm el-Dikka était équipé d’une grande citerne. L’approvisionnement en eau d’une ville de 500000 habitants demandait une planification et l’entretien régulier des installations. Un premier système d’alimentation de la ville en eau fut mis en place dès le début de la période ptolémaïque. Il se composait d’un canal reliant Alexandrie à la branche Canopique du Nil, qui se trouvait à l’époque à une trentaine de kilomètres au sud-est de la ville, de cinq canaux orientés nord-sud, et d’un réseau secondaire d’aqueducs souterrains distribuant l’eau dans les différents quartiers. Le canal principal était navigable. Il permit entre autres d’amener d’Héliopolis de nombreux fragments architecturaux d’époque dynastique pour orner la ville. Ce réseau hydraulique était conçu dès le départ en vue d’un développement maximal de la cité. Les rues et les maisons étaient alimentées, via des puits, par un système d’eau courante qui allait se jeter dans la mer. Ce réseau est resté en usage jusqu’à l’époque romaine.Le 21 juillet 365 de notre ère se produisit ce que les auteurs anciens appelèrent le « cataclysme universel ». La plaque tectonique africaine s’encastra sous la plaque européenne, produisant un tsunami. La côte de la Cyrénaïque et d’Alexandrie s’enfonça de plusieurs mètres. Le réseau des canalisations se retrouva sous le niveau de la mer, et tout le système dut être revu. Ceci pourrait expliquer les canalisations superposées retrouvées lors des fouilles du théâtre Diana. Les Alexandrins se mirent alors à creuser de grandes citernes pour recueillir l’eau de la crue du Nil, les habitants buvant désormais une eau stockée pendant un an. Les citernes étaient remplies par les canaux venant du grand canal, prolongés par un réseau d’aqueducs souterrains. La grande profondeur de ces citernes permettait à l’eau de se décanter, les impuretés tombant dans le fond. On tirait l’eau des citernes en utilisant un saqiya muni d’une guirlande de cruches.

                  Fig. 44 – Vue en coupe d’un puits et d’une citerne.
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                  Fig. 44 – Vue en coupe d’un puits et d’une citerne.
                  Fig. 45 – Relevés de citernes par l’ingénieur Kamil.
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                  Fig. 45 – Relevés de citernes par l’ingénieur Kamil.

                  Il devait y avoir en fonctionnement, aux époques romaine tardive, byzantine et islamique, des milliers de citernes. Les savants de l’Expédition d’Égypte en recensèrent 400. Mahmoud Bey, qui pratiqua des centaines de sondages, en dénombra 800 en 1865. En 1896, l’ingénieur Kamil en retrouva 129 (fig. 45). Pendant la Seconde Guerre Mondiale, certaines citernes furent aménagées en abris anti-aériens. Pendant l’avancée de Rommel, les Alexandrins s’y réfugiaient pour échapper aux bombardements allemands et italiens. Lorsque, en 1990, le Centre d’études alexandrines se mit à la recherche de ces citernes, une seule était connue, la plus grande, la citerne d’el Nabih. En 1992, 5 autres avaient été retrouvées, grâce aux témoignages d’Alexandrins s’y étant réfugiés lors des alertes aériennes de 40-45. Par la suite, Madame Dorreya Saïd, directrice du musée gréco-romain, mit le CEA sur la piste d’archives du Service des Eaux qui contenaient des plans, coupes et croquis de situation, la plupart signés par l’ingénieur Kamil, de 144 citernes. Le CEA en établit les relevés avant d’en fouiller deux, les citernes d’el Gharaba et d’el Nabih. Leurs couvertures étaient composées d’une dalle de blocs de calcaire local. Leurs sommets étaient exhaussés par rapport à la surface du quartier environnant, ce qui empêchait le ruissellement des eaux sales à l’intérieur des réservoirs. Les fouilles ont fourni des indications chronologiques sur les phases de construction, indications qui permettent de dresser des typologies des citernes, de l’époque romaine jusqu’à l’époque ottomane. Beaucoup des citernes qui ont survécu semblent avoir existé dès les périodes romaine tardive et byzantine. Elles sont caractérisées par des rangées internes de colonnes comptant jusqu’à trois étages, supportant des arches. Elles incluent beaucoup de colonnes et de chapiteaux réemployés. Des citernes similaires furent construites à Constantinople à la même époque. Certaines de celles d’Alexandrie furent rebâties ou réparées pendant la période islamique. Il existe quelques citernes plus anciennes, remontant au Haut Empire romain ou à la période ptolémaïque. Ces citernes sont souvent de forme irrégulière et ne comportent qu’un seul étage taillé dans le roc et aucune colonne. Mahmoud Bey repéra des canaux d’adduction d’eau sous certaines des rues principales et secondaires, et d’autres ont été trouvés en fouille depuis, dont un sous l’Heptastade, qui approvisionnait l’île de Pharos. Ces aqueducs souterrains semblent appartenir au plan originel de la cité. De nombreux drains et égouts, ainsi que des conduites d’eau incluant des tuyaux en plomb du début de l’époque romaine et des tuyaux romains tardifs en terre cuite ont également été mis au jour. Quels renseignements peut-on tirer de l’étude des citernes et de l’approvisionnement en eau d’Alexandrie ?

                  • Cette étude permet d’identifier les matériaux et les techniques de construction de ces structures et leur évolution sur une longue période.Retrouver le réseau des aqueducs et des citernes permet de vérifier le plan de la ville antique. Ce réseau constituait une véritable ville souterraine, doublant la cité de la surface et son réseau viaire.Les nombreuses pièces architecturales réemployées dans les citernes proviennent de bâtiments qui nous sont connus par les sources antiques. On peut étudier ces éléments de remploi, par exemple les colonnes et les chapiteaux, et voir s’il est possible de les attribuer à des monuments précis afin d’en faire une restitution plus exacte.

                  Aegyptiaca

                  La ville et les temples d’Héliopolis, en ruines, servirent de carrière aux Alexandrins. Ceux-ci en retirèrent de nombreux fragments architecturaux, parmi lesquels des colonnes, des sphinx, des statues et des obélisques. Baptisés d’abord Pharaonica par Jean Yoyotte, puis Aegyptiaca, terme qui semble devoir rester en usage, ces remplois d’époque dynastique sont très nombreux à Alexandrie, où ils devaient contribuer à donner au paysage urbain un aspect exotique. Dans son ouvrage paru en 2007, The Architecture of Alexandria and Egypt c. 300 BC to AD 700, Judith Mac Kenzie recense environ 400 blocs architecturaux et sculpturaux d’époque pharaonique trouvés à Alexandrie. L’égyptologue et plongeur Jean-Pierre Corteggiani en a dénombré 50 dans les fouilles sous-marines menées au large de l’ancienne île de Pharos. Ces blocs et sculptures proviennent de temples égyptiens de la période dynastique, bâtis sur d’autres sites, spécialement Héliopolis. Certains de ces éléments ont été retaillés afin de servir de matériaux bruts, mais beaucoup d’autres ont été réutilisés en gardant leur apparence égyptienne originelle.

                  Fig. 46 – Colosse pharaonique remonté des eaux du port d’Alexandrie.
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                  Fig. 46 – Colosse pharaonique remonté des eaux du port d’Alexandrie.

                  C’est le cas par exemple de 3 colonnes monolithes papyriformes de granit rouge portant des cartouches aux noms de Thoutmosis IV, Merenptah et Séti II, qui proviennent de Memphis (fig. 47). Sept blocs de grauwacke trouvés à Alexandrie proviennent d’un kiosque ou d’un bâtiment de ce genre érigé à Saïs ou à Héliopolis, comme indiqué dans leurs inscriptions hiéroglyphiques des XXVIème et XXXème dynasties. Ces blocs ont été réutilisés dans une structure – peut-être une fontaine – d’apparence égyptienne. L’inscription grecque sur un de ces blocs date de l’époque romaine. Des fragments appartenant à plusieurs obélisques, des sphinx et des blocs architecturaux d’époque pharaonique ont été trouvés sous l’eau, parmi les quelques 3000 blocs antiques provenant probablement du Phare. Dans la même zone, des statues représentant les premiers Ptolémées en pharaons et leurs épouses en Isis ont été repêchées. Il apparaît donc que, dès le IIIème siècle avant notre ère, la ville et le phare avaient une parure pharaonique rappelant leur localisation sur une terre d’ancienne civilisation. Les « Aiguilles de Cléopâtre » constituent sans doute l’exemple le plus frappant des Aegyptiaca d’Alexandrie (fig. 49). Un des rares monuments antiques localisés avec certitude est le Césareum, commencé par Cléopâtre VII en l’honneur de Jules César ou de Marc Antoine, mais achevé par Auguste qui le dédia au culte impérial. Son entrée était décorée par deux obélisques acheminés depuis Héliopolis et portant les cartouches de Thoutmosis III, Ramsès II et Séthi II. Une inscription bilingue gréco-romaine gravée sur un des crabes de bronze qui soutenaient ces obélisques nous apprend qu’ils furent érigés à Alexandrie par Publius Rubrius Barbatus, préfet d’Égypte, en 13 avant notre ère. Ces deux obélisques restèrent en place jusqu’au XIXème siècle, l’un debout, l’autre abattu par un tremblement de terre. Méhémet Ali en donna un à l’Angleterre où il fut transporté en 1877. L’autre, cédé aux Etats-Unis en 1879, se trouve à Central Park à New York.

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                    Essai d’interprétation

                    Fig. 50 – Nécropole de Kôm-el-Chougafa.
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                    Fig. 50 – Nécropole de Kôm-el-Chougafa.
                    Fig. 51 – Scène funéraire combinant des divinités égyptiennes, des vases canopes et des éléments de décor - masques et guirlandes - gréco-romains.
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                    Fig. 51 – Scène funéraire combinant des divinités égyptiennes, des vases canopes et des éléments de décor - masques et guirlandes - gréco-romains.

                    Pouvons-nous, en nous basant sur les sources disponibles, tenter une restitution de l’aspect des maisons d’Alexandrie dans l’Antiquité ? Judith McKenzie a développé récemment la thèse selon laquelle l’architecture grecque des colons nouvellement installés a interagi avec la tradition architecturale égyptienne, amenant le développement de formes structurales « baroques » qui se sont ensuite diffusées largement sous le Haut Empire romain. Une première source pour tenter cette restitution doit être cherchée dans les nécropoles. Pour Evaristo Brecchia, « La maison des morts reproduisait dans son plan et dans les éléments de sa construction la maison des vivants ». Les façades des tombes d’Alexandrie mélangent des éléments égyptiens, grecs et romains, combinant frontons incurvés, sphinx et colonnes corinthiennes, représentations de scènes de momification de la religion osirienne et masques et guirlandes dionysiaques. Anubis porte une armure de légionnaire romain. Un agathodémon portant à la fois le pschent, le caducée d’Hermès et le thyrse de Dionysos est surplombé par une tête de Méduse apotropaïque. Beaucoup de ces tombes sont arrangées autour de cours à ciel ouvert, de même que les pièces des maisons les plus monumentales étaient arrangées autour d’un péristyle. Une deuxième source réside dans les nombreux fragments architecturaux conservés in situ ou au musée gréco-romain. Ces fragments ont été retrouvés épars, et souvent réemployés dans les habitations tardives, les murailles, les citernes ou les mosquées. Certains de ces fragments, par exemple des pieds de colonnes ornés de feuilles d’acanthe ou des chapiteaux grecs ornés de papyrus, sont propres à l’architecture ptolémaïque.

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                      Fig. 55 – Pétra, façade de la Khazneh Fir’aoun (le Trésor du pharaon).
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                      Fig. 55 – Pétra, façade de la Khazneh Fir’aoun (le Trésor du pharaon).
                      Fig. 56 – Œcus (salle de réception à colonnes) corinthien de la Maison du Labyrinthe, Pompéi.
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                      Fig. 56 – Œcus (salle de réception à colonnes) corinthien de la Maison du Labyrinthe, Pompéi.

                      Existe-t-il ailleurs des bâtiments complets ou des représentations de bâtiments combinant ces divers éléments ? En 1862, l’architecte français Hittorff observa une ressemblance entre le Khazneh Fir’Aoun de Pétra (fig. 55) et l’oecus corinthien de la Maison du Labyrinthe à Pompéi (fig. 56). La même ressemblance peut être constatée entre d’autres façades rupestres de Pétra comme le Deir (fig. 57) et d’autres fresques du deuxième style pompéien, dans la Villa de Publius Fannius Sinistor à Boscoreale (fig. 58) ou la Villa d’Oplontis (fig. 59). On y retrouve une tholos au toit en forme de tente surmontée par un chapiteau corinthien et une urne, encadrée par un fronton brisé. Ces façades et ces fresques datent de la première moitié du Ier siècle avant notre ère, à une époque où Pétra était la capitale du royaume nabatéen. La relation entre ces façades et ces fresques fut d’abord un mystère. Dans les deux cas, il s’agissait d’architecture baroque. Ce style se caractérise d’une part par l’emploi de parties structurelles comme décoration de surface : colonnes engagées, pilastres, quarts de colonnes. L’architrave est supportée par le mur, et non par ces éléments. Cet usage d’éléments structurels comme décoration de surface est attesté en Grèce à partir du Vème siècle avant notre ère. Le style baroque se caractérise d’autre part par l’usage de formes nouvelles et plus complexes de frontons et d’architraves. Cet aspect semble s’être développé en premier lieu à Alexandrie, où survivent dans les nécropoles les plus anciens exemples connus de frontons et d’architraves baroques : frontons brisés, creux, segmentaires, à volutes et incurvés. Ces frontons sont directement inspirés par l’architecture égyptienne. Les représentations d’architecture baroque dans les fresques du deuxième style pompéien précédaient de plus d’un siècle la construction de bâtiments baroques dans l’architecture romaine. De tels bâtiments n’apparaissent en effet qu’à la fin du 1er siècle de notre ère. On a longtemps pensé que ces fresques représentaient une architecture fantastique, librement inspirée par les architectures romaine et hellénistique de l’époque, ainsi que par la peinture de décors de théâtre. H. Lauter fut le premier à voir dans ces fresques la représentation d’une architecture réelle. Les similitudes entre ces fresques et les façades de Pétra suggèrent une origine commune dans un centre majeur avec lequel les deux sites étaient en contact. Dans les années 1970, un chercheur suisse, K. Schefold, identifia dans ces fresques l’architecture d’Alexandrie. D’autres éléments viennent étayer cette thèse. L’unité de mesure utilisée à Pétra était, comme à Alexandrie, la coudée égyptienne de 0,525 mètre. On retrouve dans les fresques du triclinium de la Villa d’Oplontis les bases de colonnes ornées de feuilles d’acanthe typiques de l’architecture d’Alexandrie (figs. 60 et 61). On pourrait multiplier les exemples. Il n’est en tout cas pas déraisonnable de penser que les riches demeures de l’Alexandrie ptolémaïque ressemblaient aux demeures représentées sur les fresques des riches villas de Pompéi, Boscoreale et Oplontis.

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                        Conclusion

                        Fig. 62 – Milet, Asie Mineure, Porte du marché, 120-130 ap. J.-C.
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                        Fig. 62 – Milet, Asie Mineure, Porte du marché, 120-130 ap. J.-C.
                        Fig. 63 – L’Obélisque du Vatican.
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                        Fig. 63 – L’Obélisque du Vatican.
                        Fig. 64 – Ampoule de saint Ménas, fin Ve-milieu VIIe siècle. Terre cuite. Metropolitan Museum, New York.
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                        Fig. 64 – Ampoule de saint Ménas, fin Ve-milieu VIIe siècle. Terre cuite. Metropolitan Museum, New York.

                        La fenêtre d’opportunité sur le passé qu’offrent à l’archéologie les grands travaux d’urbanisme de la fin du XXème siècle et du début du XXIème ne durera pas longtemps. Bien que menées dans l’urgence, les fouilles s’attachent aujourd’hui à étudier tant les habitats que les bâtiments publics, et les méthodes scientifiques d’enregistrement des données permettent de voir l’évolution dans le temps de quartiers entiers. La comparaison qui est faite ensuite entre différents quartiers et sites, ainsi que le recoupement des sources documentaires et archéologiques, nous donnent une idée de plus en plus précise de ce qu’était une ville antique, et de la façon dont une telle ville a pu changer au fil des événements climatiques et historiques.

                        Des sources disponibles, il ressort qu’il se produisit à Alexandrie, à partir de la fin du IVème siècle avant notre ère, une émulation entre deux formes d’art et d’architecture, parallèlement à un essai de combinaison des religions égyptienne et grecque qui produisit le culte de Sarapis. L’art et l’architecture grecs ont subi une profonde influence de l’art et de l’architecture égyptiens, et ce mélange s’est résolu en un nouveau style qui s’est ensuite, sous l’empire romain, diffusé tout autour de la Méditerranée.

                        C’est ce style que l’on connaît sous le nom de Baroque romain. Ce n’est pas un hasard si le premier nymphée connu et la première rue à colonnade mentionnée par Strabon se trouvaient à Alexandrie. C’est en passant par Alexandrie que la civilisation égyptienne influença le plus profondément et le plus durablement le monde gréco-romain. En témoigne toujours l’obélisque du Vatican, transporté d’Alexandrie à Rome sous Caligula.

                        Sous le Bas-Empire romain et à l’époque byzantine, le christianisme imprégna profondément la société alexandrine. Les temples “païens” furent détruits sous Théodose, à la fin du IVème siècle de notre ère, et des couches de destruction en témoignent. Le matériel archéologique porte également la trace de l’influence du christianisme dans la vie quotidienne sous forme de tombeaux, de fresques ou d’humbles reliques, telles les ampoules de saint Ménas.

                        Bibliographie choisie

                        • Sources antiques
                          • Diodore de Sicile, Histoire universelle, Livre XVII.
                          • Philon d’Alexandrie, Contre Flaccus.
                          • Pseudo-César, Guerre d’Alexandrie.
                          • Strabon, Géographie, Livre XVII.

                        • Sources modernes
                          • Arnaud, J.-L., Nouvelles données sur la topographie d'Alexandrie antique, BCH 121, Athènes, 1997, p. 721-737.
                          • Ballet, P., La vie quotidienne à Alexandrie, 331-30 av. J.-C., Paris, 1999.
                          • Bernand, A., Alexandrie la Grande, seconde édition, Paris, 1996.
                          • Bernand, E., Inscriptions grecques d’Alexandrie ptolémaïque, Le Caire, 2001.
                          • Breccia, E., Alexandrea ad Aegyptum, Guide de la ville ancienne et moderne et du musée gréco-romain, Bergame, 1914.
                          • Christiansen, E. et Kromann, A., Sylloge Nummorum Graecorum, The Royal collection of coins and medals, Danish National Museum, Alexandria-Cyrenaïca, Copenhaghe, 1974.
                          • Daszewski Wiktor A. Notes sur la trame urbaine de l'ancienne Alexandrie (note d'information), Comptes-rendus des séances de l'année... - Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 138, n° 2, 1994, p. 423-429.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie redécouverte, Paris, 1998.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 119, Athènes, 1995, p. 743-760.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 120, Athènes, 1996, livraison 2, p. 959-970.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 122, Athènes, 1998, livraison 2, p. 611-638.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 123, Athènes, 1999, livraison 2, p. 545 - 568.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 124, Athènes, 2000, livraison 2, p. 595-619.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 125, Athènes, 2001, p. 679-700.
                          • Empereur, J.-Y., Alexandrie (Égypte), BCH 126, Athènes, 2002, livraison 2, p. 615-626.
                          • Empereur, J.-Y., et al., Alexandrina 1, Le Caire, 1998.
                          • Empereur, J.-Y., Du nouveau sur la topographie d’Alexandrie (note d’information), Comptes-rendus des séances de l'année... - Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 146, n° 3, 2002, p. 921 - 933.
                          • Empereur, J.-Y., L’eau d’Alexandrie. L’alchimie du H2O au Centre d’Etudes Alexandrines, in Hairy, I., dir., Du Nil à Alexandrie, histoires d’eau, Catalogue d’exposition, Alexandrie, 2009, p. 16-35.
                          • Empereur J.-Y., Grimal N., Les fouilles sous-marines du phare d'Alexandrie, Comptes-rendus des séances de l'année... - Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 141, n° 3, 1997, p. 693-713.
                          • Empereur J.-Y., Hesse A., Picard O., Alexandrie (Égypte) 1992-1993, BCH 118, livraison 2, 1994, p. 503-519.
                          • Fraser, P.M., Ptolemaic Alexandria I-III, Oxford, 1972.
                          • Green, P., D’Alexandre à Actium, Du partage de l’empire au triomphe de Rome, trad. O. Demange, Paris 1997.
                          • Henrichs, A., Vespasian’s Visit to Alexandria, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, Bd. 3, 1968, P. 51-80.
                          • Jondet, G., Mémoires présentés à la société Sultanieh de géographie et publiés sous les auspices de sa Hautesse Ahmed Fouad, Sultan d’Égypte, Tome II, Atlas historique de la ville et des ports d’Alexandrie, Le Caire, 1921.
                          • Kayser, F., Recueil des inscriptions grecques et latines, non funéraires, d'Alexandrie impériale, Le Caire, 1994.
                          • Lamy, F. et Bruwier, M.-C., L’égyptologie avant Champollion, Louvain-la-neuve, 2005.
                          • McKenzie, J., The Architecture of Alexandria and Egypt c. 300 BC to AD 700, New Haven et Londres, 2007.
                          • Martinez-Sève, L., Alexandrie : travaux récents, Histoire urbaine, Paris, 2000/2, n°2, p. 189-202.
                          • Mélèze-Modrzejewski, J., L’Égypte, in Lepelley C., dir., Rome et l’intégration de l’Empire, 44 av. J.-C. - 260 ap. J.-C., tome 2, Approches régionales du Haut-Empire romain, Paris, 1998, p. 435-494.
                          • Michalowski, K., Rodziewicz, M. et Borkowski, Z., Alexandrie, vol. 3, Les habitations romaines tardives d’Alexandrie : à la lumière des fouilles polonaises à Kôm-el-Dikka, Varsovie, 1984.
                          • Picard, O., et al., Royaumes et cités hellénistiques, de 323 à 55 av. J.-C., Paris, 2003.
                          • Rodziewicz, M., Le débat sur la topographie de la ville antique, Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, Aix en Provence, 1987, vol. 46, 1, p. 38-48.
                          • Sennoune O., La description d’Alexandrie à travers les récits des voyageurs. Corpus des textes, CEA, février 2006.
                          • Tassignon, I., et al, Sylloge Nummorum Graecorum, Belgium, Royal Library of Belgium Coin Cabinet I, Ptolemaïc and Roman Egypt, Londres, 2014.
                          • Thuile, H., Commentaires sur l’atlas historique d’Alexandrie, Le Caire, 1922.

                        • En ligne (le 17/03/2014)