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Reporticle : 180 Version : 1 Rédaction : 01/07/2016 Publication : 08/08/2016

Le tableau noir, une mise à jour

La plus ancienne évocation d'un tableau noir est due au Bernin (1598-1680). Le cavalier peintre raconte l'aventure d'un Espagnol qui, s'étant fait détrousser dans un bois, la nuit, peignit cet événement. Le tableau était si noir « que l'on n'y connaissait plus rien »  (1). Ainsi débuta l'histoire du « monochrome » noir. Jusqu'au XIXe siècle, il apparut dans des publications (un traité théosophique, des faire-part mortuaires, un roman, des histoires en images, des revues satiriques) mais surtout dans des expositions parodiques. Il était alors inspiré par des préoccupations religieuses, un désir de drôlerie romanesque, ainsi que des critiques esthétiques sous une forme cocasse. Au XXe siècle, la donne changea : le monochrome se trouva un nom et s'imposa comme un genre représentatif d'avant-gardes successives. Mais n'y aurait-il pas une filiation même diffuse entre ces monochromes modernes, particulièrement le noir, et leurs prédécesseurs ? La question est délicate mais on ne peut s'empêcher néanmoins de signaler ces « monochromes » qui se sont succédés au cours du temps, le mot étant utilisé par commodité pour désigner une surface noire quadrangulaire.

J'avais déjà levé le lièvre en 1970 dans un article consacré aux expositions burlesques qui eurent lieu à Bruxelles de 1870 à 1914 (2). La première fut organisée par le photographe Louis Ghémar, en partie dans un collecteur des eaux de la Senne alors en construction - une démystification des lieux d'exposition... Les suivantes le furent par le groupe L'Essor en 1885, 1887 et 1914 alors qu'à Paris avait été fondée par Jules Lévy l'association des Incohérents qui, de 1882 à 1893, organisa des expositions dans le même esprit facétieux. J'avais pointé, dans les expositions bruxelloises, des œuvres annonciatrices de l'abstraction, du dadaïsme, du surréalisme, entre autres. Ne peut-on se demander en effet si Marcel Duchamp n'aurait pas été influencé par ces expositions des Incohérents ? Et d'autres tel Yves Klein. Celui-ci - Ben en témoigna -, connaissait le « monochrome » bleu publié par Alphonse Allais en 1897, mais estimait à juste titre que celui-ci n'avait pas « assumé » (3).

Depuis lors, l'histoire du « monochrome » a été approfondie par d'autres historiens, principalement Denys Riout  (4). Néanmoins, il m'a semblé opportun d'établir la liste des « monochromes » noirs alors qu'une découverte récente permet d'établir entre eux une filiation surprenante. Le 11 novembre 2015, Ekaterina Voronina, Irina Roustamova et Irina Vakar de la galerie Tretiakov (Moscou) firent une révélation à propos du Carré noir sur fond blanc (1915) de Malevitch qui y est conservé. Elles avaient en effet découvert une inscription, peu lisible en partie, sous la couche picturale de ce tableau. Il s'agirait de « Nègres se battant dans une cave » (5)  ! Déjà en 1990, les analyses de Milda Vikturina et Alla Lukanova y avaient détecté les traces d'une inscription mais qui n'avait pu être lue à l'époque (6). Sans doute, Malevitch – avant de peindre son œuvre primordiale dans l'histoire de l'abstraction – s'était-il souvenu d'Alphonse Allais auteur, en 1897, d'un Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit, sujet emprunté à Paul Bilhaud un humoriste antérieur.

Les alchimistes rêvaient d'un noir plus noir que le noir même. C'est chose faite : la NASA a mis au point le noir le plus absolu qui absorbe 99,96 % de la lumière. Composé de nanotubes de carbone, il est utilisé notamment en astronomie, en aéronautique mais aussi, déjà, en art.

Je donne ci-après, en une suite chronologique, les « monochromes » noirs représentés en gravure ou en peinture (7). Ne sont pas reprises les œuvres qui montrent l'un ou l'autre motif sur la surface noire ou dont la surface a été modulée ou travaillée par l'artiste (cas notamment de Rodtchenko, Noir sur noir, 1918). Ont également été exclus de cette liste les dessins humoristiques consacrés à de tels sujets souvent mis en situation dans des scènes complexes. On les doit aux caricaturistes qui, au XIXe siècle, se moquèrent de certaines œuvres exposées dans les Salons (8). C'est le cas de Franz von Pocci (9). On en trouve encore un écho en novembre 1939 dans un dessin d'Hergé : Le peintre Flupke expose « Bruxelles la nuit », dans Le Petit Vingtième (10).

Galerie

Notes

NuméroNote
1Cette anecdote est rapportée par Paul Fréart de Chantelou (1609-1694) dans son Journal de voyage du cavalier Bernin en France, Paris, 2001, pp.51-52
2Jacques van Lennep, Les expositions burlesques à Bruxelles de 1870 à 1914 : l'art zwanze- une manifestation pré-dadaïste, dans Bulletin des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, 1970 / 2-4, pp. 127-148.
3Catherine Charpin, Les arts incohérents (1882-1893), Paris, 1990, p.100.
4Denys Riout, La peinture monochrome. Histoire et archéologie d'un genre, Paris, 1996 (édition revue et augmentée, Paris, 2006) - Peinture monochrome. Une tradition niée, dans Les cahiers du Musée national d'art moderne, n° 30, 1989, pp.91-98 – Tentation du monochrome au XIXe siècle, dans Les fins de la peinture. Actes du colloque organisé par le Centre de recherches littérature et arts visuels, (Sorbonne), 9-11 mars 1989, Paris, 1990, pp.210-220. Raphaël Rosenberg, De la blague monochrome à la caricature de l'art abstrait, dans Ségolène Le Men, (sous la dir. de), L'art de la caricature, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010, pp. 27-40 (on line).
5En attendant le rapport officiel annoncé par la Galerie Tretiakov, se référer aux nombreux articles de presse qui ont relaté la découverte, notamment on line : Le carré noir de Malevich cache deux tableaux et une inscription mystérieuse, dans Le Courrier de Russie, ainsi que Article Photo : Russia finds 2 previewsly hidden layers in Malevich painting, dans NewsOK. Danny Lewis, X-rays unveil hidden paintings beneath an avant-garde classic, dans Smithsonian.com, 16 novembre 2015.
6A Study of technique: ten paintings by Malevich in the Tretiakov Gallery., dans KazimirMalevich, Armand Hammer Museum, Washington University Press, Los Angeles, 1990, pp. 193-195. Genèse du suprématisme. Le Carré noir, un palimpseste (on line).
7Outre les publications de Denys Rioux sur le monochrome comme genre : Monochrome malerei, Städtiches Museum Leverkusen, 1960 (catalogue d'exposition). Barbara Rose, Le monochrome, de Malevitch à aujourd'hui, Paris, 2004. Le monochrome- parcours dans les collections modernes et contemporaines, Centre Pompidou / dossiers pédagogiques, 2011-2012 (on line).
8Des exemples sont donnés par Denys Riout, op.cit. Voir aussi : Anonyme, Un tableau mal éclairé, Parodie n° 206, reproduit dans Le Diable au Salon, revue comique, critique et très-chique de l'Exposition des Beaux-Arts, Chez Caquet- Bonbec et Cie, Bruxelles, 1851. Gravure. Reproduit par Jacques van Lennep, Les expositions burlesques... op.cit., p.142.
9 Marianne Bernhardt (dir.), Pocci Franz Graf von, Die gesamte Druckgraphik, Munich, 1974, pp. 173, 375. Voir un exemple dans Fliegende Blätter, n° 62, 1846, p.110. Fac-similé, Universitâts-bibliothek Heidelberg (on line).
10Denys Rioux, La peinture monochrome, op.cit.