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Reporticle : 63 Version : 1 Rédaction : 01/07/2013 Publication : 30/07/2013

Mig Quinet. Abstraction faite

Figure féminine marquante de l’abstraction lyrique en Belgique dans le courant du 20e siècle, Mig Quinet a produit une œuvre dense, fougueuse et poétique.

Ses toiles, affichant une nette liberté dans le traitement de la couleur, de la touche vibrante et d’une gestuelle nerveuse, subsistent, aujourd’hui encore, comme les plus fortes de l’art moderne belge.

L’exposition vous propose de redécouvrir l’art puissant et délicat d’une artiste hors du commun.

Sonorité de la peinture

Denis Laoureux et Claire Leblanc

Mig Quinet est membre fondateur de la Jeune Peinture belge, une association qui organisa huit expositions entre 1945 et 1949, en Belgique et à l’étranger. La jeune Peinture belge a voulu répondre aux attentes d’une jeune génération d’artistes épris d’un double désir : vivre la peinture comme un espace de liberté et exposer des tableaux. Mig Quinet contribue à plusieurs expositions montées par cette association, mais sans pour autant présenter les tableaux abstraits qu’elle réalise à partir de 1944. En 1953, lors d’une exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, l’artiste révèle au public l’existence de ses tableaux abstraits.

Le langage des sons joue un rôle dans le processus qui conduit Mig Quinet vers l’abstraction au milieu des années 1940. D’un point de vue biographique, l’artiste est née dans un milieu où la musique est centrale. Elle fut l’épouse du musicien René De Nobele. La richesse de sa palette chromatique est l’expression d’un rapport symphonique à la couleur. Cette approche sonore de la peinture s’exprime également dans les thèmes chers à l’artiste : le carrousel, le cirque, la foire, la roue. La multiplicité des timbres et des sons trouve son expression picturale dans la diversité des teintes et des accords chromatiques. Les deux Trios à cordes peints en 1952 témoignent encore de cette musicalité de la peinture. Plus tard, dans les années 1960, la musique est intégrée comme signe à l’intérieur même de la composition : par le collage, l’artiste mélange peinture et partitions.

Un autre élément intervient dans ce cheminement vers l’abstraction : l’influence croisée du fauvisme et du cubisme. Des tableaux comme Carrousel, La Roue joyeuse et Abstraction froide : soleil d’hiver reprennent au cubisme analytique le principe de déconstruction de l’objet en multiples facettes géométriques. L’influence du fauvisme apporte la couleur qui manquait au cubisme analytique. L’objet est transposé en une trame géométrique abstraite donnant au spectateur l’impression d’être devant une structure lumineuse en mouvement.

Poétique de l’angle

Mig Quinet, Le voyage vert, 1952.
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Mig Quinet, Le voyage vert, 1952.

Dans un premier temps, entre 1944 et 1955, Mig Quinet représente des structures lumineuses inspirées par l’univers des sons et de la fête, donnant à la peinture une dimension cinétique et sonore : un carrousel en action, une roue qui s’actionne, un trio à cordes, un cirque qui s’anime… Dans le même temps, elle explore un élément majeur du vocabulaire de l’abstraction géométrique : la forme angulaire. Une poétique de l’angle caractérise nombre d’œuvres réalisées au tournant des années 1940 et 1950. Ces œuvres constituent un laboratoire formel.

Pour Mig Quinet, il s’agit de dégager la forme de toute structure pour la laisser flotter à la surface de l’image. Ceci implique de faire disparaître l’architecture tournoyante des premières compositions abstraites. Libérée de sa structure, la forme va pouvoir gagner en superficie. Elle fusionne avec la couleur pour constituer une entité géométrique clairement délimitée. Les plans colorés s’articulent les uns avec les autres, non pas comme un kaléidoscope en mouvement, mais bien comme une marqueterie de pièces en suspension sur un fond. Les plans coulissent. Ils glissent les uns contre les autres.

Mig Quinet utilise également la courbe. Celle-ci provoque un mouvement retatif qui donne au spectateur l’impression d’être face à des îlots chromatiques dérivant avec lenteur et silence à fleur de toile.

Avec les éléments

Mig Quinet, Majorité des bleus, 1960.
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Mig Quinet, Majorité des bleus, 1960.

Passé le milieu des années 1950, Mig Quinet délaisse ses jeux d’angle pour se consacrer à une célébration de la nature. Elle se livre à une sorte de panthéisme pictural fondé sur l’énergie des éléments. La palette se lie symboliquement à la terre, au feu, au vent, dans des tableaux informels et matiéristes d’une grande force plastique. Dans ce schéma, la toile n’est plus un espace d’expérimentation formel coupé du monde. Lié thématiquement à la vitalité des éléments, le flux qui anime la main de l’artiste modifie le rapport au format, à la couleur et à la matière. Tandis que la palette s’intensifie, les formats s’agrandissent et la pâte picturale crépite. L’espace délimité par le tableau devient un site qui recueille les traces d’un échange symbolique entre l’artiste et les forces vitales de la nature. Lyrique, c’est-à-dire mue par un élan intérieur, la peinture est le lieu poétique d’un accomplissement personnel qui donne aussi à l’œuvre de Mig Quinet une dimension existentielle.

Dans certains cas, à partir du milieu des années 1960, la violence du propos est intégrée au processus de création à travers une sorte de scarification picturale : Terres séparées (1965), par exemple, est une toile faite de fragments découpés dans une peinture et cousus sur un autre support.

Intempéries

Mig Quinet, Hirsute, 1958.
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Mig Quinet, Hirsute, 1958.

Reprenant au flux des intempéries le libre mouvement de l’eau lancée dans le ciel, Mig Quinet envisage la peinture comme une projection d’encre de Chine sur un support. Des pièces comme Turbulence (1957), Giboulée (1959) ou encore Nivôse (1962) et Bourrasque (1962) sont l’expression de ces pluies picturales qui donnent aux œuvres une apparence de ciel tourmenté. Il ne s’agit pas ici de représenter un coin de paysage soumis à une pluie battante, mais de reprendre aux intempéries le mouvement d’une ligne d’eau dessinant sur le ciel. L’artiste part de la pluie dont elle évoque le parcours en projetant l’encre de Chine sur le papier.

Ce processus donne naissance à des dessins aériens d’une grande légèreté informelle. Ces dessins font inévitablement penser aux travaux que l’artiste américain Mark Tobey réalise dans les années 1940, mais dont Mig Quinet ignorait l’existence. Ils sont également proches de ce que Serge Vandercam conçoit en octobre 1958 pour le recueil Fagnes de Christian Dotremont. La projection de matière liquide implique un travail horizontal. Un réseau de lignes informelles se mélange avec des flaques d’encre sans direction préétablie ni sens de lecture. Cette approche non hiérarchique de la distribution des éléments dans l’espace donne aux intempéries picturales de Mig Quinet une qualité « all over ».