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Sculpture - Epoque contemporaine - Belgique - Histoire de l'art Xavier Van den Broeck Francis Olin (1928- 1997) De l’organisation d’un module
Amateur
Reporticle : 225 Version : 1 Rédaction : 30/03/2018 Publication : 09/04/2018

Introduction

Fig. 1 – Affiche de la rétrospective Francis Olin (1952 – 1988) au Grand-Hornu en 1988.
Photo : Xavier Van den BroeckFermer
Fig. 1 – Affiche de la rétrospective Francis Olin au Grand-Hornu en 1988.

À ce jour, il n’existe pas d’ouvrage monographique ou de catalogue raisonné consacré à l’œuvre de Francis Olin. Michel Seuphor l’intégra dans son histoire de l’art abstrait (1). Pour la rétrospective de sa production artistique de 1952 à 1988 organisée sur le site industriel du Grand-Hornu ((fig. 01), Gérard Xuriguéra, spécialiste de Luc Peire, signa pour le catalogue un texte sur la syntaxe propre à Olin (2). Hormis l’hommage posthume à Mons en 2000, il ne fit l’objet d’aucune manifestation d’envergure depuis sa disparition jusqu’à ce qu’une galerie bruxelloise le remette à l’honneur en 2016. Signalons toutefois les expositions collectives du Musée Ianchelevici (3) de 2001 et 2004, celles du musée des Beaux-Arts de Verviers en 2008 (4) et du BAM (5) qui, en 2014, le replace dans une perspective d’ensemble de l’abstraction géométrique belge après 1945. La collaboration du Maurice Verbaet Art Center avec la ville de Pontoise fut l’occasion de présenter au public leurs acquisitions récentes de l’artiste (6).

L’ensemble de son travail est cohérent et pourrait se résumer à l’organisation d’un module. Pour ce faire, il aborda de nombreuses techniques : le dessin, la gouache, la peinture, le collage, la gravure, le papier repoussé, le relief et l’art cinétique. Le Plexiglas fut expérimenté par Francis Olin mais des matériaux de récupération, comme par exemple des sonnettes, ne furent pas négligés. À cela s’ajoutent ses intégrations dans le paysage urbain. Il nous livre une œuvre en résonance avec les tendances avant-gardistes de l’époque dont nous allons tenter de retracer l’évolution, de la peinture de chevalet au relief.

Parcours et Groupes

Fig. 2 – Francis Olin, Vivre ne pas vivre, Mons, Holyman, s.d.
Photo : Xavier Van den BroeckFermer
Fig. 2 – Francis Olin, Vivre ne pas vivre, Mons, Holyman, s.d.

Né à Nimy (Belgique) le 1er mai 1928 et décédé à Ormoy (France), le 26 août 1997, Francis Olin est le fils de Maurice Olin, ingénieur, et de Rose-Marie Dupont. Par ailleurs, on connait de lui un recueil de poésies intitulé Vivre ne pas vivre (7) avec une citation liminaire de Berthe Dubail ((fig. 02). Il appartient à la seconde génération d’artistes abstraits belges soucieuse de renouveler le langage plastique d’après-guerre. Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Mons, il tente l’aventure parisienne. Ainsi, en 1952, il suit à Paris les cours de l’École Supérieure des Beaux-arts, fréquente l’Atelier libre de la Grande-Chaumière et reçoit l’influence de Klee, Kandinsky, Mondrian et Herbin.

Selon Seuphor, il participe dès 1955 au « Salon des Réalités Nouvelles » (8), dévolu aux artistes non figuratifs. Ensuite, comme une dizaine de participants des Réalités Nouvelles, il adhère en 1962 au Groupe « MESURE » (également dit « Groupe Expérimental de Recherches Plastiques Formelles »), après l’exposition de Rennes, lors de sa seconde manifestation (9). Georges Folmer forma ce groupe en 1960 en réaction à l’hégémonie qu’exerçait l’abstraction lyrique au sein des Réalités Nouvelles au détriment de ses tendances construites (10). Prenant part aux expositions de Mesure en Allemagne entre 1962 et 1965 (11), Olin lie connaissance avec son président, Georges Folmer, et côtoie son ami Luc Peire, co-fondateur du groupe, installé à Paris dès 1954-55 (12). Ce dernier soulignera qu’il correspondait parfaitement à l’esprit du groupe dont l’objectif visait l’intégration des arts dans l’architecture (13). Selon Folmer, le groupe pouvait fournir des réponses « esthétiques » et « pratiques » aux architectes (14). Dans le catalogue de la dernière exposition de 1965 à Witten, on peut lire que la tâche que le groupe s’était assignée était ardue et cela malgré « une volonté et un savoir-faire magnifique, une maîtrise technique et une vitalité créatrice » (15). Le groupe déclina tant par manque d’intérêt en France pour les initiatives du groupe que par « un manque de cohésion typique dans le sens architectural » (16).

De 1969 à 1970, il fit également partie du « Groupe expérimental de Lille » mené par trois artistes français, à savoir Patrick Bougelet, Pierre Olivier et Louis Deledicq. Parmi les membres belges, on retrouve Gilbert Swimberghe, Marcel-Henri Verdren et Marcel Lempereur-Haut. Ce groupe éphémère voulait monter des expositions sous forme thématique sans pour autant se fixer une ligne de conduite. Leurs réunions avaient lieu à la galerie Jacqueline Storme et ils exposèrent en 1969 à Verderonne et en 1970 à Lille (17).

De 1970 à 1971, il rejoignit, aux côtés de Luc Peire et Michel Seuphor, le Groupe « Co-Mo » (18) dont l’acronyme renvoie à Construction et Mouvement. À travers ces deux notions, les peintres et sculpteurs de ce groupe entendent délivrer leur message, à savoir « atteindre un art collectif esthétiquement accessible à tous » (19). Leurs œuvres participant des courants d’art construit et d’art du mouvement sont marquées par un optimisme « dans les possibilités illimitées de la science et ses vertus émancipatrices » (20). Le Centre Co-Mo de Paris rassemblait une vingtaine de plasticiens défendus notamment par la galerie Riquelme.

Fig. 3 – Galerie Convergence, 26.05.1987 (Paris) : Vernissage de l’exposition "Autour de Luc Peire". À l’avant-plan, à gauche : Luc Peire et à droite : Francis Olin.
Photo : Fondation Luc PeireFermer
Fig. 3 – Galerie Convergence, 26.05.1987 (Paris) : Vernissage de l’exposition "Autour de Luc Peire".

Ainsi, Francis Olin participa à des groupes d’avant-garde et, tout au long de sa carrière, se manifesta dans de nombreuses expositions collectives d’art contemporain en France, en Belgique et dans divers pays européens. Ces aventures collectives ne sont pas sans incidence sur son évolution stylistique dans sa recherche de dépouillement et de rigueur pour démocratiser l’art et l’accorder pleinement à l’architecture. Ses rencontres avec les membres de ces trois groupes, notamment ses aînés, l’ont éclairé dans sa quête de l’espace et de la lumière car cette période correspond à un épanouissement de son abstraction géométrique. Il chercha probablement à développer ses recherches sur l’art construit au sein de groupes dont le propos était plus radical car la tendance « dure » de l’abstraction sera de plus en plus marginalisée au Salon des Réalités Nouvelles dès les années 50 et durant les années 60-70. En témoigne, le catalogue des Réalités Nouvelles de 1960 dans lequel Breuer, Peire et Olin sont relégués dans la section « Géométrie » (21) rebaptisée successivement “constructiviste”, “art concret”, “art constructif”, puis “peinture” en 1977. Parmi les protagonistes des groupes qu’il fréquenta, il fut plus proche de l’allemand Leo Breuer, des français Georges Folmer et Seuphor, artiste et critique d’art, mais surtout de son compatriote Luc Peire avec lequel il entretint une amitié durable et exposa des œuvres. En 1987, Olin est invité à l’exposition Autour de Luc Peire organisée par la galerie Convergence à Paris (

','03');" onmouseout="cache2();" >(fig. 03) et, en 1993, ils collaborent pour un environnement dans le métro bruxellois.

Paris et la révélation de l’abstraction

Fig. 4 – Francis Olin, Dessin préparatoire (ca. 1957), crayon sur papier, 20 x 27 cm. Collection privée.
Photo : Xavier Van den BroeckFermer
Fig. 4 – Francis Olin, Dessin préparatoire (ca. 1957), Collection privée.
Fig. 5 – Francis Olin, Sans titre (1956), huile sur panneau, 81 x 61 cm. Collection privée.
Photo : photographe Nicolas ClobertFermer
Fig. 5 – Francis Olin, Sans titre (1956), Collection privée.

Durant la période de 1948 à 1952, l’art d’Olin est orienté vers une figuration totémique à caractère surréaliste. En 1952, fasciné comme beaucoup de jeunes artistes étrangers par l’attrait de Paris, « capitale de l’art construit dans l’immédiat après-guerre » (22), Francis Olin s’installe au 10 passage des Mousquetaires (23) dans un vieil atelier de menuisier désaffecté où il mène une vie de bohème (24) Après l’Occupation, les milieux artistiques parisiens sont agités par des débats doctrinaux entre abstraction « froide » et « chaude » qui se polariseront au Salon des Réalités Nouvelles. À cela s’ajoute la prolifération de galeries qui défendront un art novateur. Par exemple, la galerie Denise René, Colette Allendy, Lydia Conti, les galeries Arnaud. À noter que s’il ne travailla pas directement avec la galerie Denise René, il fut défendu par les autres, lesquelles étaient animées pour la plupart par des personnalités d’envergure. Dans ce contexte d’effervescence, il rompt définitivement avec le subjectivisme surréaliste et s’engage dans une « voie française » plus rationnelle. Il esquisse de façon prolifique des dessins abstraits géométriques ((fig. 04) de petits formats qui serviront de matière première pour les tableaux géométriques qui aboutiront vers 1954-1961. Sur des panneaux de bois ou sur des toiles, il trace des rythmes répétitifs à dominante rouge sur fond bleu ou alors dégage de grandes surfaces spatiales blanches qui envahissent le tableau pour ne plus laisser que l’essentiel (Fig.5, 6 & 7). Chez Olin, l’espace n’est pas un vide, il est présent au même titre que la forme qui le provoque. Ces premiers travaux relèvent de l’abstraction géométrique, maîtrisée par la raison, héritée de Mondrian et Malevitch (Fig.7 & 8). Déjà loin de tout académisme, il recherche la profondeur au moyen de formes élémentaires, en aplats, lévitant ou se stabilisant dans un espace imaginaire.

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    Fig. 9 – Francis Olin, Relief (1961), acrylique sur panneau de bois, 88x 100 cm. Schiller Art Gallery.
    Photo : photographe Nicolas ClobertFermer
    Fig. 9 – Francis Olin, Relief (1961), Schiller Art Gallery.

    Les recherches formelles qu’il entame ensuite le démarquent des influences premières lorsqu’il explore de façon inventive de nouveaux médiums. Il participe à une mutation bien présente dans l’abstraction belge de cette période et dont le manifeste du Spatialisme de 1954 théorise la doctrine : « le spatialisme provoque une nouvelle expression plastique qui dépasse les notions de surface et d’espace telles qu’on a pu en faire jusqu’ici l’expérience. » (25) Il se met au diapason d’une communauté d’artistes qui expérimente le relief : Jo Delahaut, Jean Rets, Guy Vandenbranden, Gilbert Swimberghe (26). En effet, après quelques travaux fin des années 50, il se libère complètement, à l’aube des années soixante, du carcan du tableau de chevalet en réalisant ses premiers  reliefs  ou « reliefs formels* », selon l’expression même de l’artiste, à mi-chemin entre peinture et sculpture ((fig. 09). Il s’agit d’une période intermédiaire entre les tableaux géométriques et les futurs reliefs basés sur des effets optiques. Dans des dominantes blanches, noires ou grises, les volumes sortent du tableau et s’agencent dans un désordre apparent qui tente de s’équilibrer. Une étape importante est franchie : la profondeur et la troisième dimension ne sont plus suggérées sur le mode de l’illusion mais de manière bien concrète grâce à une « surface sculpturale » (27). Ne se considérant ni comme peintre, ni totalement comme sculpteur, il accordait toutefois sa préférence à l’art sculptural (28).

    Fig. 10 – Francis Olin, Sans titre (1963), Sonnettes peintes sur bois, 50,3 x 67,3 cm. Collection Caroline & Maurice Verbaet.
    Photo : photographe Nicolas ClobertFermer
    Fig. 10 – Francis Olin, Sans titre (1963), Collection Caroline & Maurice Verbaet.
    Fig. 12b – Francis Olin, Sans titre (s.d.), Collection privée.

    S’ensuit une période synonyme d’intense créativité et d’expérimentations visant à placer la perception du spectateur au centre de son œuvre : soit par manipulation soit par son déplacement. Vers 1963, ce sont les transformables* c’est-à-dire des objets manufacturés et semblables sortis de leur contexte, détournés autant de leur finalité que disposés selon un principe sériel sur une surface (Fig.10 & 11). Les éléments, par rotation, peuvent être organisés de différentes manières par manipulation. Francis Olin explore un nouveau champ : la question du mouvement. Celle-ci est abordée dans ses reliefs avec l’intervention du spectateur. On connait également de lui une œuvre lumino-cinétique dont le mouvement est produit par un moteur et consiste en un décor fixe animé par la rotation de tubes en plexiglas à l’avant-plan (fig. 12). La géométrie cinétique était en vogue depuis l’exposition remarquée Le Mouvement organisée en 1955 chez Denise René par Victor Vasarely avec, entre autres, aux côtés de ce dernier, Alexander Calder et Pol Bury (29). À cette occasion, Vasarely théorise l’art optique et cinétique dans son Manifeste jaune.

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      Vers 1964, une nouvelle série, les claviers* (fig. 13), évoque la musicalité bien présente dans son œuvre et sur laquelle nous reviendrons. La composition devient une sorte de clavier mental.

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        Fig. 14 – Francis Olin, Sans titre (1968), Plexiglas, 31 x 74 cm. Collection Caroline & Maurice Verbaet.
        Photo : photographe Nicolas ClobertFermer
        Fig. 14 – Francis Olin, Sans titre (1968), Collection Caroline & Maurice Verbaet.

        Dans la même décennie, sa participation au Salon des Réalités Nouvelles, dont l’objectif fut d’imposer l’abstraction comme courant dominant dans la France d’après-guerre, le confronta à l’avant-garde internationale et notamment aux travaux des sud-américains attirés par la réputation de l’événement. (30) Ceux-ci, et on songe notamment à Carlo Cruz Diez, utilisent des Plexiglas qui leur offrent des possibilités de jeux sur la lumière et la couleur inégalés. Olin s’inspira de leurs recherches en 1968 pour la seule œuvre en Plexiglas que nous connaissons de lui à ce jour (fig. 14) dans laquelle il abolit l’inertie de la masse obscure du module grâce à la transparence du matériau et aux rayons diffractés de la lumière colorée. Signalons, par ailleurs, que Luc Peire qu’il fréquentait a utilisé quelques fois ce matériau (31). Des artistes belges comme Paul Van Hoeydonck et Roberte Mestdagh se distinguèrent également par l’emploi de ce matériau novateur. Quant aux structures en bois peint d’Olin, elles évoquent de façon troublante celles de Luis Tomasello. De plus, l’exposition d’art cinétique de mars-avril 1967, en collaboration avec la Galerie Denise René et Georges Folmer au Centre culturel de Toulouse (fig. 15), le confronta aux artistes du G.R.A.V. (Groupe de Recherche d’Art Visuel), à savoir Garcia Rossi, Le Parc, Sobrino, Stein et Yvaral, tous passionnés d’art construit et de cinétisme tout en cherchant une relation plus directe avec le spectateur.

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          « La puissance enchanteresse de la lumière »

          Fig. 16 – Francis Olin, Relief (1960), Peinture et éléments en bois sur panneau, 74, 4 x 74, 4 cm. Collection Caroline & Maurice Verbaet.
          Photo : photographe Nicolas ClobertFermer
          Fig. 16 – Francis Olin, Relief (1960), Collection Caroline & Maurice Verbaet.

          À la fin des années soixante, Olin travaille sur des reliefs blancs qualifiés de modulaires* (fig. 16). Il s’agit de modules de bois blancs parallélépipédiques ou prismatiques agencés sur des panneaux avec lesquels il s’attaque au problème de la lumière et à l’ombre portée. Cette technique l’inscrit dans la génération des plasticiens que l’on a qualifiés d’assembleurs (32). Aux matériaux de réemploi irréguliers d’un Vic Gentils, il privilégiera ceux manufacturés à l’identique. Ses œuvres gagnent en équilibre, clarté et frontalité, intégrant l’œuvre à la surface murale qu’elle pourra conquérir dans l’évolution de sa démarche. Luc Peire, revenant en 1978 sur ses impressions sur le travail d’Olin vingt ans plus tôt, écrira qu’il fut frappé par la « puissance enchanteresse de la lumière » (33). Elle joue, en effet, un rôle essentiel dans la révélation de l’œuvre grâce à ses effets cinétiques et elle conditionne le positionnement des modules sur le panneau. Le déplacement du spectateur engendre également un mouvement par des effets rétiniens allant de la clarté à l’obscurité. Olin délivre les pleins pouvoirs au regardeur qui assiste à une véritable métamorphose de l’œuvre en adoptant le point de vue le plus adéquat.

          Avec le recul historique, on mesure l’importance de son apport à l’art optique et cinétique, mouvement polymorphe dont le représentant le plus connu est Vasarely. Adepte de cette mouvance, Olin conçoit l’essence de l’œuvre comme transformable : « Qu’il s’agisse de la mobilité de la pièce elle-même, du mouvement optique, de l’intervention du spectateur, en fait, l’œuvre d’art est devenue, de par sa propre substance, de par sa propre nature, constamment et peut-être indéfiniment recréable. Peinture ou sculpture - encore qu’il devienne ici de plus en plus difficile de l’apparenter à l’un ou à l’autre genre - elle s’est délivrée de son caractère immuable, de sa totale fixité, de cette contrainte de la composition définitive que nous nous plaisions à lui reconnaître. » (34) Dans le sillage de Vasarely, Olin nie pour mieux l’imposer le principe de distance entre le spectateur-sujet et un objet distinct. « L’image vient à la rencontre du spectateur non pas tant pour l’englober, mais pour se positionner à la tangente d’un œil mythique quoique bien réel. Ce mouvement, ample comme une respiration et qui vient à notre rencontre, n’est rien en soi puisque c’est le regard qui le crée. Ce que nous croyons être face à nous vient de nous. Le jeu devient miroir. » (35)

          L’aspect sériel des modules suggère un dépassement subjectif du cadre de la composition abordant ainsi la question du temps et de la répétition. L’agencement des modules crée un rythme dans le dialogue ombre-lumière auquel Olin, amateur de musique de jazz, devait être sensible. Sa discographie comportait des représentants du free jazz tels que John Coltrane, Miles Davis, Sonny Rollins et Pharao Sanders. On ne s’étonnera pas que l’artiste propose une œuvre interactive, une partition dont le spectateur ressentira la vibration en fonction de ses propres lectures et affinités. Au-delà de son aspect mathématique, il s’agit bien là de créations intuitives. Le rapport juste à l’œuvre n’est pas tant celui de la composition mais bien plutôt celui de l’improvisation (au sens musical du terme) suspendue à un rythme susceptible de se répéter à l’infini. L’artiste déclara lui-même : « Comme il faut bien s’arrêter quelque part, je choisis de mettre cela sur une surface limitée […] ce sont des mesures arbitraires car la composition peut être beaucoup plus grande. » Tout est question d’harmonie car «  à ce moment-là, il convient de garder une proportion entre la surface et le module c’est-à-dire que plus la surface est grande, plus le module est important, il a toujours une proportion. » (36)

          Une réflexion sur la relation entre l’art et l’espace

          Fig. 17 – Lycée technique de Grenoble (1968) : détail (87 x 87 cm) d'un panneau décoratif en bas-relief, utilisant des éléments en bois de forme géométrique, sur un mur du préau des filles, 16m x 2,50m.
          Fermer
          Fig. 17 – Lycée technique de Grenoble (1968) : détail (87 x 87 cm) d'un panneau décoratif en bas-relief.
          Fig. 18 – Collège d’Enseignement Général de Brehal (1968) : Ensemble de 3 groupes d’éléments cylindriques en acier inoxydable de 4m de haut et de 1,80m de base.
          Photo : archives de la famille OlinFermer
          Fig. 18 – Collège d’Enseignement Général de Brehal (1968) : Ensemble de 3 groupes d’éléments cylindriques.

          Cette volonté de faire vibrer ses surfaces sculpturales au moyen de la lumière l’amène à sortir de l’isolement du relief et à la création d’environnements, voie vers laquelle le conduisait la logique de sa démarche d’art construit, rejoignant ainsi les préoccupations d’artistes belges comme Jo Delahaut qui dans Le Spatialisme adhérait à l’idée que « L’art doit participer à la vie quotidienne, s’incorporer dans le décor journalier et aider de la sorte l’homme à se dégager du passé et à s’accorder au présent. » (37)  Ainsi, Francis Olin pousse jusqu’au bout sa réflexion sur la relation entre l’art et l’espace, avec des réalisations monumentales (38) en 1968 à Grenoble (un bas-relief en bois de forme géométrique) (fig. 17) et à Brehal (3 groupes d’éléments cylindriques en acier inoxydable) (Fig.18-19) ainsi qu’en 1970 à Licques (structure orientable constituée d’éléments modulaires en P.V.C) (fig.20-21). Ses futurs projets d’intégration en site urbain pour Soisy (1971), Somain (1974) (fig.22) et Vermelles (1976), ne se concrétiseront pas. En 1993, sur la recommandation de Luc Peire, sollicité comme designer par l’architecte Jean Petit, il achève la décoration de la station métro Albert à Bruxelles (39) (fig. 23). Les deux artistes travaillèrent avec des matériaux identiques, à savoir de la brique émaillée, et une gamme chromatique réduite (bleu, blanc, noir), fournissant chacun un travail caractéristique de leur art : la recherche de verticalité chez Luc Peire et l’agencement modulaire chez Olin (fig.24-25). Confronté à la planéité murale, ce dernier renouait pour ainsi dire avec ses compositions des années cinquante. En intégrant ses œuvres dans des centres éducatifs et dans des lieux fréquentés par une large couche de population, il défend l’idée d’un art accessible à tous.

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            Le relief comme mode d’expression

            Fig. 26 – Francis Olin, Relief (1975), Peinture et éléments en bois sur panneau, 126 x 126 cm. Collection de la Province de Hainaut – Dépôt au BPS22, Charleroi (n° d’inventaire : 1525-89).
            Photo : Province de HainautFermer
            Fig. 26 – Francis Olin, Relief (1975), Collection de la Province de Hainaut.

            Jusqu’à sa mort, il poursuivra l’exploration des possibilités du relief. Les années 75-79 se caractérisent par l’emploi de quarts-de-rond, parfois avec des effets de couleurs dégradées ou métalliques qui sont dénuées de toute charge sentimentale (Fig.26-27). Celles-ci se limitent à souligner un contraste ou mettre une partie de la composition en valeur. L’artiste reniera cette période aux effets plus évidents. La plénitude de la monochromie blanche ou noire ressurgira dans les années 80-90, donc principalement dans son ultime atelier à Ormoy (Fig. 28-29). Le blanc, symbole de lumière, permet de décliner celle-ci en une infinité de gris tandis que le noir, symbole de materia prima, l’absorbe. L’apport d’une autre couleur (jaune, bleu) doit avoir une justification rythmique. En effet, l’art de Francis Olin consiste essentiellement à apprivoiser la lumière qui confère à l’œuvre son épiphanie comme le confirme une interview de 1988 où il expliqua sa méthode de travail : « Je travaille avec le volume c’est-à-dire [qu’] au départ, je dispose de ce que j’appelle le module, une quantité variable d’éléments modulaires que je dispose sur une surface plane par rapport à la lumière toujours. Donc, en conséquence, j’obtiens une composition que je peux éventuellement modifier mais toujours éclairée. Lorsque la composition est satisfaisante, je la transcris et, à ce moment-là, je commence l’exécution. » (40)

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              Rarement, il récupéra les supports sur lesquels il déposait ses modules pour les peindre de sorte que le résultat obtenu avec l’empreinte en négatif des éléments devenait une œuvre d’art à part entière (fig. 30).

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                Vers 1990, Francis Olin installera une nouvelle forme de module triangulaire caractéristique dans ses œuvres (fig. 31), lui permettant de suggérer des jeux de triangles et de losanges par assemblage, non sans évoquer le minimalisme de la Composition avec grille 3 : composition dans le losange (1918) de Piet Mondrian, artiste qui l’inspira à ses débuts.

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                  Au terme de plus de quarante ans de créativité artistique, emporté par un cancer du poumon, l’artiste nous laisse une œuvre résolument moderne. Son intention n’est pas des moindres : rechercher l’unité à partir de formes élémentaires et ordonner le chaos du monde quotidien. Ses reliefs sont des objets de méditation sur l’espace et le temps, des « retables abstraits » à la puissance évocatrice intacte.

                  * Nomenclature propre à Francis Olin.

                  Collections

                  Collection de la Province de Hainaut, Ministère de la Communauté française de Belgique, Collection Dexia, Musée des Beaux-arts de Mons, Fondation pour l’Art Belge Contemporain (Musée de Louvain-la-Neuve), Fondation Jenny & Luc Peire, Collection Thomas Neirynck, Collection Caroline & Maurice Verbaet, divers musées français, collections privées.

                  Orientation Bibliographique

                  - A. Van Wiemeersch, Contemporary Painters and Sculptors in Belgium, Gent, éd. Albert Van Wiemeersch, 1973, pp. 186-187.

                  - M. Ragon & M. Seuphor, L’art abstrait (1945-1970), volume 4, Paris, Maeght, 1974, p. 261.

                  - Rencontre internationale de sculpture [symposium], Parc Pierre, Sainte –Geneviève-des-bois,Essonne, 5 juin-30 septembre 1982, n.p.

                  - Francis Olin rétrospective 1952-1988, Site du Grand-Hornu, 3-15 juin 1988, 38p.

                  - Collection de la Province de Hainaut. Acquisitions récentes 1988-1990, Site du Grand-Hornu, 10 mai-2 juin 1991/7 juin-23 juin 1991, pp. 136-137.

                  - Vasarely – Hommages, Musée des Beaux–arts, Charleroi – Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, 1996-1997, pp. 58-59, 66.

                  - Art construit belge [d’hier à demain], La Louvière, Musée Ianchelevici, 19 janvier-4 mars 2001, p. 25.

                  - S. Goyens de Heush, XXe siècle, L’Art en Wallonie, Tournai, La Renaissance du livre, 2001, pp. 359-360.

                  - Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Vol. 2, Ohain-Lasne, Paul Piron & les Edition Art in Belgium, 2003, p. 238.

                  - Sculpture construite belge [Géométrie variable], Musée Ianchelevici, La Louvière, 2004, pp. 74-75.

                  - S. Goyens de Heush, Art belge au XXe siècle. Collection de la Fondation pour l’art belge contemporain. Musée de Louvain-la-Neuve, Bruxelles, Editions Racine, 2006, p. 360.

                  - Le cube au carré2, Les amis des musées de Verviers, Verviers, 2008, pp. 87-89.

                  - Abstractions géométriques belges de 1975 à nos jours, BAM, Mons, 2014, pp. 81-82.

                  - Francis Olin « Vibrations », Schiller Art Gallery, Bruxelles, 14 avril-26 juin 2016, 29p.

                  - Abstractions-arts non figuratifs belges après 1945, Musée Tavet-Delacour, Pontoise, 17 septembre 2016-15 janvier 2017, pp. 48, 51, 54-56.

                  Notes

                  NuméroNote
                  1Michel Ragon & Michel Seuphor, L’art abstrait (1945-1970), volume 4, 1974, p.261.
                  2Francis Olin rétrospective 1952-1988, Site du Grand-Hornu, 3-15.06.1988, p. 27.
                  3Art construit belge [d’hier à demain], Musée Ianchelevici, La Louvière, 19.01-04.03.2001 & Sculpture construite belge [Géométrie variable], Musée Ianchelevici, La Louvière, 2004.
                  4Le cube au carré 2, Les amis des musées de Verviers, Verviers, 2008.
                  5Abstractions géométriques belges de 1945 à nos jours, BAM, Mons, 22.03-13.07.2014.
                  6Abstractions-arts non figuratifs belges après 1945, Musée Tavet-Delacour, Pontoise, 17.09.2016-15.01.2017.
                  7Francis Olin, Vivre ne pas vivre, Mons, Holyman, s.d.
                  8Michel Ragon & Michel Seuphor, L’art abstrait (1945-1970), op.cit. Rem : Participations d’Olin au Salon des Réalités Nouvelles de façon régulière de 1955 à 1993. L'année 1955 correspond à une importante lacune dans le fonds d'archives du Salon des Réalités Nouvelles : il n'y a ni catalogue ni correspondance. Il est donc impossible de confirmer par ce biais la présence de Francis Olin à la manifestation de l'association cette année-là.
                  9Groupe Espace, Groupe Mesure : l'esthétique constructiviste de 1951 à 1970, une aventure du XXème siècle, Galerie Drouart, Paris, 26.11.2009-19.02.2010, p.40.
                  10Luc Peire, Groupe “MESURE”, Paris 1960, in : Mesures Art International, n° 2, Liège, 30.11.1988, p.10. Voir aussi les statuts du groupe (Archives Fondation Jenny & Luc Peire).
                  11Participations d’Olin au groupe Mesure : 1962, Kaiserslautern (cat.56-57-58) – 1962, Ludwigshaffen am Rhein (pas de catalogue, probablement même expo que Kaiserslautern – 1963, Leverkusen (cat. 56-57-58, même expo que Kaiserslautern) – 1964, Offenbach am Main (cat. 55 Relief-56 Relief-57 Relief) – 1964, Hambourg (pas de catalogue) – 1965, Bielefeld (cat.53 Relief-54 Relief-55 Relief) – 1965, Witten (cat. 47 Relief 1963 94x122, 48 Relief 1963 55x41, 49 Relief 1964 54x81).
                  12Peire-Verbruggen, Jenny & Peire, De ateliers van Luc Peire, Ludion, Gent-Amsterdam, 2001.
                  13Le texte de Luc Peire est daté 1983 au lieu de 1978 dans le catalogue. Voir Francis Olin rétrospective 1952-1988, op.cit., p.18.
                  14Groupe Espace, Groupe Mesure : l'esthétique constructiviste de 1951 à 1970, une aventure du XXème siècle, op.cit., p.44.
                  15Dr Nettmann, Mesure Groupe de expérimental de recherches platiques, Märkisches Museum, Witten, 19.09-10-10.1965, p.2.
                  16Groupe Espace, Groupe Mesure : l'esthétique constructiviste de 1951 à 1970, une aventure du XXème siècle, op.cit., p.44.
                  17Verderonne : 19.04.1969 & Lille, Galerie Jacqueline Storme : 30.01-28.02.1970.
                  18Participations d’Olin à Co-Mo : 1970, Ivry-sur-Seine – 1971, Belgisches Haus Cologne.
                  19Denys Chevalier in Le centre co-mo de Paris, Ville d’Ivry-sur-Seine, 6-27.05.1970, s.p.
                  20Id.
                  2115e Salon des Réalités Nouvelles, Musée Municipal d’Art Moderne, Paris, 17.04-1.05.1960.
                  22Vasarely – Hommages, Musée des Beaux–arts, Charleroi – Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, 1996-1997, p.8.
                  23Liste des ateliers successifs d’Olin : à partir de 1952 : 10 passage des Mousquetaires, Paris ; années ’60 : 91 rue des Ecoles / rue Saint-Eugène, Soisy-sur-Seine ; 1973-1976 : 40 Grand-Place, Arras ; 1976 : 48 rue Saint-Spire, Corbeil ; 1976-1982 : Général de Gaulle, Soisy-sur-Seine ; à partir de 1982 : 8 rue du four, Ormoy.
                  24Description de l’atelier parisien de Francis Olin voir J.-P. Vanderborght, Fils de Lanterne sourde, ASBL Jeunesse du Jazz, Bruxelles, 2015, pp 31-32.
                  25P. Bury, J. Delahaut, K. Elno et J. Séaux, Le Spatialisme, Bruxelles, 1954.
                  Repris in Jo Delahaut, Ecrits, Académie royale de Belgique, T.XXI, p. 150, 2003.
                  26Voir à ce sujet : Laura Neve, En marge de la toile in Abstractions géométriques belges de 1975 à nos jours, op.cit., pp 77-95.
                  27Terminologie empruntée à l’exposition : Surface sculpturale, Atelier 340, Bruxelles, 22.09-16.12.1984.
                  28Reportage de R. Saublains, Artistes du Hainaut. Direction Générale des Affaires Culturelles du Hainaut, 1988.
                  29Pol Bury – instants donnés – 50 ans de sculpture, Espace Fondation EDF, Paris, 27.04-23.08.2015, p.128.
                  30Francis Olin possédait notamment dans son atelier un catalogue de Carlos Cruz Diez (1977) et un catalogue de Luis Tomasello (1978).
                  31On peut citer comme exemple : Graphie XXC, 1969, peinture synthétique sur formica/barre en plexi, 100 x 40 cm, collection Fondation Jenny & Luc Peire.
                  32S. Goyens de Heush, Art belge au XXe siècle. Collection de la Fondation pour l’art belge contemporain. Musée de Louvain-la-Neuve, Bruxelles, Editions Racine, 2006, p.360.
                  33Francis Olin rétrospective 1952-1988, op.cit., p.18.
                  34Roger Bordier, L’œuvre transformable in « Le Mouvement », galerie Denise René, 1955.
                  À noter que ce texte se retrouve dans le prospectus de l’exposition d’art cinétique de mars-avril 1967 au Centre culturel de Toulouse.
                  35Vasarely – Hommages, op.cit. , pp.12-13.
                  36Reportage de R. Saublains, op.cit.
                  37P. Bury, J. Delahaut, K. Elno et J. Séaux, Le Spatialisme, Bruxelles, 1954.
                  Repris in Jo Delahaut, Ecrits, Académie royale de Belgique, T.XXI, p.151, 2003.
                  38Francis Olin bénéficia de la loi française du « 1% artistique » qui permettait à des artistes-plasticiens contemporains d’être associés aux créations architecturales publiques.
                  39Bulletin Fondation Jenny & Luc Peire, numéro 14, juillet 2016, p.13.
                  40Reportage de R. Saublains, op.cit.