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Art en général - Histoire générale - Monde - Sociologie Anne-Sophie Radermecker Signature et marché de l’art De l’usage maladroit de la signature d’artiste dans les études économiques
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Reporticle : 226 Version : 1 Rédaction : 01/02/2018 Publication : 09/04/2018

Introduction

C’est à l’occasion d’une interview accordée au Huffingtonpost que Marc E. Rosen, ancien responsable du département des estampes de chez Sotheby’s, déclara que le prix d’une planche de Picasso signée pouvait être deux fois plus élevé que celui d’une planche non signée (1) . Cette assertion, non fondée sur des occurrences chiffrées mais somme toute permise en raison d’une connaissance certaine du marché, résume à elle seule la valeur que revêt la signature d’artiste dans le négoce de l’art et le vif attrait qu’elle suscite auprès des acquéreurs. L’expression métonymique « acheter de grandes signatures » est d’ailleurs révélatrice de l’assimilation faite de nos jours entre la signature et le nom de l’artiste, tout comme la multiplication des dictionnaires de signatures, à l’usage des professionnels du monde de l’art, témoigne de l’intérêt croissant qui leur est prêté (2). Qu’elle soit présente ou omise, latine ou cursive, modeste ou expansive, autographe ou apocryphe la signature figure parmi les principales problématiques auxquelles l’histoire de l’art est confrontée. En tant que signe d’identité et de traçabilité, la signature révèle l’intervention et l’empreinte de l’auteur dans son œuvre, et participe de la sorte à la définition d’aura artistique, selon l’acception benjamienne. En outre, elle s’assimile à un indicateur d’artification par lequel s’opère le transfert du statut d’objet à celui d’œuvre d’art (3). La présence d’une signature facilite enfin le processus d’authentification des arts autographiques (4), et ses enjeux historiques et marchands sont d’autant plus grands qu’elle ne se limite pas à la catégorie des Beaux-Arts mais s’étend, sous diverses formes et fréquences, aux arts décoratifs et aux antiquités. Nombre d’œuvres signées sont ainsi susceptibles de transiter par les circuits des marchés primaire et secondaire, aux côtés d’objets dépourvus d’une telle marque présumée d’autographie. En contribuant à la différentiation de produits, la signature confère de facto une plus-value appréciable aux biens porteurs de la griffe de l’auteur.

Puisqu’elle matérialise l’idée de paternité, la signature est souvent appréhendée comme l’expression de la personnalité du créateur, et étudiée sous le prisme du contexte socioculturel dans lequel elle fut apposée (5). Plus rarement en revanche, la signature est envisagée dans sa relation au marché alors que les liens étroits qu’elle entretient avec celui-ci sont avérés depuis ses origines (6). Attestée dès l’Antiquité (7), ce n’est qu’à la charnière du Moyen Âge tardif et de la première Modernité que la pratique de la signature se développa, corollairement à l’émancipation de la figure de l’artiste et à la nouvelle configuration intellectuelle des Beaux-arts (8). Héritées des pratiques des corporations d’artisans (orfèvres, argentiers, ébénistes, menuisiers, architectes…) et de graveurs, les premières formes de signature s’assimilaient à des signes distinctifs (poinçons, estampilles, monogrammes, tâcherons…) (9) qui garantissaient au commanditaire ou à l’acheteur l’origine et la qualité d’une production résultant souvent d’une entreprise collective. Très tôt donc, la signature s’imposa comme un label de qualité, une marque de fabrique pensée et apposée à des fins notamment commerciales (10). Malgré la récupération à titre individuel de cette pratique par les artistes plasticiens, la signature conserva sa dimension collective dans les grands ateliers des XVIe et XVIIe siècles (11), témoins de la libéralisation progressive du marché de l’art occidental (12). C’est toutefois avec le XVIIIe siècle, et le XIXe siècle en particulier, que l’usage de la signature se systématisa, sous l’impulsion du mouvement romantique et l’avènement de l’artiste saturnien (13). Dans ce nouvel environnement, marqué par la dispersion des collections aristocratiques et le développement du connoisseurship, la signature du peintre s’imposa comme un gage d’autographie, témoignant de l’intervention unique d’un auteur unique dans une œuvre unique, l’authenticité et l’unicité jouant dès cette époque « un rôle dans l’authentification et l’évaluation économique de l’œuvre » (14). Depuis, et avec l’avènement de l’art moderne en particulier, l’artiste n’a eu de cesse de se jouer de la signature (15). Si certains d’entre eux préconisent encore le respect de la tradition, en s’attachant à l’exploiter avec systématisme et uniformité, d’autres en revanche se plaisent à la détourner, y renoncent ou l’insèrent plus largement dans leur démarche réflexive (16).

Le présent article s’intéresse à la réception de la signature d’artiste sur le marché de l’art récent. Peu traité par l’histoire de l’art, cet aspect de la problématique l’est davantage dans la littérature des sciences économiques, encore peu connue de la discipline. L’angle d’approche de cette étude est de nature épistémologique ; il s’agit d’apporter une réflexion critique sur l’usage qui est fait de la signature d’artiste dans les études empiriques, une fois celle-ci pensée comme une donnée statistiquement exploitable. La signature répond en effet à des logiques complexes qui requièrent certains fondamentaux afin d’éviter les conclusions hâtives quant à sa valeur effective sur le marché. En tant que construction culturelle, la signature et sa réception varient d’un contexte et d’une production à l’autre, ce qui empêche par conséquent toute tentative de généralisation. La première partie de l’article introduit les propriétés de la signature qui contribuent à la rendre attractive sur le marché de l’art, avec une attention particulière portée à la notion d’autographie. Dans un second temps, une introduction à la régression hédonique est opérée, ainsi qu’une synthèse des principaux travaux abordant la question de la valeur marchande de la signature. La réflexion porte ensuite sur l’identification de six écueils relatifs à la signature d’artiste, lesquels sont susceptibles de conduire à des mauvaises spécifications économétriques ou à des biais d’analyse. La notion de biais d’analyse doit, dans le cadre du présent article, être entendue au sens statistique du terme, c’est-à-dire comme autant de choix méthodologiques et d’échantillonnage pouvant générer des résultats inexacts. L’objectif de l’exercice ne vise toutefois pas à discréditer ces méthodes d’analyse, mais à en pointer quelques limites afin d’améliorer, à l’avenir, les modèles en usage.

Le bénéfice hédonique de la signature d’artiste

La valeur marchande de la signature est intrinsèquement liée à sa valeur symbolique (historique et artistique), mais plus encore, à sa dimension autographique. En effet, la signature répond théoriquement aux conditions de l’authenticité auctoriale, historique, et matérielle (17)  ; autrement dit, elle renvoie à l’auteur, mais également au contexte temporel, spatial et économique dans lequel elle fut apposée. Ces trois composantes de la notion d’authenticité favorisent le processus d’authentification et permettent de réduire l’incertitude entourant l’œuvre et ses origines ce qui, tant dans le milieu académique que sur le marché, constitue des enjeux majeurs. Plus généralement, la signature permet d’extraire un tableau, un dessin, ou tout autre objet d’art, du vaste flux d’œuvres anonymes auquel les historiens d’art, experts et professionnels du négoce sont confrontés dans leur quotidien. L’anonymat s’avère en effet peu favorable au bon fonctionnement du marché, les biens anonymes étant généralement moins considérés par les acteurs du marché (vendeurs et acheteurs) que les biens clairement identifiables et identifiés (18). La révélation du nom de l’artiste, par l’intermédiaire de son paraphe, permet au bien de sortir de cet état d’anonymat, d’être rattaché à son auteur et situé dans son œuvre, et plus globalement, de faire son entrée dans l’histoire de l’art. La signature, à l’instar d’un label de qualité, émet dès lors un signal positif fort à l’acheteur, puisqu’elle renvoie théoriquement au nom de l’artiste dont la réputation, de portée variable, intervient également dans la formation des prix. Le potentiel acheteur peut dès lors acquérir le bien convoité, sans courir le risque d’être leurré sur son authenticité et sa qualité. La signature d’artiste contribue de ce fait à réduire l’asymétrie d’information qui caractérise le marché de l’art en général (19), en augmentant la confiance de l’acheteur et sa propension à payer pour une œuvre. La garantie (présumée et jusqu’à preuve du contraire) de l’autographie est dès lors génératrice de retombées positives, tant pour le vendeur que l’intermédiaire de vente (bénéfices pécuniaires), et l’acheteur (bénéfices hédoniques, voire pécuniaires en cas de revente). La signature d’artiste, par l’information qu’elle véhicule sur l’identité de l’auteur, s’impose donc comme un paramètre valorisable et valorisé par le marché, à l’instar de ses propriétés plastiques et esthétiques, lesquelles peuvent être également recherchées pour elles-mêmes (20).

Fig. 1a – Première de couverture et extrait du « Catalogue d'une fameuse collection de tableaux de différens maîtres françois, italiens, flamands & hollandois dont la vente se fera à Bruxelles jeudi 11 avril 1765 & jours suivans, en argent de change, à 9 heures du matin & 2 heures après-midi », Paris, Institut National d’Histoire de l’art (Collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA).
Photo : INHAFermer
Fig. 1a – Exemple d’un catalogue de vente du XVIIIe siècle (Bruxelles, 11 avril 1765), Paris, Institut National d’Histoire de l’art.
Fig. 1b – Première de couverture et extrait du « Catalogue d'une fameuse collection de tableaux de différens maîtres françois, italiens, flamands & hollandois dont la vente se fera à Bruxelles jeudi 11 avril 1765 & jours suivans, en argent de change, à 9 heures du matin & 2 heures après-midi », Paris, Institut National d’Histoire de l’art (Collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA).
Photo : INHAFermer
Fig. 1b – Exemple d’un catalogue de vente du XVIIIe siècle (Bruxelles, 11 avril 1765), Paris, Institut National d’Histoire de l’art.

Pour ces différents motifs, galeristes, marchands et salles de vente n’hésitent pas à mettre en exergue la signature dans leurs catalogues, et plus spécifiquement dans la notice technique de l’œuvre, laquelle précède traditionnellement une notice descriptive dont la longueur varie d’un lot à l’autre. L’amateur est donc, dès les premières lignes, confronté à cette marque présumée d’autographie, la signature s’apparentant alors à un argument de vente susceptible d’orienter la décision d’achat du consommateur, en sus d’autres facteurs intervenant dans la définition de la valeur d’une œuvre. Il convient toutefois de préciser que cette mise en avant du nom et de la signature d’artiste est une pratique symptomatique des marchés des XXe et XXIe siècles. Nombre de catalogues de vente anciens, des XVIIe et XVIIIe siècles en particulier, révèlent une relation au nom et à la signature quelque peu différente de la nôtre (fig. 1a-b). Si le nom du peintre était déjà introduit à des fins d’identification (21), celui-ci n’était pas nécessairement annoncé en début de notice mais parfois relégué à la fin du titre du lot, lequel se réduisait bien souvent à une brève description de la composition, tandis que lorsque plusieurs lots étaient associés à un même nom, celui-ci était introduit en premier. En outre, la présence d’une signature ne faisait que rarement l’objet d’une mention, alors qu’il est aujourd’hui peu concevable que la majorité des œuvres autrefois mises en vente était dépourvue de signature (22). A bien des égards, le nom de l’artiste pouvait donc occuper une position secondaire, loin d’être la première information à laquelle l’œil du lecteur était confronté une fois celui-ci exposé au lot. Si la plupart des biens étaient présentés comme autographes, certaines tentatives d’attribution pouvaient être opérées à de rares occasions afin de différencier les œuvres de l’artiste de celles exécutées à sa manière ou « dans le goût de » (23). Avec le XIXe siècle en revanche, la mention de la signature se fit plus fréquente, sans pour autant être textuellement reproduite dans la notice. Ce constat s’inscrit plus largement dans une logique de développement marketing des catalogues de vente (24) qui, progressivement, furent dotés d’informations additionnelles relatives à la provenance de l’œuvre, ses passages antérieurs dans des expositions, et ses références dans la littérature existante. 

La régression hédonique ou comment estimer la valeur monétaire de la signature d’artiste

Si la valeur symbolique de la signature d’artiste se justifie, du point de vue de l’histoire de l’art, pour des motifs artistiques, historiques et d’autographie, la question de sa valeur marchande stricto sensu relève davantage de l’expertise des économistes de l’art. En effet, se limiter à la seule comparaison de moyennes et de médianes, calculées à partir des prix atteints par des objets signés et non signés, ne permet pas de saisir la valeur effective de la signature, et ce en raison d’autres facteurs qui interviennent dans l’élaboration des prix. De ce fait, une méthode spécifique, issue de l’économétrie et appelée régression hédonique (Hedonic Pricing Model), est utilisée parmi d’autres procédés afin d’estimer les déterminants de prix sur le marché de l’art. La littérature situe généralement l’origine de cette méthode en 1966, avec les travaux de l’économiste Kevin Lancaster qui, dans un article pionnier, proposa une manière innovante d’aborder la théorie de la consommation (25). L’auteur y introduit le concept d’« ensemble de caractéristiques » (bundle of characteristics) qui suggère que tout bien de consommation peut être appréhendé comme un ensemble de propriétés observables. Chaque bien possède en effet un certain nombre de caractéristiques qui lui sont propres mais qu’il partage avec un ensemble d’autres biens similaires. Chacune d’entre elles revêt une valeur implicite qui équivaut à un pourcentage de son prix. Une fois cumulées, ces valeurs implicites offrent une idée approximative du prix moyen atteint par un ensemble de biens. Cette théorie, bien qu’elle ne soit pas à l’origine tournée vers l’étude du marché des arts plastiques, a néanmoins été récupérée à cette fin, en exploitant les résultats des ventes aux enchères. L’œuvre d’art est alors artificiellement décomposée en un ensemble de caractéristiques intrinsèques et extrinsèques qui contribuent à définir sa valeur marchande. Le prix d’une œuvre dépend en effet d’un ensemble de facteurs explicatifs, parmi lesquels figurent le nom de l’artiste (certains noms étant, par hypothèse, plus lucratifs que d’autres en raison de leur réputation), l’attribution de l’œuvre (valable en particulier pour l’art ancien, et son échelle d’authentification qui se décline en sept degrés (26)  : autographe, attribué à, atelier de, entourage de, suiveur de/style de, manière de, copie d’après), les dimensions de l’œuvre (hauteur et largeur souvent exprimées en centimètres), le sujet (selon la classification des genres : religieux, genre, portrait, nature morte, peinture d’histoire, abstraction...), le matériau (panneau, toile, papier, cuivre...), la technique (huile, tempera, aquarelle, crayon, acrylique...), la présence d’une signature et/ou d’une date. D’autres variables extrinsèques sont également prises en compte comme la provenance de l’œuvre (lorsque celle-ci est documentée un minimum ou lorsque les noms des propriétaires antérieurs sont connus), le nombre de passages en exposition, les publications faisant référence à ladite œuvre, ou encore la présence d’un certificat d’authenticité. À cela s’ajoutent enfin d’autres facteurs explicatifs tels que la date de la vente (par année, semestre, mois ou semaine) et le nom des salles de vente (leur réputation respective pouvant également affecter les prix). Sans entrer davantage dans des considérations techniques (27), les résultats de la régression hédonique se matérialisent sous la forme de coefficients, pouvant prendre une valeur positive ou négative, significativement différente ou non de zéro. Ces coefficients permettent d’estimer, sur l’ensemble de l’échantillon d’œuvres concerné, le pourcentage qu’il convient d’ajouter ou de retirer au prix moyen des œuvres présentant une caractéristique similaire, et ce en comparaison à un groupe de référence qui ne présente pas cette caractéristique.

Fig. 2 – Le poids de la signature sur le marché de l’art : tableau récapitulatif de l’impact des œuvres signées sur les prix de vente, réalisé à partir d’une sélection d’articles intégrant la variable signature.
Photo : Anne-Sophie RadermeckerFermer
Fig. 2 – Le poids de la signature sur le marché de l’art : tableau synthèse.

Autrement dit, l’usage de la régression hédonique requiert plusieurs préalables. D’une part, le modèle nécessite de penser et de réduire l’œuvre d’art à un ensemble de caractéristiques empiriques jugées objectives. D’autre part, il exige un glissement cognitif qui consiste à passer d’une approche spécifique (l’étude d’une œuvre unique ou d’un corpus limité d’œuvres) à une approche générale (avec des échantillons dont la taille peut varier d’une centaine, à plusieurs centaines de milliers d’œuvres) ce qui, inévitablement, revient à renoncer aux aspects qui font l’unicité et la singularité de l’œuvre. Comme tout modèle statistique, la régression hédonique propose une modélisation – aussi fidèle que possible, mais nécessairement imparfaite – de la réalité, qui permet néanmoins d’appréhender certains phénomènes de façon plus appropriée que ce que ne permettent les méthodes strictement descriptives, moins représentatives de cette réalité. Si le modèle hédonique a fait l’objet de révisions en vue d’en améliorer les performances (28), le traitement des données issues de l’histoire de l’art n’a quant à lui pas fait, du moins explicitement, l’objet d’une réflexion de fond. Or dans ce panel de caractéristiques, l’usage parfois approximatif qui est fait de la variable signature mérite à son tour d’être interrogé. Son traitement statistique est, dans la plupart des études dédiées au marché de l’art, dichotomique ; une œuvre est signée ou elle ne l’est pas. Ainsi, la variable binaire signature prend-elle dans le modèle la valeur de « 1 » si l’œuvre est signée, et la valeur de « 0 » dans le cas contraire. Le coefficient résultant de la régression livre l’information suivante : par rapport au prix moyen d’une œuvre non signée, et toutes choses étant égales par ailleurs, le prix d’une œuvre signée sera x fois supérieur (ou inférieur) à celui-ci. Conscients de l’impact potentiel de la signature sur les prix de vente, nombre d’auteurs intègrent à juste titre cette variable dans leurs modèles. Le tableau suivant (fig. 02) propose une synthèse des principaux résultats publiés ces dernières décennies (29).

Les résultats obtenus sont, à quelques exceptions près, univoques et confirment la forte valeur marchande de la signature sur le marché de l’art. Néanmoins, les résultats de Czujack (1997) réfutent l’assertion de l’expert de chez Sotheby’s, puisque contrairement aux estampes signées, la signature de Picasso semble affecter négativement les prix de sa production peinte, sans qu’aucune tentative de justification ne soit pour autant apportée par l’auteur. Néanmoins, malgré l’existence de certaines variations, très certainement liées à la nature des échantillons, les chiffres tendent à suggérer que le prix moyen des œuvres signées peut être deux fois supérieur à celui des œuvres non signées. Une étude récente, dans une logique similaire, a conduit le raisonnement plus loin en ambitionnant de tester statistiquement la valeur du « narcissisme » de l’artiste, et ce à partir de la taille des signatures apposées sur les tableaux (30). Les résultats, pour le moins étonnants, démontrent que plus la signature de l’artiste est visible, imposante et exubérante (en fonction de ses dimensions et de sa forme), plus les œuvres concernées sont économiquement performantes et susceptibles d’atteindre des prix plus élevés. Avant même la publication officielle de l’article, nombre de sites en ligne spécialisés ou non dans le marché de l’art ont récupéré et relayé l’information, en affirmant qu’une signature traduisant un égo surdimensionné peut s’apparenter à une option lucrative qui permet d’augmenter la valeur des œuvres (31) .

Quelques propriétés de la signature d’artiste et leurs limites d’interprétation

Que la signature d’artiste soit profitable sur le marché de l’art est un fait difficilement contestable, en raison des motifs et des résultats exposés. Comme l’a observé l’économiste N. Moureau, le négoce de l’art est passé, avec l’avènement de l’art moderne, d’un marché des œuvres à un marché des noms, et dans ce dernier, la faible substituabilité de la signature est un déterminant majeur de succès (32). Si la régression hédonique permet une modélisation compréhensive de la réalité, la dichotomie « œuvres signées » et « œuvres non signées » fait néanmoins fi de certaines propriétés de la signature, lesquelles sont pourtant nécessaires à la correcte interprétation des résultats. La réappropriation et la diffusion de ces résultats par les médias véhiculent une vision parfois réductrice de la valeur marchande de la signature, tant auprès des acheteurs que des artistes. La présente section se consacre donc à l’identification de plusieurs écueils qui tendent à relativiser le poids de la signature sur le marché de l’art. Les cinq premiers ont trait à la question de l’identité de l’artiste, tandis que le sixième écueil porte davantage sur les propriétés sémantiques de la signature.

Premièrement, il convient de s’assurer qu’une œuvre d’art n’est pas signée ; un écueil qui concerne davantage le segment de l’art ancien dont les matériaux ont pu souffrir des aléas du temps avec, en guise de conséquence, l’effacement ou la dissimulation de la signature. Des recherches approfondies permettent dans certains cas de faire réapparaître des signes autographes, jusque-là insoupçonnés, et de procéder ainsi à l’authentification de l’œuvre ou à l’ajustement de son attribution (33). En raison de l’impossibilité de mener des recherches scientifiques et des campagnes de restauration systématiques sur chaque œuvre transitant par le marché, il est probable que nombre de biens qui ont circulé, ou circulent encore, dans les circuits économiques soient dotés de signatures sans qu’il ne soit toutefois possible à ce stade de les identifier, ou pour lesquelles l’information est définitivement perdue. Des œuvres à la signature non dévoilée ont, par conséquent, pu intégrer des modèles hédoniques en tant qu’œuvres non signées. Autrement dit, il existerait un biais de sélection dans les échantillons de contrôle (ceux des œuvres non signées) étant donné que ceux-ci sont susceptibles de contenir des œuvres signées (et vice-versa pour les échantillons d’analyse). Le scénario idéal consisterait donc à s’assurer de l’homogénéité de chaque sous-échantillon. Si un tel dispositif pouvait être effectif, on peut raisonnablement supposer que les écarts différentiels seraient encore plus significatifs, renforçant ainsi le poids de la signature. Pallier cet écueil ne reviendrait donc pas à générer des résultats différents, mais plutôt à optimiser les modèles qui incluent intégralement ou en partie l’art ancien, et à soutenir les conclusions actuelles, tout en apportant les nuances nécessaires.

Fig. 3a – Format monumental versus format réduit et signé (au revers) du Balloon Dog (Yellow) de Jeff Koons, 2015, porcelaine chromée, 26,7 cm de diamètre. (collection privée).
Photo : MET (New York) et Heritage Auctions (HA.com)Fermer
Fig. 3a – Jeff Koons, Balloon Dog (Yellow). (Collection privée).
Fig. 3b – Format monumental versus format réduit et signé (au revers) du Balloon Dog (Yellow) de Jeff Koons, 2015, porcelaine chromée, 26,7 cm de diamètre. (collection privée).
Photo : MET (New York) et Heritage Auctions (HA.com)Fermer
Fig. 3b – Jeff Koons, Balloon Dog (Yellow). (Collection privée).

Deuxièmement, le choix d’apposer ou non une signature est un état de fait qui résulte de contingences historiques (pour les antiquités, la peinture médiévale et moderne notamment), matérielles (lorsque le matériau et la technique ne s’y prêtent pas) ou encore artistiques (par choix personnel), ce qui signifie que l’absence de signature ne contrevient pas pour autant aux notions d’autographie et de qualité. On l’a vu, l’usage de la signature est un phénomène tardif, et nombre d’œuvres plus récentes n'ont pas été signées car elles étaient simplement destinées à rester la propriété de l’artiste ou de ses proches. Les œuvres non signées ne possèdent dès lors pas nécessairement une moindre valeur artistique. Un constat similaire peut être observé dans le secteur de l’art contemporain avec des artistes qui, volontairement, adoptent un comportement marginal vis-à-vis de la signature en refusant d’y adhérer ou en l’exploitant à fréquences irrégulières. A l’instar des œuvres monumentales de Damien Hirst, celles de Jeff Koons ne sont pas toujours dotées d’une signature, alors que leurs petits et moyens formats – soit des multiples amenés à circuler physiquement sur le marché – présentent davantage la griffe de l’artiste (fig. 3a-b-c). La fonction et la destination de l’œuvre sont donc susceptibles de déterminer la nécessité d’y apposer ou non une signature, sans que cela n’implique un quelconque changement de valeur ni de qualité. Certes, l’objectif des auteurs d’études intégrant la variable signature n’est pas de porter un jugement de valeur sur la qualité présumée des œuvres. Leur objectif reste avant tout de rapporter des observations du marché, cet écueil ne pouvant donc être perçu comme un biais statistique stricto sensu. La notion de qualité figure néanmoins parmi les déterminants de prix les plus décisifs du marché de l’art, et se matérialise notamment dans les degrés d’attribution, la provenance mais aussi la signature. Cette considération mérite donc d’être gardée à l’esprit car les exemples d’œuvres intentionnellement non signées sont fréquents sur le marché, l’objectif étant d’éviter le préjugé selon lequel une œuvre signée est davantage symptomatique de la main de l’artiste qu’une œuvre non signée.

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    Le troisième écueil, sans doute le plus évident, concerne la notion d’autographie. Les modèles actuels considèrent que chaque signature renvoie nécessairement à son auteur. Or considérer la signature comme une garantie d’authenticité est une gageure. Les historiens de l’art émettent depuis longtemps toutes les réserves nécessaires quant à l’appréhension de la signature (34), celle-ci pouvant être fausse ou apocryphe, c’est-à-dire le fait d’une main étrangère à celle de l’artiste – par souci d’identification ou pour des motifs frauduleux –, qu’elle soit le fait d’un membre de son atelier, d’un collectionneur, d’un marchand ou encore d’un faussaire (35). La valeur marchande de la signature, telle qu’envisagée en économie, est donc établie à partir de la présomption que chaque occurrence recensée dans l’échantillon est le fait de son auteur. Une telle affirmation s’avère bien hasardeuse lorsque l’on sait que près de la moitié des lots circulant sur le marché sont faux ou mal attribués (36) . Ce constat n’est pas pourtant sans conséquence d’un point de vue économique, puisque la probabilité qu’une fausse signature affecte négativement les prix est grande.

    Le segment de la peinture ancienne est à nouveau particulièrement concerné par la problématique de l’autographie des signatures, et l’histoire regorge d’anecdotes relatant l’usurpation par autrui de la griffe d’un maître. Les signatures de Hieronymus Bosch, Albrecht Dürer et Pieter Bruegel l’ancien furent naguère parmi les plus visées par cette pratique et ce pour des motifs de lucre évidents, l’usurpation d’un nom célèbre permettant déjà à l’époque d’accroître les profits (37). La signature d’atelier est autrement plus délicate à interpréter puisque diverses pratiques ont pu être observées. L’œuvre pouvait être exécutée par un membre de l’atelier (assistant, élève, collaborateur), avant d’être signée par sa main ou celle du maître supervisant l’entreprise collective (38). Dans le premier cas, la signature s’assimile à une trade-mark (39) qui, dans la continuité des corporations médiévales, véhicule simultanément le nom du maître (une identité définie) et la marque de son atelier (une identité collective) (40). Dans ce cas de figure, l’authenticité auctoriale n’est pas satisfaite, à l’inverse toutefois de l’authenticité historique et matérielle puisque l’œuvre et la signature émanent tout de même du contexte d’activité du maître. Dans le second cas, seule la signature renvoie à la main du maître, tandis que l’œuvre reste quant à elle le fait d’une main anonyme. En revanche, lorsque la signature est un ajout plus tardif (visant à tromper ou non l’acquéreur sur la véritable nature de l’œuvre), l’authenticité historique et matérielle s’estompe, voire disparaît. En d’autres termes, la certitude autour de l’autographie de la signature est d’une complexité équivalente à celle de l’autographie de l’œuvre d’art et requiert des méthodes d’analyse pointues pour s’assurer, jusqu’à preuve du contraire, de son authenticité. Si les méthodes d’investigations scientifiques sont ponctuellement sollicitées par le marché pour confirmer l’authenticité d’une œuvre, la graphologie n’est en revanche que rarement exploitée pour déterminer la validité de la griffe de l’auteur.

    Fig. 4 – Mise en vente des tableaux de l’atelier de Jan Brueghel le jeune et de Jan van Kessel l’ancien, Kunsthandel P. De Boer, Bruxelles, Paris Tableau (2017).
    Photo : Anne-Sophie RadermeckerFermer
    Fig. 4 – Atelier de Jan Brueghel le jeune et Jan van Kessel l’ancien, Bruxelles, Paris Tableau (2017).
    Fig. 5 – Atelier de Jan Brueghel le jeune (1601-1678), Une souris, une tortue, une libellule, une chenille, des scarabées et des poissons, huile sur panneau, 12,5x16,5 cm. (Collection privée).
    Photo : Kunsthandel P. De BoerFermer
    Fig. 5 – Atelier de Jan Brueghel le jeune (1601-1678), Naturalia. (Collection privée).

    Un cas récent, observé sur le marché secondaire, permet d’illustrer concrètement ces propos. A l’occasion d’un salon d’art, le marchand P. De Boer offrait à l’appréciation du public les deux lots suivant, disposés en vis-à-vis (fig. 04) (41). Le premier tableau (fig. 05), attribué à l’atelier de Jan Brueghel le jeune (Anvers, 1601-1678), est une naturalia peinte à l’huile sur panneau, présentant sur un fond clair, et selon une logique encyclopédique, treize études d’insectes et autres petits vertébrés et invertébrés. L’œuvre n’est pas signée, ni datée et le cartel n’apporte aucune information spécifique sur sa provenance. Le second tableau (fig. 06), peint à l’huile sur cuivre, offre une composition similaire. Authentifiée comme Jan van Kessel l’ancien (Anvers, 1626-1679), l’œuvre dépeint huit insectes ptérygotes, aux carapaces de couleurs vives, lesquelles dénotent sur un fond neutre similaire au précédent. L’œuvre est signée J. Brueghel, mais non datée. Le catalogue en ligne de la galerie apporte des informations complémentaires relative à sa provenance. D’après une inscription identifiée au revers, l’œuvre appartenait au célèbre collectionneur Alfred Morrison (1821-1897) (42), avant d’être offerte aux enchères chez Christie’s le 28 janvier 1899, deux ans après le décès de son propriétaire (fig. 07) (43). Des recherches de provenance permettent de retracer plus en détail le parcours de l’œuvre de Van Kessel, laquelle transita chez Fischer à Lucerne en juin 2016, avec une notice présentant la signature comme apocryphe (44). Les deux tableaux furent ensuite présentés lors d’une vente-exposition co-organisée par Sotheby’s New York et la Paul Kasmin Gallery entre janvier et mars 2017. L’attribution du second tableau diffère toutefois sensiblement, lequel n’est plus attribué à l’atelier de Jan Brueghel le jeune, mais à Jan Brueghel le jeune et atelier (45). A la lumière de recherches menées au microscope, les experts de Sotheby’s ont pu confirmer l’authenticité de la signature, jugée contemporaine de l’exécution des insectes. Dans son ouvrage dédié à l’artiste, Klaus Ertz fait également état de plusieurs tableaux de Van Kessel dotés d’une signature de Jan Brueghel le jeune (46).

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      Une fois transposée dans un modèle économétrique, la variable signature prendrait en tout probabilité la valeur de 1, sans qu’aucune distinction ne soit opérée entre son signifiant (J. Brueghel) et son signifié (Jan van Kessel). Or la signature ne renvoie pas à l’auteur de l’œuvre mais à la marque de fabrique de l’atelier (Brueghel). La signature n’est dès lors pas une marque d’autographie mais plutôt le symptôme d’une entreprise collective, soit une considération susceptible d’affecter la décision d’achat. Seules des recherches scientifiques plus tardives ont permis d’identifier l’auteur, Jan van Kessel l’ancien qui, à l’origine, œuvrait anonymement dans l’atelier du maître. En l’absence de résultats de vente, il est néanmoins délicat de savoir ce que, dans de telles circonstances, l’acheteur potentiel pourrait valoriser. Est-il préférable d’acquérir une œuvre non signée mais en lien direct avec l’activité de Jan Brueghel le jeune (son atelier) ou un tableau signé Jan Brueghel le jeune mais attribué à un autre maître, au nom sans doute moins évocateur pour les non spécialistes ? Le cas « Jan van Kessel, signé Jan Brueghel » est un exemple particulièrement révélateur des limites des méthodes économétriques et, outre son caractère anecdotique, cet exemple concerne bien d’autres œuvres d’atelier, lesquelles affluent encore abondamment sur le marché. Il convient toutefois d’admettre que l’écueil des signatures non autographes est particulièrement délicat à résoudre puisque celles-ci sont intentionnellement exécutées pour ne pas être détectées. La fonction première d’une signature apocryphe ou d’une signature frauduleuse est de jouer sur l’effet de trompe-œil, et de faire croire au spectateur qu’il s’agit bel et bien du monogramme de l’auteur. Autrement dit, la dissociation entre l’auteur de l’œuvre et l’auteur de la signature, lorsqu’elle s’impose, reste une opération difficilement envisageable. Néanmoins, si un nombre suffisant d’occurrences venait à rendre possible ce type d’analyse, un tel ajustement permettrait d’estimer plus objectivement la valeur moyenne de la signature comme marque autographe et, plus largement, l’importance accordée à la notion d’autographie.

      Le quatrième écueil porte sur la réputation des artistes auxquels les signatures se réfèrent, et leur mouvement d’appartenance. La valeur implicite de la signature dépend en effet de la réputation des noms d’artistes considérés dans l’échantillon d’analyse. Une œuvre non signée mais attribuée à un grand nom est susceptible d’être davantage estimée qu’une œuvre certes signée mais dont le nom n’est guère évocateur (47). En effet, les résultats du tableau précédemment exposés suggèrent que le poids économique de la signature varie sensiblement d’une étude à l’autre. Les échantillons regroupant plusieurs mouvements artistiques produisent généralement des résultats significativement positifs et élevés, tandis que les échantillons portant sur un mouvement plus spécifique (art latino-américain, art polonais) génèrent des résultats plus faibles, voire négatifs. Sans surprise, la signature en peinture ancienne est quant à elle hautement valorisée. Une généralisation de l’effet positif de la signature sur le marché de l’art s’avère dès lors délicate et ce, en raison des différences de visibilité, de rayonnement et de notoriété des artistes et/ou des mouvements considérés. En tant que construction culturelle, la notion de réputation varie en fonction des époques, des lieux et des cultures ; la signature révèle par conséquent une certaine conception sociale de l’identité et de la réputation d’un individu à un moment donné (48). Certes, la régression hédonique contrôle la notion de réputation par l’intégration des noms d’artistes, mais il est probable que le poids de la signature soit susceptible de varier en fonction de l’échantillon d’artistes, ou des mouvements artistiques auxquels ils appartiennent. Une solution statistique consisterait à recourir à des termes d’interaction afin d’observer les comportements des coefficients obtenus pour les œuvres signées et associées à un mouvement spécifique, et ceux des œuvres signées associées à des catégories de maîtres de réputation similaire. En d’autres termes, ce procédé permettrait de voir si les signatures d’artistes dits secondaires ont le même impact sur les prix que les signatures d’artistes dits majeurs, ou si la pratique de la signature dans certains courants artistiques est davantage valorisée par le public du marché.

      Fig. 8 – Herri met de Bles (ca. 1510-1550), An extensive rocky landscape with the flight into Egypt, Sotheby’s New Bond Street (Londres), Old Master & British Paintings Evening Sale Including Three Renaissance Masterworks from Chatsworth, 05 décembre 2012, lot 33. (Motif de la chouette représenté dans une cavité rocheuse, située le prolongement du doigt de Joseph).
      Photo : Sotheby’sFermer
      Fig. 8 – Herri met de Bles (ca. 1510-1550), An extensive rocky landscape with the flight into Egypt. Vente Sotheby’s 2012.
      Fig. 9 – Herri met de Bles, Il Civetta (ca. 1510-1550), A landscape with the conversion of Saint Paul on the road to Damascus, Christie’s Rockefeller Plaza (New York), Important Old Master Paintings, 25 janvier 2002, lot 47. (Motif de la chouette représenté à gauche de la composition, vers le milieu du tronc d’arbre).
      Photo : Christie’sFermer
      Fig. 9 – Herri met de Bles, Il Civetta (ca. 1510-1550), A landscape with the conversion of Saint Paul on the road to Damascus. Vente Christie’s 2002.

      Un cinquième écueil résulte du fait que la stratégie d’identification utilisée par les économistes repose sur une définition littérale de la signature, c’est-à-dire, comme inscription textuelle du nom de l’artiste sur son œuvre. Or le registre de la signature s’étend à bien d’autres formes de manifestations (monogrammes, emblèmes, cartellini, signatures camouflées, signatures parlantes, labels…) qui, sans impliquer l’écriture formelle du nom, ne rejettent pas l’autographie pour autant (49). L’autoportrait figure parmi les variations les plus singulières de la signature. L’autoreprésentation de l’artiste par ses soins, dans une ou plusieurs de ses compositions –indépendamment de l’échelle de représentation (autoportrait en gros plan, autoportrait fondu dans une masse confuse d’individus...) – n’est autre qu’une forme particulière de signature (50). En s’immisçant physiquement dans le tableau, l’artiste matérialise doublement son intervention dans l’œuvre. L’autoportrait devient alors une signature qui rend presque accessoire son équivalent manuscrit. Alors que l’autoportrait est pratiqué dans la majorité des mouvements artistiques, cette forme particulière de signature n’est pourtant pas considérée dans les études économiques. Tout au plus, l’autoportrait est-il intégré dans la catégorie générique portraits, aux côtés d’autres thèmes iconographiques, sans distinction. D’autres artistes ont par ailleurs préconisé une forme indirecte de signature en insérant, de façon plus ou moins visible et récurrente, un insigne ou un rébus distinctif (51). Généralement définies à partir de consonances phonétiques et/ou de rapprochements sémantiques, ces signatures camouflées évoquent symboliquement les noms et surnoms des artistes, et s’apparentent à de véritables substituts à la signature calligraphiée (52). Herri met de Bles, dont les œuvres circulent encore régulièrement sur le marché, s’est distingué dans cette pratique grâce au motif emblématique de la chouette (Civetta), surnom autrefois attribué au maître originaire de Bouvignes. Dans son Schilderboeck (1604), Karel van Mander associait déjà le petit rapace à la signature de l’artiste (53). Fait intéressant, le marché de l’art récent démontre également avoir connaissance de l’anecdote (fig. 8 et 9). Lors du passage en vente en 2012 d’un Paysage montagneux avec la Fuite en Égypte (54), Sotheby’s associe explicitement le motif de la chouette à la signature de l’artiste (« signed with the owl device lower centre »), à l’instar de la maison Christie’s qui, en 2002, préfère ajouter à cette mention un point d’interrogation (« signed(?) with the owl device (center left, in the tree) ») (55). La nuance apportée par la salle de vente témoigne certes de l’ambivalence de cette forme marginale de signature, mais force est de constater qu’en contrepartie, aucune signature traditionnelle n’a pu être détectée. À nouveau, la signature camouflée n’est que rarement intégrée dans le modèle hédonique alors qu’une distinction permettrait, moyennant un nombre de fréquences suffisant, d’observer si une valeur similaire leur est conférée par le public. Si l’information n’est pas toujours relayée dans la fiche technique de l’œuvre, elle peut néanmoins apparaître dans le corps de la notice, ce qui exige un travail supplémentaire de consultation et de lecture des catalogues de vente, ainsi qu’un effort de cryptage de l’information afin de pouvoir l’intégrer au modèle. Il convient cependant de souligner que ce type de signatures peut, à l’instar des formes manuscrites, être tout autant l’objet de falsifications.

      Fig. 10 – Détails du ductus stylistique de Frans Hals. Successivement Jeune garçon riant, ca. 1620-1625, huile sur panneau, 29,5 cm de diamètre, (Mauritshuis, Den Haag) ; Le joyeux buveur, ca. 1628-1630, huile sur toile, 81x66,5 cm, (Rijksmuseum, Amsterdam) ; Jeune pêcheur, ca. 1630, huile sur toile, 74x61 cm, (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers).
      Photo : KMSKAFermer
      Fig. 10 – Détails du ductus stylistique de Frans Hals. (Collections publiques).
      Fig. 11a – Signature et ductus stylistique d’Yves Klein. Successivement Yves Klein, Le monochrome, 1960 et RE 29 – 1957. Source : J.-P. Ledeur, Yves Klein, Guy Pieter Éditeur, 2012, pp. 40 et 138.
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      Fig. 11a – Signature et ductus stylistique d’Yves Klein. Source : J.-P. Ledeur (2012).

      Plus complexe encore est la notion de ductus stylistique (56), une fois la signature définie comme « l’ensemble des caractères, des qualités spécifiques et reconnaissables qui révèlent la personnalité d’un auteur, d’un artiste » (57) . Envisagée sous cet angle, la signature ne s’assimile plus à une succession de caractères renvoyant au nom de l’artiste, ni à un motif aisément identifiable, mais à sa maniera qui le distingue de ses confrères (58). Bien que la notion de ductus stylistique soit davantage liée à la peinture ancienne, en témoigne l’ouvrage de C. Atkins dédié à Frans Hals (59) (fig. 10), celle-ci se prête tout autant à la production moderne et contemporaine. En effet, depuis la première moitié du XXe siècle, certains artistes ont choisi d’adopter une forme de signature moins conventionnelle, et de privilégier une manière de peindre plus singulière et originale qui permet une identification aisée de l’auteur (60). Yves Klein figure parmi les artistes les plus représentatifs de cette pratique, bien que celui-ci n’ait jamais entièrement renoncé à la signature manuscrite ni au monogramme (61). Auteur de l’International Klein Blue (IKB), l’artiste est parvenu à produire un chromatisme unique devenu une signature reconnaissable entre toutes (fig. 11a-b). L’assimilation de la manière de l’artiste à sa signature va à l’encontre même du modèle hédonique puisqu’une œuvre dépourvue d’inscription manuscrite ne signifie pas qu’elle ne véhicule pas la signature de l’artiste. Cette forme de signature est la plus délicate à traiter d’un point de vue statistique puisqu’elle exige une connaissance aiguisée de la production de l’artiste, lequel doit de surcroît avoir développé un idiome artistique suffisamment discernable pour être qualifié de ductus stylistique mais suffisamment personnel pour éviter les risques de falsification. Il n’en reste pas moins une signature à part entière, susceptible de conditionner l’appréciation artistique et marchande d’une œuvre et d’en augmenter la valeur. Il est toutefois vrai que l’intégration de variables aussi spécifiques dans un modèle risque d’engendrer des problèmes de colinéarité, notamment avec la variable ‘noms d’artiste’ (le nom Yves Klein étant, par exemple, très fortement corrélé à l’International Klein Blue)

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        Fig. 12 – Évolution de la signature de Pierre Brueghel le Jeune, successivement avant et après 1616 (inversion entre les lettres « U » et « E »). Source : Breughel – Brueghel. Une famille de peintres flamands vers 1600, Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, 3 mai – 26 juillet 1998, p. 15.
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        Fig. 12 – Évolution de la signature de Pierre Brueghel le Jeune, successivement avant et après 1616 (inversion entre les lettres « U » et « E »). Source : Breughel – Brueghel. Une famille de peintres flamands vers 1600, Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, 3 mai – 26 juillet 1998, p. 15.

        Le sixième et dernier écueil soulevé dans le cadre de cette étude a trait à la sémantique de la signature. En effet, un élément d’information essentiel véhiculé par cette marque peut être celui des étapes successives de la carrière de l’artiste. Plusieurs maîtres anciens (ex. Pieter Brueghel le jeune, Andrea Mantegna, Rembrandt van Rijn) (62) et modernes (ex. Picasso, Gauguin, Man Ray, Mondrian) ont intentionnellement décidé d’apporter des modifications tangibles à leur manière de signer, à différents moments clés de leur carrière (fig. 12). Ces changements de signature, témoignant souvent de redirections ou de nouveaux positionnements artistiques, n’en restent pas moins déterminants dans l’appréhension de l’œuvre de l’artiste. En effet, C. Hellmanzik a démontré que d’un point de vue économique, certaines étapes de carrière, associées à des lieux spécifiques de production (Paris, New York…), peuvent avoir des conséquences décisives sur le comportement d’acquisition (63). L’évolution de la signature est un facteur rarement pris en compte mais qui pourtant est révélateur de revirements de parcours susceptibles de modifier la valeur qu’accorde le public aux œuvres produites par l’artiste à un moment spécifique de sa carrière, cette même valeur perçue pouvant affecter différemment les prix. À nouveau, l’usage de termes d’interaction se présente comme une option susceptible de mettre en perspective la signature et l’étape de la carrière du ou des artistes pris en compte, et d’observer une éventuelle différence d’effet. Des résultats démontrant des écarts différentiels significatifs entre les étapes de la carrière d’un artiste seraient révélateurs de la dimension toute relative de la signature. Pour ce faire, la carrière de l’artiste devra être découpée chronologiquement sur plusieurs périodes, et ce à partir d’évènements clés à l’origine de revirements artistiques décisifs (si ceux-ci peuvent être identifiés). L’âge peut être également pris en compte comme donnée, pour peu que la démultiplication des variables qui en résultera ne porte pas atteinte au bon fonctionnement du modèle.

        Discussion

        A la lumière de ces exemples, il appert que le principal obstacle auquel les sciences économiques sont confrontées est celui d’un manque d’information tant qualitatif (quant à la signification de la signature) que quantitatif (en termes d’accès et de disponibilité des données), et ce en particulier lorsque les corpus portent sur des ventes anciennes. Ces différents constats ne signifient néanmoins pas que certains chercheurs spécialisés dans l’étude du marché de l’art n’ont pas conscience des propriétés qui font de la signature une variable si complexe à traiter. Dans leur article dédié aux notions de qualité et d’authenticité sur le marché de l’art hollandais entre 1940 et 1945, J. Euwe et K. Oosterlinck accordent une attention particulière à la présence de signatures volontairement signalées comme douteuses par la salle de vente Mak Van Waay (64). La baisse de qualité observée à cette époque se matérialise notamment dans la démultiplication des fausses signatures à des fins véreuses, les œuvres romantiques étant, selon les auteurs, plus touchées par le phénomène que les tableaux anciens. E. Lazzaro, dans son étude consacrée au marché des estampes de Rembrandt, prend le soin de souligner le fait que les signatures apocryphes ne sont pas à écarter dans la production du maître (65). V. Ginsburgh et F. Mairesse rappellent pour leur part que les questions d’authenticité n’ont pas échappé à l’attention des économistes de l’art et de la culture, en particulier en ce qui concerne la réception marchande des copies (66).

        Néanmoins, le traitement actuel de la variable signature, et les conclusions qui en résultent, véhiculent l’idée que les œuvres signées sont plus valorisées par le marché puisqu’elles atteignent en moyenne des prix plus élevés que celles dépourvues de signature. Ce constat n’est pas sans renforcer l’effet Veblen qui veut qu’en matière de consommation ostentatoire, les prix les plus élevés suscitent davantage d’intérêt auprès des acheteurs (67). Autrement dit, le seul attrait de la signature peut devenir un motif d’acquisition à part entière, indépendamment de la qualité du bien lui-même. Or, d’un point de vue disciplinaire, ce raisonnement ne peut se justifier car il revient à déconsidérer un pan non négligeable de la production artistique. Il convient également de s’interroger sur le signal de nature prescriptive que la valeur marchande de la signature émet aux artistes actuels ; signer son œuvre peut être synonyme de profits. Certes, bien d’autres motivations président à l’apposition d’une signature sur une œuvre (geste autographe, droit d’auteur et propriété intellectuelle...), et aucune étude n’a à ce jour démontré que les artistes signent exclusivement leur production à des fins marchandes. Néanmoins, l’hypothèse n’est pas à rejeter et cette forme de prescription implicite peut déroger à la liberté de création puisque la signature, en elle-même, est un choix artistique. Un tel comportement risque de surcroît de s’avérer peu concluant pour l’artiste. En effet, les échantillons soumis au traitement statistique sont dans la majorité des cas extraits du marché de l’art secondaire (salles de vente), soit celui des artistes dont la réputation institutionnelle et marchande est déjà relativement établie et la demande telle que leurs œuvres ont déjà intégré le circuit de la revente (68). De même, les salles de vente les plus souvent considérées sont celles qui relèvent des catégories alpha et bêta, d’après la typologie proposée par I. Robertson (69), ce qui signifie qu’un standard de qualité minimum est requis pour qu’une œuvre puisse y transiter. Le modèle hédonique tient par conséquent compte des œuvres et des artistes établis, voire superstars, dont la signature pèse déjà monétairement. Rarement en revanche ces méthodes sont appliquées au marché de l’art actuel, et des artistes émergents, pour lesquels on peut raisonnablement penser que les œuvres signées ne génèreront pas de telles retombées.

        La question qui se pose est donc de savoir si d’autres solutions concrètes existent pour tenir compte au mieux de ces écueils dans les analyses. Un retour plus systématique aux catalogues de vente, et une lecture attentive des notices en vue d’y détecter de l’information additionnelle s’imposent, pour peu que l’information soit livrée avec suffisamment de précision par les auteurs des catalogueurs. Lorsque l’information fait défaut, et en l’absence de reproduction graphique du lot, mener des recherches complémentaires s’avère une initiative vaine, qui de loin dépasse le champ d’expertise des sciences économiques. En effet, même les historiens de l’art n’ont pas toujours connaissance de toutes les spécificités des signatures, lesquelles nécessitent des investigations au cas par cas. Une telle option est donc difficilement concevable lorsque les échantillons portent sur plusieurs milliers d’œuvres. Néanmoins, préciser textuellement ce type d’écueils serait une manière de prévenir le lecteur des biais d’analyse potentiels auxquels l’étude en question est soumise. Une autre solution est permise grâce aux catalogues des principales maisons de vente. Conscientes des questions soulevées par la signature d’artiste, Sotheby’s et Christie’s ont apporté certaines nuances terminologiques dans leurs glossaires. Ainsi, tout lot associé à la mention signed est supposé garantir l’autographie de la signature. En revanche, lorsque l’inscription apportée est bears a signature, la salle de vente précise que l’œuvre est bel et bien signée mais que, selon leur opinion, il y a de fortes probabilités qu’elle soit apocryphe. Un système identique est d’application pour les dates et autres inscriptions. Cette initiative révèle une prise de distance critique des salles de vente vis-à-vis de l’authenticité des signatures, bien que le choix d’opter pour telle ou telle formule ne soit pas toujours spécifié. Cette terminologie, à l’instar de l’échelle d’authenticité, s’inscrit dans la politique de transparence des salles de vente qui, en cas d’erreur d’authentification, déclinent une part importante de responsabilité en vertu de leurs conditions de vente. D’un point de vue juridique, ces précisions permettent d’éviter les préjudices en cas de changement d’attribution ou de détection de faux (70) . Établir dès lors une distinction dans les modèles hédoniques permettrait de rendre plus objectivement la valeur de la signature jugée autographe, en écartant de l’échantillon celles pour lesquelles un doute peut être émis. Des tests préliminaires suggèrent déjà à ce stade que la désignation bears a signature tend à ne pas avoir d’impact significatif sur les ventes (71).

        Conclusions

        Loin d’être une variable économétrique objective, la signature d’artiste révèle une complexité qui, à plusieurs égards, se heurte aux méthodes d’analyse quantitative traditionnellement appliquées à l’étude du marché de l’art. Polymorphique et polysémique par définition, la signature est difficilement réductible à une variable binaire. Il en va d’ailleurs de même pour d’autres variables intervenant dans le processus d’estimation d’une œuvre comme la qualité artistique ou les certificats d’authenticité, dont l’évaluation et la fiabilité sont tout aussi difficiles à modéliser. Or, comme l’ont souligné N. de Marchi et H. van Miegroet, ces maladresses méthodologiques tendent trop souvent à renforcer la vision négative de l’œuvre d’art comme simple marchandise (72).

        Le présent article a permis de pointer certains écueils propres à la signature et s’est exercé, dans la mesure du possible, à proposer des alternatives méthodologiques, l’objectif étant d’améliorer le traitement statistique de cette donnée et d’aboutir à des résultats plus robustes. Un des risques encourus par la diffusion des résultats actuels, obtenus par les sciences économiques, et leur récupération par la presse et les instances du marché, est un usage abusif de la signature comme argument de vente et argument créatif, contrevenant aux notions de qualité artistique et d’autonomie de création. Pour un public non averti, ces chiffres incitent à se tourner en priorité vers les œuvres signées, soit les œuvres théoriquement autographes, et contribuent à alimenter l’obsession pour le nom de l’artiste ce qui, en matière de peinture ancienne notamment, ne se justifie plus entièrement. Néanmoins, la régression hédonique, appliquée à l’histoire de la réception et du goût (73), s’avère instructive pour cerner davantage l’évolution diachronique du rapport de la société à l’authenticité et au nom d’artiste. Connaître la valeur économique de la signature est révélateur du rapport que le marché, et le monde de l’art en général, entretiennent vis-à-vis du nom de l’artiste et de son geste autographe, les études actuelles trahissant d’ailleurs une conception encore très dix-neuviémiste du génie individuel. Des échanges interdisciplinaires sont néanmoins nécessaires et, à ce titre, l’injonction de Béatrice Joyeux-Prunel conserve encore toute sa portée : « il est temps que les historiens de l’art se mettent aux statistiques » afin d’éviter d’accepter « souvent sans discussion les résultats douteux d’études quantitatives réalisées sans connaissance de l’histoire de l’art » (74).

        Remarques de l’auteur

        - J’ai repris certains passages afin de les nuancer et éviter de parler des « économistes » en général, tout en rendant moins catégoriques certains de mes propos.

        - Un paragraphe a été ajouté, dans lequel j’évoque des études (dont celle de J. Euwe et K. Oosterlinck) qui tendent à démontrer une conscience des propriétés de la signature dans le champ des sciences économiques (présence de faux, questions d’authenticité, etc.)

        - Afin d’éviter tout quiproquo terminologique autour de la notion de « biais » (que je n’entendais pas uniquement au sens statistique du terme), j’ai préféré opter pour le terme « écueil », soit des autant d’obstacles, de limites auxquels peuvent être confrontés les chercheurs étudiant le marché, et qui peuvent alors conduire à des biais statistiques proprement dit ou des erreurs de spécification des modèles.

        - Un complément d’information a par conséquent été apporté pour les écueils qui ne génèrent pas nécessairement de biais statistiques stricto sensu, tout en proposant des alternatives méthodologiques, lorsque celles-ci sont envisageables.

        - La référence de D. Thomson, en effet plus appropriée pour justifier le taux important de faux sur le marché, a bien été intégrée en note de bas de page.

        - Des visuels additionnels ont été ajoutés.

        - Les consignes relatives à la fiche de style Koregos ont été appliquées au document.

        Mes remerciements vont au prof. Kim Oosterlinck pour ses pertinentes remarques, à Jonathan Franklin et Mme Brigitte D’Hainaut, ainsi qu’au comité scientifique de Koregos.

        Notes

        NuméroNote
        1« A Picasso with a signature may be worth twice as much as one without a signature ». Voir Grant (Daniel), « What’s the Value of a Signature on an Art Print ? », in Huffingtonpost, (posté le 23 février 2011 – consulté le 12 septembre 2015), http://www.huffingtonpost.com.
        2Parmi les plus souvent référencés, nous citerons le Dictionnaire de monogrammes, chiffres, lettres initiales et marques figurées sous lesquels les plus célèbres peintres, dessinateurs, et graveurs ont désigné leurs noms (Franz Brulliot, 1817), Dictionnaire des marques et monogrammes de graveurs (Georges Duplessis et Henry Bouchot, 1886), Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays (Emmanuel Bénézit, 1854-1920), Signatures & Monogrammes d’artistes des XIXe et XXe siècles (Frank Van Wilder, 1998), European artists I-II : signatures and monograms from 1800 : a comprehensive directory (John Castagno, 2007), 300 mouvements d’art, 1.000 signatures d’artistes : XXe-XXIe siècles. (Aurelia Lovreglio et al. 2013).
        3Heinich (Nathalie), « La signature comme indicateur d’artification », in Sociétés & Représentations, vol. 25, 2008, p. 91-106.
        4Voir à ce sujet Goodman (Nelson), Langages de l’art, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1990 (1ère éd.1968). N. Goodman distingue la signature autographique de la signature allographique. La première est manuscrite et porte la trace physique de l’artiste, dont elle émane directement. Dans le second cas, la signature se réduit à la reproduction mécanique du nom de l’auteur sur des multiples reproduits à partir d’originaux.
        5Nous devons la première synthèse sur le sujet à Béatrice Fraenkel, dont la thèse de doctorat fut dédiée à l’étude de cette pratique de ses origines au XVIe siècle. L’auteur aborde la signature dans divers domaines (chancellerie, notariat, diplomatique, onomastique, arts plastiques), et questionne son double rôle d’identification et de validation. Cf. Fraenkel (Béatrice), La signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992. Voir également pour le milieu artistique Hegener (Nicole) (éd.), Künstler Signaturen von des Antike bis zum Gegenwart, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2013.
        6Eu égard à la variété des pratiques, André Chastel refuse pour sa part de considérer la signature comme un simple mobile commercial, l’auteur y voyant davantage le reflet de « l’honneur professionnel et d’intentions pieuses ». Voir André Chastel, « Signature et signe », in Revue de l’art, vol. 26, 1974, p. 9-10.
        7Sur la problématique des signatures antiques, voir entre autres Osborne (Robin), « The Art of Signing in Ancient Greece », in Arethusa, vol. 43, 2010, p. 231-251 ; Laboury (Dimitri), « De l’individualité de l’artiste dans l’art égyptien », in Andreu (Guillemette) (dir.), L’art du contour. Le dessin dans l’Égypte ancienne, Paris, Musée du Louvre Éditions, 2013, p. 36-41.
        8Sur le développement du statut d’artiste, voir entre autres Warnke (Martin), L'artiste et la cour. Aux origines de l'artiste moderne, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme (trad. fr. Sabine Bollack), 1989 ; Heinich (Nathalie), Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, Minuit, 1993 ; Idem, Être artiste. Les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Paris, Klincksieck, 1996.
        9Selon la définition proposée par le Trésor de la langue française informatisé, l’acte de signer revient en 1300 « à faire une marque » (documenté dans Guillaume de Digulleville, Pèlerinage vie humaine). Son usage s’étend en 1363 au sens de « marquer une pièce d’argenterie avec le poinçon » (documenté dans Lacurne, Dictionnaire de l’ancien langage françois). http://atilf.fr.
        10Ces marques d’identification engageaient autrefois la responsabilité de l’atelier en cas de défaut de fabrication ou de fraude. Voir Grenier (Jean-Yves), « Une économie de l’identification. Juste prix et ordre des marchandises dans l’Ancien Régime », in Stanziani (Alessandro) (dir.), La Qualité des produits en France (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Belin, 2003, p. 25-53.
        11Rubin (Patricia), « Signposts of invention: artists’ signatures in Italian Renaissance », in Art History, vol. 29, 2006, p. 563-599 ; Goffen (Rona), « Signatures: Inscribing Identity in Italian Renaissance Art », in Viator, vol. 32, 2001, p. 303-370.
        12Sur le développement du marché de l’art, voir Vermeylen (Filip), Painting for the Market. Commercialization of Art in Antwerp’s Golden Age, Turnhout, Brepols, 2003.
        13Voir à ce sujet Wittkower (Rudolf et Margot), Les Enfants de Saturne. Psychologie et comportement des artistes, de l’Antiquité à la Révolution française, Paris, Macula, 1985.
        14Guichard (Charlotte), « La signature dans le tableau aux XVIIe et XVIIIe siècles : identité, réputation et marché de l’art », in Sociétés & Représentations, vol. 25, 2008, p. 52-53. Sur les pratiques respectives de Boucher, Vernet, Le Lorrain et Poussin, voir plus spécifiquement les pages 59 et 64-76.
        15Fraenkel (Béatrice), « La signature : du signe à l’acte », in Sociétés & Représentations, vol. 25, 2008, p. 16.
        16Marcel Duchamp et Piero Manzoni figurent parmi les artistes les plus représentatifs de cette démarche. Sur l’usage de la signature après les années 1960, voir le travail de Agullo (Yolande), La signature dans l’art depuis les années 1960. Identités et singularités, Université des Pays de l’Adour, thèse doctorale en Histoire, Histoire de l’art et Archéologie, 2016. Voir également l’ouvrage de Wilmerding (John), Signs of the Artist: Signatures and Self-Expression in American Paintings, New Haven, Yale University Press, 2003.