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Reporticle : 233 Version : 1 Rédaction : 05/07/2018 Publication : 24/07/2018

Fiche pédagogique

La fontaine de Minerve qui orne la place du Grand Sablon est une réalisation du célèbre sculpteur bruxellois Jacques Bergé. Fils de Louis Bergé et d’Elisabeth Vanden Borre, Jacques Bergé est né à Bruxelles en mai 1693 et y est mort le 16 novembre 1756 après avoir parcouru l’Europe et s’être inspiré des courants artistiques dominants en France et en Italie. En effet, après avoir exercé son art pendant quelques années à Bruxelles, Bergé se rend, en 1715, à Paris où il intègre l’atelier de Nicolas Coustou. Deux ans plus tard, il part pour l’Italie et vit plusieurs années à Rome (1). Ces années s’avèrent décisives pour le sculpteur qui a ainsi l’occasion de rencontrer des artistes influents qui participent à de grands travaux d’ornementation dans la Ville Eternelle ; il semble qu’il ait été notamment accueilli dans l’atelier de Pierre Legros le Jeune (2). Mais ce qu’il découvre surtout lors de ces années passées en Italie, c’est l’art antique tel qu’il est conservé et réinterprété par les artistes de son temps (3). De nombreux peintres et sculpteurs baroques se laissent gagner, en cette première moitié du XVIIIe siècle, par une tendance qui mêle des caractéristiques baroques telles que le mouvement excessif, l’exubérance, la dramatisation et l’expressivité, à des traits de classicisme qui apportent un aspect épuré et léger.

Ces éléments joueront un rôle déterminant dans la production artistique de Bergé et seront visibles dans la plupart des œuvres qui nous sont parvenues. En outre, l’influence de grands artistes contemporains n’est pas négligeable et sera, elle aussi, clairement discernable dans les réalisations du sculpteur. Parmi les personnalités qui marqueront la production artistique de Bergé, François Duquesnoy est sans nul doute une des figures majeures. Bergé s’inspirera notamment de l’élégance gracieuse des figures féminines de Duquesnoy, mais également des représentations de putti, ces petits génies nus hérités des érotès antiques, comme ceux qui ornent la fontaine de Minerve au Grand Sablon (4). L’œuvre du Bernin n’aura pas moins d’impact que celle de Duquesnoy dans les réalisations de Bergé. En guise d’exemple, la statue de saint Augustin exécutée pour l’abbaye du Parc renvoie vraisemblablement à la sculpture analogue du Bernin placée dans l’abside de Saint-Pierre à Rome (5).

Dès son retour dans sa ville natale en 1722, Bergé est admis franc-maître de la corporation des Quatre Couronnés – qui comprenait des sculpteurs, des maçons, des ardoisiers et des tailleurs de pierre. Cinq ans plus tard, en 1727, il est appelé à devenir directeur de l’Académie de dessin de Bruxelles. Depuis lors, et jusqu’à sa mort, il se verra confier des commandes autant de grandes œuvres sculptées et de reliefs que de statuettes en terre cuite ou en bronze, dans lesquels se côtoient éléments baroques et traits antiquisants qui vont vers davantage de sobriété. Bien qu'installé à Bruxelles, Jacques Bergé effectue encore de nombreux voyages en France, notamment pendant la guerre de Succession d'Autriche. La notoriété de l’artiste lui vaut de nombreuses commandes à Bruxelles et dans les environs. Il profitera surtout des grands travaux d’aménagement et d’ornementation de nombreuses abbayes qui désirent, selon les goûts de l’époque, décorer leurs églises de manière particulièrement abondante. Bergé sera fréquemment sollicité pour réaliser ces décors parfois monumentaux et qui constituent une excellente manifestation de son art. Il exécutera quantité de sculptures en relief ou en ronde bosse dont certaines sont heureusement conservées jusqu’à aujourd’hui.

Un de ses principaux chantiers est l’abbaye du Parc, près de Louvain, auquel il travaillera entre 1731 et 1738. Bergé y exécute les boiseries en bas-relief dans le chœur ainsi que les stalles et l’ornementation de l’autel. L’abbé lui commande également un sarcophage en marbre noir pour le mausolée érigé en l’honneur de ses prédécesseurs. Bergé y exécute aussi, entre autres, des chaires de vérité et le jubé de l’orgue, encore visibles actuellement. L’agencement de ces aménagements liturgiques est unique en son genre et témoigne du souci de l’artiste de concevoir un ensemble qui s’harmonise pleinement avec les dimensions et les besoins du lieu qui lui a été confié (6). L’église Saint-Pierre à Louvain conserve elle aussi un formidable témoignage de l’art de Jacques Bergé. Il s’agit d’une imposante chaire de vérité, initialement destinée à l’abbaye des Prémontrés à Ninove. Là, le caractère baroque prédomine grâce à la surabondance du décor et l’exubérance des formes. Outre ces exemples bien connus, on conserve également des œuvres de Bergé dans les abbayes de la Cambre, d’Afflieghem et de Dielegem mais également à Ath, au prieuré du Val Duchesse (7).

Mais la relation de Bergé avec l’art ne se limite pas à sa propre production. Le sculpteur est, en effet, un collectionneur d’œuvres d’art. Lui et Louis Van Merstraeten, son protecteur, ami et associé, avec qui il partage d’ailleurs son atelier situé Rue de Flandre, constitueront ensemble une vaste collection qui contenait près de 200 tableaux dont des œuvres de Rubens, Rembrandt et Van Dyck (8). La collection sera vendue par Van Merstraeten à la mort du sculpteur et dispersée dans divers musées et collections privées. De même, certaines de ses œuvres, en particulier les petites sculptures en terre cuite, qui parfois constituaient des modèles préparatoires pour des réalisations plus grandes et dans d’autres matériaux, sont rapidement dispersées (9).

Par la quantité et la qualité de ses œuvres, mais également par la variété des sujets et des matériaux qu’il traite, Jacques Bergé est assurément une des figures majeures de la sculpture baroque et un témoin privilégié des courants et tendances dominants du XVIIIe siècle.

Fig. 1 – François Harrewijn, Portrait de Lord Bruce, 1738.
Photo : WikipédiaFermer
Fig. 1 – François Harrewijn, Portrait de Lord Bruce.

Une des œuvres pour lesquelles Bergé est resté célèbre est la fontaine de Minerve, commandée par le noble anglais Thomas Bruce, pair de Grande Bretagne, comte d'Ailesbury. En 1695, Lord Bruce s’enfuit d’Angleterre en raison de ses opinions politiques ; il est, en effet, accusé d’avoir comploté contre le roi d’Angleterre et emprisonné à la Tour de Londres (10). Réussissant à s’évader, il trouve refuge à Bruxelles et s’installe dans un hôtel situé dans le haut de la place du Grand Sablon où il mène une vie sereine pendant quarante ans (11). À l’époque, la place du Sablon, auparavant appelée Zavelpoel en raison du marais qui en occupait la partie centrale, est pourvue d’une modeste fontaine qui approvisionne le quartier en eau depuis 1661 (12). En signe de reconnaissance pour l’hospitalité qu’il a reçue, Thomas Bruce décide, en 1740, d’offrir une fontaine monumentale ornée d’un groupe statuaire à cette ville pour laquelle il a eu un attachement si fort (13).

Un accord est conclu le 18 août 1741 avec Jacques Bergé qui s’engage à finir l’œuvre dans un délai de vingt mois en échange d’une somme de 5000 florins (14). Toutefois, la mort soudaine du comte quatre mois plus tard allait entraîner un retard considérable dans la construction et la mise en place de la fontaine (15). En effet, Lord Bruce avait été prévoyant et avait demandé que, s’il mourrait avant la fin des travaux, les sommes initialement fixées soient envoyées à Bruxelles par ses banquiers anglais (16). S’en suivent pourtant des retards dans l’exécution du testament qui conduisent Bergé à demander de l’aide à la ville de Bruxelles ; en effet, il avait bel et bien fini le groupe statuaire dans les délais impartis, mais depuis, faute de moyens à disposition, il était contraint de louer un espace pour garder la sculpture, ce qui lui causait de sérieux soucis financiers (17). Ce n’est au total qu’onze ans après la commande de Lord Bruce, en 1751, que la fontaine sera placée au centre de la place du Grand Sablon, où elle est toujours visible aujourd’hui (18).

Fig. 2 – Jacques Bergé, Fontaine de Minerve, Bruxelles.
Photo : WikipédiaFermer
Fig. 2 – Jacques Bergé, Fontaine de Minerve, Bruxelles.

La sculpture surmontant la fontaine est en marbre blanc de Gênes. Elle a bénéficié d’une restauration en 1999, grâce à l’intervention de la Ville de Bruxelles et de l’Intercommunale Bruxelloise de Distribution d’Eau. La composition compte quatre personnages. Minerve, déesse de la Sagesse, trône au centre de la composition. Elle est vêtue d’un drapé dont les plis couvrent son épaule et son bras gauches, et le bas de son corps, en laissant ainsi apparents une partie de sa jambe gauche et la partie droite de son buste, chiasme qui dévoile le sein, l’épaule et le bras droits de la déesse. Le visage tourné vers les génies qui l’accompagnent, elle arbore un léger sourire qui tranche avec les expressions exacerbées des figures baroques dominantes à l’époque. Elle porte un casque témoignant de sa fonction de protectrice d’Athènes. Elle tient, de son bras gauche, un bouclier sur lequel sont sculptées les effigies de deux souverains auxquels Lord Bruce désirait rendre hommage. Il s’agit de l’impératrice Marie-Thérèse en arrière-plan et de son époux, l’empereur François de Lorraine, au premier plan, tous deux représentés de profil. La face arrière du médaillon tenu par Minerve devait comporter le portrait de l'archiduchesse Marie-Elisabeth, sœur de Charles IV et tante de Marie-Thérèse, gouvernante des Pays-Bas. Elle est finalement restée nue parce que cette dernière décède en 1741, donc au moment de l'érection de la fontaine (19).

La déesse est accompagnée de trois putti, ces petits génies issus également, à l’instar de Minerve, de la mythologie gréco-romaine, et représentés nus. L’un d’eux, le regard tourné vers Minerve qui le surplombe, est nonchalamment appuyé sur une jarre dont s’écoule un jet d’eau qui semble se déverser sur le socle de la sculpture. Il représente l’Escaut, un des principaux fleuve qui traverse la Belgique et dont la Senne, qui arrose Bruxelles, est un des nombreux sous-affluents. Derrière lui, un petit génie semblable adopte une pose étrange consistant à tenir une trompette dirigée vers la droite d’une main, sa main libre posée sur la hanche. Il symbolise la Renommée. Enfin, à l’arrière de la Minerve, se tient un troisième génie, nu lui aussi, qui tient le bouclier et la lance de la déesse. La tête de la monstrueuse Gorgone est l’ornement classique de l’égide d’Athéna ; la tradition littéraire lui confère le pouvoir de pétrifier les ennemis qui portent leur regard sur elle. La lance et la trompette que tiennent les deux putti étaient originellement réalisés en bronze doré, mais ont tous deux fait l’objet de vols, l’ensemble en est désormais dépourvu, ce qui en rend la lecture compliquée. Les deux faces principales du socle sont ornées des armoiries du compte d’Ailesbury entourées de motifs végétaux et reposant chacune sur une tête grimaçante dont jaillit de l’eau recueillie dans deux vasques partiellement cannelées surmontant deux marches en pierre bleue. Sur l’extrémité inférieure des masques grotesques, nous pouvons lire, de part et d’autre les lettres « fui » et « mus ». La locution latine « fuimus » (nous fûmes) fait référence à la devise de la famille de Lord Bruce qui se vantait d’avoir eu des ancêtres rois d’Ecosse au XIVe siècle. Ce décor se retrouve à l’identique à l’avant et à l’arrière, mais il n’en est pas de même pour les faces latérales qui comportent des inscriptions rédigées par l’écrivain Roderic de Cologne, conseiller du Duc Charles de Lorraine, et relatives à la création du monument (20).

Une plaque de nivellement, indiquant l'altitude de ce point de Bruxelles (49m31) au dessus du niveau de la mer, est appliquée également sur le soubassement (21).

Si Lord Thomas Bruce n’a pas pu voir son projet terminé, il est certain que la fontaine et le groupe statuaire qui lui est associé ont modifié l’aspect de la place du Grand Sablon en lui offrant cet élément emblématique de l’art de Jacques Bergé.

    5 images Diaporama

    Bibliographie

    Bergé (Willem), Jacques Bergé, Brussels beeldhouwer, 1696-1756, Bruxelles, 1981.

    Carrette (Francis), Coekelberghs (Denis), Jacobs (Alain), Van Binnebeke (Emile), Le baroque dévoilé : nouveau regard sur la sculpture à Bruxelles et en Belgique = Barok onthuld : nieuwe kijk op de beeldhouwkunst in Brussel en in België, Bruxelles, 2011.

    Des Marez (Guillaume), Rousseau (André), Guide illustré de Bruxelles. Monuments civils et religieux, Bruxelles, Touring Club de Belgique, 1958.

    François (Lucien), Quelques fontaines, puits et bassins publics de Belgique antérieurs à 1830, Bruxelles, Palais des Académies, 1938.

    Maldague (Jacques), “La fontaine monumentale du Grand Sablon à Bruxelles, Archives et textes anciens, 1e partie”, Le Floklore Brabançon, Mars 1975, n°205, p. 95-140.

    Sites

    Page du musée de l’eau et de la fontaine : URL (Consulté le 25 février 2017).

    e-Bru – Votre guide à Bruxelles : URL (Consulté le 20 février 2017).

    Notes

    NuméroNote
    1Les informations biographiques sur Jacques Bergé sont issues de la monographie que lui a consacré Bergé (Willem), Jacques Bergé, Brussels beeldhouwer, 1696-1756, Bruxelles, 1981.
    2Jacobs (Alain) « Jacques Bergé », in Carrette (Francis), Coekelberghs (Denis), Jacobs (Alain), Van Binnebeke (Emile), Le baroque dévoilé : nouveau regard sur la sculpture à Bruxelles et en Belgique = Barok onthuld : nieuwe kijk op de beeldhouwkunst in Brussel en in België, Bruxelles, 2011, p. 135.
    3Jacobs (Alain), ibid., p. 135.
    4Jacobs (Alain), ibid., p. 143.
    5Jacobs (Alain), ibid., p. 135.
    6Jacobs (Alain), ibid., p. 142.
    7Jacobs (Alain), ibid., p. 135.
    8Jacobs (Alain), ibid., p. 136.
    9Maldague (Jacques), “La fontaine monumentale du Grand Sablon à Bruxelles, Archives et textes anciens, 1e partie”, Le Floklore Brabançon, Mars 1975, n°205, p. 139.
    10Des Marez (Guillaume), Rousseau (André), Guide illustré de Bruxelles. Monuments civils et religieux, Bruxelles, Touring Club de Belgique, 1958, p. 188.
    11Maldague (Jacques), ibid., p. 110.
    12Bergé (Willem), Jacques Bergé, Brussels beeldhouwer, 1696-1756, Bruxelles, 1981, p. 170.
    13Dans son testament, rédigé le 23 janvier 1734, Lord Bruce dira de Bruxelles « … Cette ville m’aiant toujours été si chère en préférence et demeure avant tout autre ». Bergé, ibid., p. 170.
    14Bergé (Willem), ibid., p. 170.
    15Bergé (Willem), ibid., p. 175.
    16Maldague (Jacques), ibid., p. 111.
    17Maldague (Jacques), ibid., p. 111.
    18Maldague (Jacques), ibid., p. 112.
    19Bergé (Willem), ibid., p. 171.
    20Des Marez (Guillaume), Rousseau (André), Guide illustré de Bruxelles. Monuments civils et religieux, Bruxelles, Touring Club de Belgique, 1958, p. 189.
    21Source : lien (Page consultée le 25 février 2017)