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Bande dessinée - Epoque contemporaine - Monde - Histoire de l'art Pierre Franck La Grande Guerre dans la bande dessinée Les cahiers du 9ème RegArt
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Amateur
Reporticle : 94 Version : 1 Rédaction : 01/05/2014 Publication : 27/05/2014

Avant-Propos

La guerre de 40/45, et plus particulièrement la guerre du Pacifique, est un sujet abondamment traité dans la bande dessinée ; Steve Canyon de Milton Caniff, Buck Danny de Hubinon et Charlier, Ernie Pike ou Les Scorpions du Désert d’Hugo Pratt en sont quelques exemples bien connus. La  Grande Guerre, par contre n’a suscité un intérêt de la part des auteurs que depuis les années 90 et surtout 2000. Curieusement, pour une guerre qui ne « faisait plus guère recette », les albums traitant de ce conflit sont nombreux et, dans l’ensemble, d’une grande qualité. La différence entre ces deux productions est très importante et dénote bien de l’évolution de la bande dessinée vers plus d’esprit critique et de maturité. En effet, les récits relatifs à la guerre de 40/45 exaltent les qualités personnelles des héros (qui meurent peu !) ; la guerre est en toile de fond et rares sont les jugements portés sur le bien-fondé ou non des actions relatées. Ceux plus récents consacrés à la guerre de 14/18 sont au contraire très critiques vis-à-vis de la guerre elle-même. Le héros n’est plus au centre du propos ; c’est le soldat, victime subissant des ordres aberrants, souffrant dans son corps et dans son âme et finalement broyé par des forces cyclopéennes qui est le sujet des récits souvent profondément humanistes.

Cette courte compilation n’a pas la prétention d’être exhaustive, ni chronologique, mais se veut un panorama de la production consacrée à la Grande Guerre. A l’heure où les derniers témoins de la « grande boucherie » ont disparu et où l’on commémore l’évènement, il est très important de poursuivre le travail de mémoire et la bande dessinée peut s’enorgueillir de développer à ce sujet une démarche exemplaire.

Jacques Tardi - C’était la guerre des tranchées

L’horreur à l’état pur

Fig. 1 – Jacques Tardi – C’était la guerre des tranchées, Casterman, 1993.
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Fig. 1 – Jacques Tardi – C’était la guerre des tranchées, Casterman, 1993.

Sur la couverture, deux cadavres : un français et un allemand, égaux devant la Mort. Car, nous dit Tardi, l’horreur et l’abject ne sont pas l’apanage d’un peuple et, en fin de compte, toute cette odieuse boucherie n’aura servi à rien. Dans ces courts récits, tout nous parle du désarroi, de la souffrance, de l’angoisse et de l’incompréhension des poilus devant l’absurdité de cette guerre. Le dessin en noir et blanc, en gris et gris devrait-on dire, rend encore plus pathétique les tranchées remplies de cadavres, de sang, de rats, de boue, de folie. Les canons tonnent, assourdissent les soldats, les obus déchirent les chairs, écartèlent les corps, les hommes blessés appellent leur mère, les yeux sont exorbités, les cris des blessés sont insoutenables, … La mort est omniprésente, dans les tranchées mais aussi devant les pelotons d’exécution que commandent des officiers arrogants et insensibles. C’était la guerre des tranchées est un vibrant hommage au courage et à l’abnégation des poilus et un plaidoyer implacable contre cette guerre, contre toutes les guerres.

Casse-Pipe

Fig. 2 – Louis-Ferdinand Céline – Casse-Pipe ; illustrations de Jacques Tardi, Gallimard-Futuropolis, 1989.
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Fig. 2 – Louis-Ferdinand Céline – Casse-Pipe ; illustrations de Jacques Tardi, Gallimard-Futuropolis, 1989.

Casse-Pipe, roman inachevé, raconte la vie de quartier du cuirassier Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline. Les hommes et les chevaux sont agressifs, il pleut et il fait froid, les sous-officiers sont odieux et la troupe est abrutie. L’argot militaire qui truffe le récit finit par rendre comique ce qui est en fait affligeant, quand ce n’est pas tragique. En 1914, Céline prend des notes … «  Ferdinand ! » Je le vois encore, désarçonné, le dos contre une borne, bafouillant tout blême. « Ferdinand ! Passez-moi donc vos allumettes… » On s’était bien fait arroser par un petit poste d’infanterie au passage… On rentrait de reconnaissance à la queue leu-leu. On était tombé dessus sans le voir. Il avait son compte des Oncelles. Le sang lui découlait à flots de dessous la cuirasse. J’exécute, je saute à terre… mais il a pas le temps de me la prendre ma boîte d’allumettes. Il s’écroule d’une pièce en avant… Il s’est raplati sur ses bottes. 

… que Tardi illustre avec brio.

Putain de guerre !

Fig. 3 – Jacques Tardi & Jean-Pierre Verney – Putain de guerre, Casterman, 2008-2009.
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Fig. 3 – Jacques Tardi & Jean-Pierre Verney – Putain de guerre, Casterman, 2008-2009.

Jean-Pierre Verney, le scénariste, narre la guerre, année après année, froidement, comme il sied à un historien. Les photos d’époque illustrent parfaitement le propos et pourtant, combien elles semblent fades à côté des dessins de Tardi ! On y patauge dans la boue et les viscères, le sang gicle, les corps éclatent, les visages explosent et la vermine grouille. L’art du dessinateur réussit ce que ni le texte ni la photographie ne peuvent faire : rendre « palpable » le bruit strident des obus, la puanteur des corps en décomposition, la souffrance dans les hôpitaux ou la peur panique des soldats ; Tardi parvient à représenter l’innommable. Les couleurs plutôt vives du début, traduisant l’élan patriotique, les fanfares et l’insouciance des premières semaines de guerre, s’assombrissent au fur et à mesure de la terrible descente aux enfers ; seul le rouge des explosions et du sang éclaire encore les dessins.

Christophe Marchetti & Virginie Cady, Eric Adam - La tranchée

Un flic dans les tranchées

Fig. 4 – Christophe Marchetti & Virginie Cady – La tranchée, Vents d’Ouest, 2006.
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Fig. 4 – Christophe Marchetti & Virginie Cady – La tranchée, Vents d’Ouest, 2006.

L'offensive débute et les bombes pleuvent sur les tranchées. Porteur d'un message pour l'état-major, le lieutenant Albertini, ancien policier, est contraint de se réfugier dans un abri de fortune où il tombe sur un spectacle assez singulier : un groupe d’hommes est réuni autour d’un autre soldat, mort, une baïonnette plantée dans le ventre. Son instinct de policier reprend le dessus et il tente de démasquer le tueur. Il mène ainsi son enquête dans une ambiance trouble et lourde. Mais cette recherche de la vérité a-t-elle un sens dans cet enfer où il est devenu impossible de distinguer le bien du mal ? Ce récit pesant et parfois malsain est bien défendu par un dessin soigné et une mise en page assez classique mais faisant usage d’une palette de tonalités particulièrement bien adaptée aux lieux et aux ambiances de ce huis-clos suffoquant.

Manu Larcenet - La ligne de front

Portrait de l’Esprit de la Guerre

Fig. 5 – Manu Larcenet – La ligne de front, Dargaud, 2004.
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Fig. 5 – Manu Larcenet – La ligne de front, Dargaud, 2004.

L’Etat Major ne comprend pas la raison de la débâcle générale et décide d’envoyer un artiste au front pour dépeindre l’Esprit de la Guerre et ainsi peut-être réussir à comprendre la cause des angoisses des soldats et, par là, les mauvaises performances militaires. Cet artiste sera Vincent Van Gogh qui, contrairement à ce que tout le monde croit, n’était pas encore mort en 1914 ! Le mélange détonnant de dialogues décalés et irrésistiblement drôles avec l’horreur et l’absurdité de la guerre font de cet album un petit chef d’œuvre d’humour grinçant, voire cynique. Larcenet nous dévoile une fin imagée, où la mort est représentée par une femme décidant du sort de chaque soldat et de l’endroit où tombent les obus. Bien sûr les tableaux de Van Gogh qui représentent la « mère des obus » ne sont pas compréhensibles pour les hommes politiques et les hauts gradés ; le soldat lui sait par contre fort bien que l’Esprit de la Guerre, c’est la mort elle-même.

Christian De Metter & Catel - Le sang des Valentines

Lettres d’outre-tombe

Fig. 6 – Christian De Metter & Catel – Le sang des Valentines, Casterman, 2004.
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Fig. 6 – Christian De Metter & Catel – Le sang des Valentines, Casterman, 2004.

La fin de la guerre approche. Augustin Dortet a résisté, soutenu par les lettres enflammées et parfois érotiques de sa femme Geneviève. Lorsqu’il rentre au village, à la fois heureux et amer, il apprend que ces lettres furent rédigées par la servante et non par sa femme, décédée entretemps. Outre son aspect romanesque, ce livre décrit aussi la souffrance des combattants qui, revenant chez eux, se trouvent confrontés à l’indifférence, voire l’hostilité, de ceux de l’arrière. Car, manipulés par la propagande patriotique et désinformés par la censure, ces derniers sont incapables de comprendre l’amertume ou la colère des soldats constatant que les planqués et les agioteurs ont honteusement profité de leur sacrifice. La couleur directe fort bien maîtrisée, convient parfaitement à cette histoire dramatique et tourmentée.

Frédéric Blier & Lax - Amère patrie

La chair à canons n’a pas de couleur

Fig. 7 – Frédéric Blier & Lax – Amère patrie, Dupuis, 2007.
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Fig. 7 – Frédéric Blier & Lax – Amère patrie, Dupuis, 2007.

Ousmane Dioum est un chasseur du Sénégal et Jean Gadoix, un habile braconnier de la Haute-Loire. Rien ne les prédestine à se rencontrer et pourtant leurs chemins vont se croiser à l’occasion de la Grande Guerre. En mêlant les destins d’autres personnages, le scénario met habilement l’accent sur trois caractéristiques de la société de l’époque que la guerre va bouleverser : le colonialisme, la condition ouvrière et la condition féminine. Finalement, le livre pose la question du paradoxe de la guerre, et de celle de 14/18 en particulier : si ce n’est la contrainte, qu’est ce qui pourrait motiver des jeunes à aller se battre, souffrir et mourir pour défendre une société dans laquelle ils ne sont que des parias ? Du point de vue graphique, il s’agit d’une bonne production « néo ligne claire » avec une fort belle mise en couleurs.

Enrique Breccia & Xavier Dorison - Les sentinelles

Le rêve d’acier

Fig. 8 – Enrique Breccia & Xavier Dorison – Les sentinelles, Delcourt, 2009.
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Fig. 8 – Enrique Breccia & Xavier Dorison – Les sentinelles, Delcourt, 2009.

Les « sentinelles » sont des soldats, blessés et amputés, auxquels un médecin génial et fou a greffé des membres métalliques que les nerfs peuvent commander. Un exosquelette en acier permet à ces Frankenstein nouveaux de développer une force extraordinaire et une pile au radium (?) fournit l’énergie nécessaire à ces monstres. Presque invincibles, les sentinelles sont engagées lors de la bataille de la Marne.Ce récit s’apparente au roman historique dans lequel Jules Verne aurait mis son grain de sel: le contexte historique est correct, les héros croisent des personnages historiques et tout le reste, pour notre plus grand plaisir, est inventé de toutes pièces. Servi par un graphisme « baroque », vigoureux et très légèrement caricatural, de beaux coloris et un découpage dynamique, l’histoire, pourtant passablement farfelue, tient remarquablement le lecteur en haleine.

Charlie Adlard & Rob Morrison - La mort blanche

La neige obscène

Fig. 9 – Charlie Adlard & Rob Morrison – La mort blanche, Les cartoonistes dangereux, 1998.
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Fig. 9 – Charlie Adlard & Rob Morrison – La mort blanche, Les cartoonistes dangereux, 1998.

L’histoire se passe dans les montagnes du Trentin, de Caporetto et des Dolomites, là où s’affrontent les Italiens et les Autrichiens. Elle se base sur des fait historiques : l’emploi d’avalanches provoquées par l’artillerie afin d’engloutir l’ennemi ; on estime que 60.000 à 100.000 hommes ont ainsi été tués. Il y a, comme le soulignent les auteurs, quelque chose d’obscène à utiliser la nature à des fins aussi ignobles. Le graphisme crayonné, parfois un peu maladroit, ne manque cependant pas de force et rend bien l’atmosphère de la montagne, de la neige et du froid.

David B - La lecture des ruines

Arsenal fantastique et farfelu

Fig. 10 – David B. – La lecture des ruines, Dupuis, 2001.
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Fig. 10 – David B. – La lecture des ruines, Dupuis, 2001.

Cette aventure, pour le moins étrange, se déroule certes dans les tranchées, mais tourne surtout autour de l’ingénieur Hellequin. Devenu fou, l’ingénieur inonde l’état-major de dossiers relatifs à des inventions sensées aider les poilus mais en fait totalement farfelues : les ombres venimeuses, le troupeau de canons, les bombes silencieuses, le barbelé végétal, le fameux canon à rêves et bien d’autres. Il s’agit donc d’une œuvre complètement décalée dans laquelle le lecteur est entraîné dans un univers de rêves et de folie, mais qui évoque néanmoins les horreurs de la guerre. Le scénario bizarre et parfois brouillon rend la lecture et l’interprétation de cet album sensiblement difficiles. Au niveau graphique, on retrouve bien évidemment le style très « image d’Epinal » de DavidB.

Igor Kordey & Jean David Morvan - Le cœur des batailles

Un soldat amoureux d’un guerrier

Fig. 11 – Igor Kordey & Jean David Morvan – Le cœur des batailles Delcourt, 2007, 1 tome à paraître.
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Fig. 11 – Igor Kordey & Jean David Morvan – Le cœur des batailles Delcourt, 2007, 1 tome à paraître.

Blaise Boforlant, un vieil intellectuel infirme, raconte ses souvenirs de guerre et, en particulier, ceux relatifs à un soldat exceptionnel : Amaréo Zamaï. De peau noire, très grand, d’un calme olympien mais tous les sens en éveil, Zamaï est plus qu’un soldat ; c’est un guerrier qui semble invincible, peut-être parce qu’il accepte la mort avec sérénité. Boforlant fut subjugué (en fait, le vieux professeur homosexuel en était tombé amoureux) par ce personnage atypique dont il parla abondamment dans le journal des tranchées qu’il éditait tant bien que mal : Le cœur des batailles. Le récit est intéressant, en particulier les réactions des généraux devant ce nouveau type de comportement, mais le dessin souvent sommaire et les allusions sexuelles appuyées de Boforlant en font un travail manquant quelque peu d’élégance.

Igor Kordey & Jean-Pierre Pécau - Notre-Dame des Ténèbres

Délire

Fig. 12 – Igor Kordey & Jean-Pierre Pécau – Notre-Dame des Ténèbres, Delcourt, 2006.
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Fig. 12 – Igor Kordey & Jean-Pierre Pécau – Notre-Dame des Ténèbres, Delcourt, 2006.

Revisiter les grands événements de l'Histoire au travers du prisme du fantastique, de l'ésotérisme et de la magie est l’ambition de L’Histoire secrète, une bien étrange série. Quatre frères et sœurs, détenteurs de pouvoirs magiques millénaires, se battent pour la suprématie mondiale depuis 5000 ans. Malheureusement, c’est par l’intermédiaire des hommes qu’ils mènent cette lutte fratricide, et donc au travers des guerres qu’ils fomentent; la Grande Guerre n’échappe pas à la règle.

Franck Bourgeron – L’obéissance

Crime et Châtiment

Fig. 13 – Franck Bourgeron – L’obéissance (d’après le roman de François Sureau), Futuropolis, 2009.
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Fig. 13 – Franck Bourgeron – L’obéissance (d’après le roman de François Sureau), Futuropolis, 2009.

A partir d’une histoire authentique, celle de ce soldat belge condamné à être guillotiné pour avoir assassiné son amie enceinte, Franck Bourgeron élabore une œuvre étrange. Les pérégrinations de la guillotine et du bourreau venus de France sont l’occasion de découvrir la Belgique dévastée par la guerre et les horreurs rencontrées en chemin rendent l’objectif de cette mission encore plus dérisoire. En modifiant la fin de l’histoire, l’auteur rend cette étonnante anecdote parfaitement ubuesque et achève de mettre le lecteur fort mal à l’aise.

Jean-Pierre Gibrat – Mattéo

Un pacifiste plongé dans la guerre

Fig. 14 – Jean-Pierre Gibrat – Mattéo, Futuropolis, 2008.
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Fig. 14 – Jean-Pierre Gibrat – Mattéo, Futuropolis, 2008.

C’est l’histoire d’un homme au destin singulier, fils d’un anarchiste espagnol, pacifiste, qui finalement sera, malgré lui, de toutes les guerres du début du XXème siècle, de 14/18 à la Guerre d’Espagne en passant par la Révolution russe. Les amours malheureuses du héros forment la trame romanesque très romantique d’un récit un peu lent que ponctuent les scènes de guerre. Le dessin de Gibrat est sublime et ses portraits de femmes exquis ; mais ce qui rend cette œuvre exceptionnelle, c’est la grande qualité des dialogues et des pensées du héros exprimées en voix « off ». Peintre autant que dessinateur, scénariste et écrivain d’un immense talent, Gibrat poursuit avec Mattéo l’élaboration d’une œuvre peu abondante mais d’une extraordinaire qualité.

Bruno Le Floc’h – Une après-midi d’été

Les mots pour le dire

Fig. 15 – Bruno Le Floc’h – Une après-midi d’été, Delcourt, 2006.
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Fig. 15 – Bruno Le Floc’h – Une après-midi d’été, Delcourt, 2006.

Nonna est revenu du front mais n’a pas épousé Perdrix comme il l’avait promis. Il délaisse son métier de marin-pêcheur, sculpte des petits soldats à longueur de journée et ressasse ses souvenirs de guerre dans le silence. Nonna n’a pas, comme il dit, « les mots pour chasser la guerre de sa tête ». Une histoire triste, intimiste et désespérée servie par un dessin très épuré.

Jean-Yves Delitte & Didier Convard – Tanâtos

Le maître du mal

Fig. 16 – Jean-Yves Delitte & Didier Convard – Tanâtos, Glénat, 2007.
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Fig. 16 – Jean-Yves Delitte & Didier Convard – Tanâtos, Glénat, 2007.

Dans le style de Ponson du Terrail, les auteurs entraînent le lecteur dans une suite de récits farfelus qui « expliqueraient » la face cachée des évènements. Tanâtos, génie du mal, échafaude des plans mégalomanes et machiavéliques dans le seul but de s’enrichir. Ainsi, après avoir assassiné le fabricant d’armes Loustel et pris son identité, se lance-t-il dans le déclenchement d’une guerre, moyen le plus sûr de faire de l’argent pour un marchand de canons. Il commanditera donc l’attentat de Sarajevo, fera assassiner Jaures, déclenchera la Grande Guerre et coulera le Lusitania pour y récupérer une bombe atomique inventée par Monsieur Einstein ! Afin d’arriver à ces fins, ce Fantomas avant la lettre invente des machines extraordinaires : aile volante, hélicoptère, soucoupe plongeante, … A côté de Delitte et Convard, Jules Verne semble manquer d’imagination ! La lecture de ces aventures rocambolesques est malheureusement quelque peu gâchée par un certain amateurisme du dessin ; lequel se traduit notamment par des expressions peu réalistes des visages, des attitudes mal campées et des personnages difficilement reconnaissables.

Maël & Kris – Notre Mère la Guerre

Enquête sur la guerre

Fig. 17 – Maël & Kris – Notre Mère la Guerre, Futuropolis, 2009.
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Fig. 17 – Maël & Kris – Notre Mère la Guerre, Futuropolis, 2009.

Qu’importe les milliers de morts, les blessés qui agonisent dans les hôpitaux et les mutilés ; ce qui intéresse l’état major, c’est la mort de trois femmes, sauvagement assassinées et dont les corps ont été découverts près de la première ligne. Un gendarme, le lieutenant Vialatte, catholique, humaniste et progressiste, est chargé de l’enquête ; occasion pour les auteurs de nous faire découvrir la guerre au travers des yeux d’un non-combattant. Superbement illustré à l’aquarelle dans le style « tremblé », Notre Mère la Guerre est à ranger au rayon des grandes œuvres, avec celles de Tardi.

Cyril Bonin, Paul Gillon, Steve Cuzor, Jean-Charles Kraehn, Giancarlo Alessandrini & Frank Giroud – Quintett

Passions humaines sur fond de guerre

Fig. 18 – Cyril Bonin, Paul Gillon, Steve Cuzor, Jean-Charles Kraehn, Giancarlo Alessandrini & Frank Giroud – Quintett, Dupuis, 2005.
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Fig. 18 – Cyril Bonin, Paul Gillon, Steve Cuzor, Jean-Charles Kraehn, Giancarlo Alessandrini & Frank Giroud – Quintett, Dupuis, 2005.

En 1916, quatre destins vont se croiser et s’influencer mutuellement dans une petite base aérienne de Macédoine. Les quatre protagonistes, Dora, Alban, Élias et Nafsika, sont les acteurs et les observateurs de divers événements qu’ils nous relatent chacun dans un récit. Ce qui est important pour l’un ne l’est pas pour l’autre et l’on se demande à la lecture de chaque récit si les narrateurs nous content bien la même chose, tant leur vision des faits est différente. Ce n’est que bien des années plus tard, à l’occasion de la découverte fortuite d’une vieille malle contenant des documents du commandant de la base, que la lumière sur les événements de 1916 sera faite et qu’ils se rendront compte qu’ils ont été manipulés de main de maître. Frank Giroud signe un très bon scénario défendu par cinq dessinateurs talentueux, sur fond de combats aériens.

Alain Mounier, Patrick Cothias & Patrice Ordas – L’ambulance 13

L’enfer des hôpitaux

Fig. 19 – Alain Mounier, Patrick Cothias & Patrice Ordas – L’ambulance 13, Bamboo, 2010.
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Fig. 19 – Alain Mounier, Patrick Cothias & Patrice Ordas – L’ambulance 13, Bamboo, 2010.

A peine sorti de l’école de médecine, Louis-Charles Bouteloup se retrouve dans une ambulance en première ligne. Il ne lui faudra pas vingt-quatre heures pour perdre ses illusions : l’hygiène est inexistante, les moyens dérisoires et l’indifférence de ses collègues plus aguerris que lui confine au mépris. Dans cet autre enfer où l’air empeste le sang, le pus et les déjections, les chirurgiens tentent de réparer l’irréparable tant les blessures sont épouvantables. Pour beaucoup, l’amputation est une bénédiction car ils pourront rentrer chez eux … en vie. Mais Bouteloup est aussi le fils d’un lieutenant-colonel médecin, député et proche du général Pétain, ce qui ne plaît guère à sa hiérarchie. Même les circonstances atroces ne peuvent empêcher la petitesse des hommes. Mais s’il perd ses illusions, le héros conservera intactes ses convictions. Ce beau récit est illustré dans un style très réaliste quelque peu vieillot mais qui sert bien cette plongée dans l’horreur des hôpitaux.

Collectif – Paroles de Poilus & Paroles de Verdun

Lettres de souffrance, d’amour et d’espoir

Fig. 20 – Collectif – Paroles de poilus, Soleil, 2006.
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Fig. 20 – Collectif – Paroles de poilus, Soleil, 2006.

Ces deux livres ne sont pas à proprement parler des bandes dessinées ; ce sont en fait des lettres de poilus illustrées par quelques planches, réalisés par de nombreux dessinateurs différents. Emouvantes, poignantes ou pathétiques, ces lettres ne manquent pas nécessairement d’humour, telle cette admirable réponse du 2ème classe Bloch à la Compagnie du Gaz de France qui lui réclamait 31.75 francs pour l’entretien de son compteur. En l’espèce, le fantassin Bloch, dont la femme était infirmière militaire, rappelait à l’administrateur de la société que son épouse et lui étaient occupés ailleurs et n’utilisaient dès lors pas de gaz. Bloch et son épouse survécurent à la guerre, mais on n’a pas retrouvé dans leurs archives la réponse du Gaz de France qui, espérons-le, fut embarrassée. La lettre du soldat est intégrée dans des planches remarquables de sobriété. Que dire en effet devant la bêtise de l’administration ?

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    Romain Hugault et Yann – Le pilote de l’Edelweiss

    La guerre dans le ciel, comme si vous y étiez

    Fig. 22 – Romain Hugault & Yann – Le pilote de l’Edelweiss, Paquet, 2012.
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    Fig. 22 – Romain Hugault & Yann – Le pilote de l’Edelweiss, Paquet, 2012.

    Les frères jumeaux Castillac sont tous deux sous les drapeaux ; Henri est devenu un des « as » de l’aviation française et Alphonse, ancien pilote lui aussi, a été sanctionné et muté dans les blindés pour raison disciplinaire. Alors qu’Alphonse ne rêve que de voler à nouveau, son frère vit dans la terreur d’affronter un redoutable pilote allemand dont le Fokker est décoré d’un Edelweiss. Grâce à une suite de « flashbacks » habilement construits, le lecteur est amené à comprendre les raisons de la panique d’Henri et les origines des relations ambiguës qu’entretiennent les deux frères. Le dessin hyperréaliste convient bien à la représentation des machines et aux récits des combats aériens, mais on peut regretter que les auteurs se limitent à une guerre en dentelles, sans évoquer la véritable horreur des tranchées.

    Joe Colquhoun & Pat Mills – La Grande Guerre de Charlie

    L’incompétence des généraux

    Fig. 23 – Joe Colquhoun & Pat Mills – La Grande Guerre de Charlie, Delirium, 2011.
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    Fig. 23 – Joe Colquhoun & Pat Mills – La Grande Guerre de Charlie, Delirium, 2011.

    Il n’y a pas que les généraux français à avoir fait montre d’incompétence et d’indifférence devant les invraisemblables pertes qu’ils faisaient subir à leur troupe. Ce fut notamment le cas lors de la bataille de la Somme où 420.000 soldats britanniques sous les ordres du général Haig perdirent la vie pour des avancées d’au mieux quelques centaines de mètres. Ce désastreux officier n’avait-il pas ordonné à ses troupes d’avancer « au pas » vers les tranchées allemandes, considérant que « la mitrailleuse est une arme très surestimée » ! C’est notamment cette bataille, illustrée par Joe Colquhoun, que Pat Mills raconte au travers des aventures de son « héros » Charlie qui, de recrue idéaliste et naïve devient rapidement un combattant endurci mais fatigué par les combats inutiles et meurtriers. Si le graphisme a sensiblement vieilli, la charge contre l’absurdité de cette guerre n’a pas pris une ride.

    Francis Porcel & Zidrou – Les Folies Bergères

    Survivre jusqu’au lendemain

    Fig. 24 – Francis Porcel & Zidrou – Les Folies Bergères Dargaud, 2012, Delirium, 2011.
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    Fig. 24 – Francis Porcel & Zidrou – Les Folies Bergères Dargaud, 2012, Delirium, 2011.

    La folie, les fusillés, les attaques stupides, les suicides, les rats, les obus, les chairs éclatées, la mort, les morts qui pourrissent … le quotidien d’une compagnie, son capitaine et son aumônier qui essaient de survivre dans une tranchée immonde. Les poilus résistent à cet enfer grâce à leurs blagues de corps de garde, la dérision, l’alcool et l’espoir d’une permission. D’ailleurs, n’ont-ils pas baptisé leur boyau Les Folies Bergères car ils se sont juré qu’à la fin de la guerre, ils iront tous fêter cela dans le célèbre cabaret. Pour rendre encore plus palpable la démence de cet univers, le scénariste lui oppose le calme du jardin où Monet peint quelques œuvres maîtresses de l’histoire de la peinture. Le scénario prenant et subtil, une petite dose de fantastique qui souligne l’irrationnel des situations et le graphisme impressionnisme aux coloris sépia de Francis Porcel font de cet ouvrage une œuvre à la hauteur des meilleurs Tardi.

    David Vandermeulen – Fritz Haber

    Science sans conscience …

    Fig. 25 – David Vandermeulen – Fritz Haber Delcourt, 2005.
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    Fig. 25 – David Vandermeulen – Fritz Haber Delcourt, 2005.

    Destin à la fois grandiose et tragique que celui de Fritz Haber, juif converti au catholicisme par ambition, nationaliste allemand, grand scientifique qui reçut le prix Nobel de Chimie en 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l’ammoniac (qui permettront la fabrication industrielle d’engrais azotés … et d’explosifs) mais aussi père des gaz de combat qui firent de terribles ravages dès 1915, ce qui lui valut d’être inscrit sur la liste des criminels de guerre par les alliés. C’est ce destin trouble que nous raconte David Vandermeulen qui fait un véritable travail d’historien, décrivant avec pertinence les ambiances, milieux et opinions de l’époque ; en particulier tout ce qui touche à l’antisémitisme exacerbé des Allemands et la naissance du sionisme. Les aquarelles sépia et les narratifs intermédiaires présentés sous la forme de textes du cinéma muet donnent une crédibilité supplémentaire à cette œuvre novatrice de la bande dessinée qui, espérons-le, fera école.

    Collectif – Vies tranchées

    Les soldats fous de la Grande Guerre

    Fig. 26 – Collectif – Vies tranchées, Delcourt, 2010.
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    Fig. 26 – Collectif – Vies tranchées, Delcourt, 2010.

    L’horreur des tranchées a aussi provoqué de terribles traumatismes psychiatriques chez certains poilus. Pour eux, le fait d’échapper à la mort, même au prix de la folie, est souvent assimilé par « ceux de l’arrière » à de la lâcheté, voire à de la simulation. Peu de ces soldats pourront se réinsérer dans la vie courante, la majorité d’entre eux croupissant dans des établissements psychiatriques (les asiles de fous) inadaptés. Plus interpellant encore est l’envoi sous les drapeaux de nombreux individus déjà malades, alcooliques ou débiles profonds qui n’ont aucune chance de survivre dans l’enfer du front. Les médecins des conseils de révision fermaient en effet facilement les yeux, l’armée ayant besoin de soldats par centaines de milliers pour exécuter sa stratégie qu’on s’accorde aujourd’hui à trouver aussi inhumaine qu’inutile.

    Cet ouvrage se présente sous la forme d’une quinzaine de « cas » différents, traités par des scénaristes et des dessinateurs différents et qui se basent sur une documentation sérieuse, notamment les travaux d’Hubert Bieser, historien de ces questions. Même si la majorité des dessinateurs ne sont guère connus, le graphisme est de très bonne qualité et la multiplication des styles se justifie parfaitement puisqu’à chaque cas correspond un univers particulier développé avec une sensibilité différente.

    Hugo Pratt – Les Celtiques

    La guerre en dilettante

    Fig. 27 – Hugo Pratt – Les Celtiques, Casterman, 2003.
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    Fig. 27 – Hugo Pratt – Les Celtiques, Casterman, 2003.

    L’album (Casterman, 2003) comprend quatre aventures de Corto Maltese qui se déroulent pendant la période 1917-1918 en Irlande, en Angleterre et en France. La guerre n’est réellement au centre du récit que dans les deux aventures qui se passent en France : Côtes de Nuits et roses de Picardie et Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes ; en particulier la première qui relate la fin du célèbre aviateur allemand Manfred von Richthofen, alias « Le Baron rouge ». On a déjà tout dit sur le personnage de Corto, le « gentilhomme de fortune » libertaire traversant les grands moments de l’histoire avec désinvolture et cynisme. Dernier grand héros romantique du XXème siècle, Corto se trouve mêlé à la guerre russo-japonaise, à la révolution irlandaise, aux derniers soubresauts des empires antibolcheviques d’Asie centrale, à la guerre de 14/18 en Picardie, aux révoltes, trafics et petits bouts de guerre au Brésil, en Guyane et dans les Caraïbes, à l’occupation allemande de l’Afrique, …

    Même s’il défend parfois une juste cause, Corto n’est pas vraiment engagé dans les affaires du monde qu’il parcourt en tous sens, c’est un individualiste, « mercenaire de ses rêves » comme le dit la duchesse Seminova, l’aristocrate russe qui tente de protéger l’or du Tsar dans un train blindé en Sibérie (1). Mais Corto ne peut réaliser ses rêves sans devoir se battre, tuer et, par là même, les pervertir. Le personnage de Corto Maltese est ambigu ; avec son pantalon blanc, son long caban et sa casquette d’officier, il évoque l’élégance, le courage et la droiture. Mais à suivre de près ses aventures, on se rend compte que le « gentilhomme de fortune » est un pirate aux mains pleines de sang; il n’hésite pas à éliminer tout ce qui se trouve sur le chemin de ses rêves. On peut se demander pourquoi Corto parcourt le monde de guerre en guerre ? C’est sans doute, comme le rappelle Georges Steiner (un ami de Corto) (2), parce que « quelque chose dans l’homme aime la guerre, et craint moins les horreurs du combat que l’interminable ennui du foyer ». 

    Conclusion

    La Grande Guerre a été déclinée de nombreuses façons dans la bande dessinée. Certains albums sont de nature documentaire, tels Fritz Haber, Vies tranchées, Lettres de Poilus et Lettres de Verdun. Certaines œuvres illustrent le conflit en toute généralité pour en faire ressortir ses aspects insoutenables ; c’est évidemment le cas de C’était la guerre des tranchées et Putain de guerre, Les Folies Bergères, Notre Mère la Guerre ou La mort blanche. Un nombre important de récits relèvent du roman historique ; on retrouvera La tranchée, Amère patrie, Le cœur des batailles, Mattéo, Quintett, Ambulance 13 et Le pilote de l’Edelweiss dans cette catégorie. Ces récits ne glorifient guère le soldat-héros, à l’exception notoire de La Grande Guerre de Charlie, travail plus classique s’inscrivant dans la lignée d’un Pratt et de son Ernie Pike.

    Certains ont utilisé le cadre historique pour développer des récits fantastiques plus ou moins bien réussis : Les sentinelles, Notre-Dame des Ténèbres et Tanâtos. Rares sont les développements humoristiques du thème qui ne s’y prête pas vraiment ; on retiendra cependant La ligne de front et La lecture des ruines. Quelques œuvres plus orientées vers la psychologie des protagonistes ou intimistes complètent cet impressionnant éventail de genres : Le sang des Valentines et Une après-midi d’été par exemple. Les styles graphiques sont également très variés, allant de l’hyperréalisme de Hugault (Le pilote de l’Edelweiss) à l’expressionnisme de Tardi (C’était la guerre des tranchées) en passant par la ligne claire classique des récits d’aventure de Blier (Amère patrie) ou par la couleur directe impressionniste de De Metter (Le sang des Valentines), de Maël (Notre Mère la Guerre) ou de Vandermeulen (Fritz Haber).

    La Guerre de 14/18 est traitée fort différemment des autres périodes et constitue une nouvelle forme de bande dessinée historique : critique, centrée sur l’humain plus que l’histoire, amère et désespérée. Elle rend hommage à tous ces braves gens, emportés dans un cataclysme qui les dépasse mais qui donneront quand même leur vie avec une inimaginable abnégation pour des valeurs qu’ils croient justes et qui masquent des intérêts politiques et économiques qu’ils perçoivent à peine.