00:00:00 / 00:00:00


FRANCAIS - ENGLISH
Sculpture - Epoque contemporaine - Belgique - Histoire de l'art Marcelle Clarinval-Le Boucher Le monument en hommage à Francisco Ferrer par Auguste Puttemans
Junior
Reporticle : 224 Version : 1 Rédaction : 01/02/2017 Publication : 26/03/2018

Francisco Ferrer (1859 – 1909)

Fig. 1 – Portrait de Francisco Ferrer
Photo : Ingrid DelaisseFermer
Fig. 1 – Portrait de Francisco Ferrer
Fig. 2 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
Photo : Ingrid DelaisseFermer
Fig. 2 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
Fig. 3 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
Photo : Ingrid DelaisseFermer
Fig. 3 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
La souscription
Un comité de parrainage du monument est créé en octobre 1909. Ce comité est chargé de lancer une souscription, mais l’engouement était tel que, avant même le lancement de la souscription, on possédait déjà 3.000 francs. Très vite des fonds arrivèrent de partout, des sociétés de libre pensée, des associations socialistes et libérales, des conseils communaux, sans compter les individus isolés et les apports de l’étranger. Et fin janvier 1910, on dépassait les 11.000 francs. En un an, on atteint 19.000 francs, mais l’objectif était 24.000 francs. Le rythme des versements s’était considérablement ralenti et les dirigeants du mouvement ont dû mettre la main au porte-monnaie une deuxième fois. Ils feront aussi appel aux loges maçonniques belges et étrangères pour, finalement, arriver au but en été 1911.
Afficher les zones cliquablesCacher les zones cliquables
Fig. 4 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
Photo : Ingrid DelaisseFermer
Fig. 4 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911

Francisco Ferrer y Guardia est né à Alella, près de Barcelone. Sa famille était conservatrice, monarchiste et catholique. Ses parents étaient paysans.

C’est auprès de son premier patron, un marchand de draps, qu’il découvrira la libre-pensée. En effet, celui-ci l’initie aux idées progressistes et républicaines et le soutient dans ses études.

Face au conservatisme de l’Espagne, Ferrer cache ses idées politiques révolutionnaires, voulant lutter contre le sous-développement économique du pays.

Il devient franc-maçon en 1884 et très vite, il s’implique dans les mouvements qui visent à renverser la monarchie. Le 19 septembre 1886, il est arrêté lors de l’insurrection dirigée par le général Villacampa et s’exile à Paris pour éviter la prison. Il y devient professeur d’espagnol et s’éloigne des pratiques révolutionnaires. On peut parler d’une période française de Ferrer qui va de 1886 à 1901.

A cette époque, il fit des rencontres décisives : Jean Jaurès, Elisée Reclus, Paul Robin. C’est par leur fréquentation qu’il acquit l’idée que les hommes pouvaient faire changer l’ordre du monde.

On sait que la franc-maçonnerie française de l’époque se préoccupait beaucoup d’éducation et Ferrer participe aux débats du Grand Orient de France. Mais à l’école républicaine et laïque qui est en train de prendre forme, il préfère les expériences pédagogiques plus libertaires, plus propices, à son avis, à transformer la société.

Il s’oriente alors vers des mouvements moins violents qui prônent la grève et l’éducation des masses, avec une forte composante anarchiste. On peut dire que sa pensée pédagogique prend forme dès cette époque. Il rencontre, dans les milieux progressistes, des pédagogues libertaires, comme Paul Robin et Sébastien Faure.

En 1901, il hérite de la fortune d’une de ses élèves, Ernestine Meunier et grâce à cet argent, il fonde sa propre école, à Barcelone, l’Ecole Moderne. Dans un pays où l’enseignement est presque exclusivement catholique, cette création est une bombe. A ses yeux, la pédagogie active est la seule qui puisse promouvoir le changement social.

Cette école, ô horreur, pratique la coéducation des filles et des garçons et promeut la mixité sociale. L’enseignement y est rationaliste, en ce sens qu’il exige que les connaissances enseignées soient vérifiables par l’expérimentation. Le caractère libertaire de l’école s’affirme : pas de punitions ni d’examens, autodiscipline, visites d’entreprises, promenades dans la nature. L’instruction devait se construire selon les intérêts des enfants et respecter les rythmes personnels. Une telle éducation prépare donc à l’émancipation sociale.

D’autres écoles du même type vont s’ouvrir, ainsi qu’une maison d’édition et un centre de conférences avec cours du soir. Le succès inquiéta les pouvoirs publics et l’Eglise. En effet, ouverte avec 30 enfants (12 filles et 18 garçons), l’Ecole Moderne comptait 126 élèves lors de sa fermeture et en cinq ans, une cinquantaine d’écoles rationalistes fonctionnèrent en Espagne.

Mais Ferrer doit faire face aux conservateurs qui l’accusent d’un attentat anarchiste contre Alphonse XIII. En 1906, l’école est fermée et Ferrer est emprisonné. Il sera bientôt relâché faute de preuves, mais l’école ne rouvrira pas.

En 1909, il sera de nouveau accusé de participation à des activités anarchistes. En effet, de graves troubles éclatèrent à propos d’une querelle économique au Maroc. Les protestations débouchèrent sur une grève générale et un attentat. On rendit Ferrer responsable de cette semaine tragique et, cette fois, le procès sera expéditif. Pas d’interrogatoire, pas de témoins à décharge, pas de débat contradictoire. Son avocat était un jeune capitaine catholique et monarchiste, qui n’avait jamais plaidé.

Ce procès a acquis, au fil des années, une valeur symbolique : c’est le procès fait par un Etat à une pensée. Et Ferrer devint le porteur de cette libre-pensée pour laquelle il mourra. Il est désormais reconnu comme un martyr de la liberté de conscience. Cette condamnation eut un grand retentissement en Belgique, où Ferrer comptait beaucoup d’amis. Des comités très actifs vont se constituer pour tenter de le faire libérer. Rien n’y fera : le 9 octobre 1909, Ferrer est condamné à mort. Il sera fusillé le 13 octobre au fort de Montjuich.

En 1911, le procès sera révisé et la condamnation reconnue comme injuste … mais Ferrer est mort ! Et on érigera, à Bruxelles, un monument à sa mémoire.

C’est de ce monument que nous allons parler ci-après.

    6 images Diaporama

    Le monument en hommage à Ferrer

    Fig. 11 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
    Photo : Ingrid DelaisseFermer
    Fig. 11 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
    Fig. 12 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
    Photo : Ingrid DelaisseFermer
    Fig. 12 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
    Le modèle
    Il est clair pour tout le monde que le personnage représenté n’est pas un portrait de Ferrer. On sait que le modèle qui prêta son corps pour réaliser la statue s’appelait Léon Van Ermingen. Si cette famille semble connue dans le Bruxelles de l’époque, aucun Léon n’est mentionné dans l’arbre généalogique.
    Afficher les zones cliquablesCacher les zones cliquables
    Fig. 13 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911
    Photo : Ingrid DelaisseFermer
    Fig. 13 – Auguste Puttemans, Monument Francisco Ferrer, Bronze, 1911

    En 1911, pour rendre hommage à Francisco Ferrer, le sculpteur Auguste Puttemans réalisa une statue représentant un homme en pied, nu, tenant un flambeau à bout de bras. Ce monument, qui a bien sa place sur l’avenue Franklin Rossevelt aujourd’hui n’a pourtant pas toujours fait l’unanimité. En effet, peu de temps après l’inauguration de la statue Ferrer à la jonction de la Place Sainte-Catherine et de la Place du Samedi, la presse anarchiste se déchaînait contre ce moment considéré comme une récupération bourgeoise.

    Pourtant, quelques années plus tard, c’est la droite qui considèrera le monument comme une provocation anarchiste ! Il est tout à fait clair que la mobilisation autour de l’érection d’un ou plusieurs monuments à Ferrer avait attiré toute l’opposition anticléricale de l’époque.

    On ne sait pas trop qui a eu l’initiative : le conseil communal libéral de la Ville de Bruxelles ou la Ligue des Droits de l’Homme ? Probablement les deux, l’un comptant sur l’autre pour obtenir des subventions et un emplacement sur le territoire de Bruxelles. Mais il était bien clair qu’il devait aussi avoir une utilité locale dans le combat politique contre le cléricalisme. L’idée du monument était liée à une volonté plus large des mouvements rationalistes et anticléricaux de cette époque de marquer l’espace public.

    Le symbolisme du monument était décrit comme « (le) Génie de l’Humanité assurant d’un puissant effort la victoire de la Lumière ».

    Pour le socle, on proposa les inscriptions suivantes : sur la face principale

    « A la mémoire de Francisco Ferrer , fusillé à Montjuich le 13 octobre 1909, martyr de la liberté de conscience » ; sur la face postérieure « Erigé par souscription internationale. Inauguré le 13 octobre 1911 » ; pour les faces latérales, d’une part « Et je me trouve en face d’un procès terminé, sans que l’instruction en quête seulement de charges, ait un seul moment cherché la vérité (Capitaine Galceran plaidant pour Ferrer le 9 octobre1909) » et de l’autre « L’enseignement rationaliste peut et doit tout discuter en mettant au préalable les enfants sur la voie ample et directe de l’investigation personnelle (Francisco Ferrer, Lettre du 24 janvier 1907) »

    Le monument était considéré comme « expiatoire » ou « commémoratif ». Notons, en effet, d’emblée, que ce monument n’est en rien un portrait de Ferrer. Le sculpteur décrit son œuvre comme « un colosse portant une torche vers le ciel ». Sur le socle, finalement, on pourra lire « Francisco Ferrer, fusillé à Montjuich le 13 octobre 1909, martyr de la liberté de conscience ».

    C’est bien le sens du discours d’Hector Denis, professeur à l’ULB, qui en 1912, analyse ce monument : « A des centaines de lieues de Barcelone, nous avons dressé ce monument ; monument expiatoire pour le crime et l’erreur, monument de reconnaissance, monument de foi dans l’avenir, il témoigne que la victime de Montjuich a lutté pour l’humanité entière, que la conscience et la pensée universelles ont recueilli son effort, que l’avenir fécondera ».

    Un tel panégyrique traduit bien la mythification dont Ferrer faisait l’objet à l’époque.

    En effet, le monument va rapidement dépasser la simple évocation du héros catalan. En même temps que progressait la reconnaissance de Ferrer comme martyr de la libre - pensée, le monument allait acquérir une valeur symbolique jusqu’à perdre quasiment son statut de mémorial pour devenir le concept imagé de la liberté de conscience. Ce qu’il est d’ailleurs bien plus sûrement puisque cet homme nu qui brandit un flambeau n’a aucune ressemblance avec notre héros.

    Ses pérégrinations attestent aussi l’importance que les autorités bruxelloises y accordaient.

    Inauguré Place du Samedi le 5 novembre 1911, le mémorial est contesté dès son élévation par les opposants politiques, qui vont jusqu’à demander sa démolition. C’est dire la dimension polémique qu’il prend dès le début.

    Puis, pendant la guerre de 14, la statue de Ferrer passe pour un symbole de résistance à l’occupant, qui en exige la démolition. Refus unanime du Conseil communal, même après la dégradation du monument au moyen de peinture blanche. Un matin, on l’avait trouvé maculée de couleur blanche. Rapidement il fut recouvert d’une toile et gardé par un policier bruxellois et deux soldats Allemands, et, simplement, un ouvrier de la Ville vint nettoyer la peinture : à cela se limitait l’action de la ville, refusant absolument le démontage de la statue. Mieux, les élus bruxellois contestent l’efficacité même du vandalisme comme moyen de contestation. Aussi, ce sera finalement la komandantur qui se chargera de l’enlèvement. Le monument sera stocké dans les magasins de la Ville au quai de Willebroeck. Les élus bruxellois protestent, mais qu’est-ce qu’un monument quand la guerre fait rage ? On raconte tout de même que sur le socle vide est apparue l’inscription « il reviendra car il est espagnol » … hommage à Offenbach ou souhait politique ?

    Mais après 1918, la ville souhaitera réédifier le monument. Il sera inauguré le 10 octobre 1920. Il n’est toutefois pas évident que ce symbole de la libre - pensée soit porté par Francisco Ferrer. La représentation est bien un homme portant un flambeau. Mais cela doit-il être Ferrer ? La disparition de l’inscription sur le socle, au moment de son installation Place Ste Catherine, supprime la référence au héros catalan. Les francs-maçons français s’indignent de l’absence du nom même sur le socle. Mais malgré le tollé général, il faudra attendre de nombreuses années pour retrouver la référence explicite à Ferrer.

    En 1931, la république espagnole est proclamée et le conseil municipal de Barcelone souhaite élever un monument à celui qui a influencé les idées nouvelles. En fait la ville espère que Bruxelles lui offrira l’œuvre de Puttemans, mais la Belgique préfère en réaliser une réplique, qui ne sera effective qu’en 1990.

    Entretemps, la sculpture voyage dans Bruxelles. En 1966, les travaux du métro obligent à un déplacement. Le nouveau lieu est le quai à la Chaux. Puis, en 1984, il trouvera sa place, nettement plus emblématique, avenue Franklin Roosevelt, en face de l’ULB, qui symbolise aisément le libre-examen, avec en écho, la statue de Théodor Verhaegen, le fondateur de l’Université.

    Le voisinage de Francisco Ferrer avec les aviateurs tombés à la guerre de 14-18 et avec Simon Bolivar témoigne de l’importance accordée à l’emplacement des sculptures dans l’espace public bruxellois. Déjà, le nom de l’avenue, jadis avenue des Nations, avait ancré l’environnement dans une thématique de liberté à l’américaine.

    Le héros catalan a fait l’objet de cérémonies lors du centenaire de son exécution. Son attitude tout en hauteur et en tension en fait un génie porteur de lumière qui invite les passants à la réflexion.

      4 images Diaporama

      Bibliographie

      Sur Ferrer en général

      Sol Ferrer, La vie et l’œuvre de Francisco Ferrer, un martyr du XXème siècle, Paris, Fischbacher, 1962
      Francisco Ferrer, L’Ecole moderne. Préface d’Anne Morelli et Marie-Jo Sanchez Benito, Bruxelles laïque, 2009
      Francisco Ferre, une rue, un nom, un combat, CAL, 2009
      Marcelle Le Boucher-Clarinval, Ferrer pas mort, CAL, 2009

      Sur la pédagogie

      Sylvain Wagnon, Une éducation libertaire en héritage, Paris, Atelier de création libertaire, 2013

      Sur le monument

      Jacques Van Lennep et Catherine Leclercq, sous la direction de Patrick Derom, Les sculptures de Bruxelles, Anvers, Pandora et Bruxelles, Galerie Patrick Derom, 2000
      A. Morelli & J. Lemaire (eds.), "Le monument Ferrer ou l'histoire d'une statue mal aimée", Francisco Ferrer, cent ans après son exécution. Les avatars d'une image, Bruxelles, La Pensée et les Hommes, 2011, pp. 199 - 222 (La Pensée et les Hommes, nr. 79-80)