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Peinture - Epoque contemporaine - France - Histoire de l'art Didier Martens Gérard Garouste, entre tradition artistique occidentale et subversion juive de l'iconographie chrétienne
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Reporticle : 191 Version : 1 Rédaction : 01/09/2016 Publication : 21/12/2016

Gérard Garouste, entre tradition artistique occidentale et subversion juive de l'iconographie chrétienne

Conférence de Dider Martens, Professeur à l'ULB.

En 2007, Gérard Garouste achève un diptyque sur toile qu’il baptise l’Isaïe d’Issenheim. La partie gauche procède d’une œuvre célèbre, dont il peut postuler la connaissance chez le spectateur cultivé. Le polyptyque d’Issenheim, dont les volets ont été peints sur bois par l’Allemand Matthias Grünewald dans les années 1515, attire chaque année des centaines de milliers de touristes dans les salles du musée Unterlinden à Colmar et est reproduit dans les ouvrages généraux d’histoire de l’art. Tout travail de critique en acte sur ce modèle prestigieux relève de ce fait de la citation, du renvoi à un corpus de références familier du public cultivé. Dans le cas présent, celui-ci identifiera la source utilisée d’autant plus facilement que Garouste mentionne explicitement, dans le titre de l’œuvre, la petite localité alsacienne où le retable était conservé jusqu’à la fin du xviiie siècle :  Issenheim ( Haut-Rhin ).

Fig. 1 – Mathis Nithart ou Gothart , dit Matthias Grünewald, Retable d'Issenheim : L'Annonciation, entre 1512 et 1516, peinture à tempera et à l'huile sur panneaux de tilleul, 376 x 668 cm. Colmar, Musée Unterlinden.
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Fig. 1 – Mathis Nithart ou Gothart , dit Matthias Grünewald, Retable d'Issenheim : L'Annonciation, entre 1512 et 1516.

C’est sur l’Annonciation du polyptyque que le peintre français a jeté son dévolu (1) ( fig. 1 ). Il ne s’agit pas du panneau le plus original de l’ensemble. Grünewald, peintre à la forte personnalité qui a maintes fois eu recours à des solutions iconographiques inédites, notamment lorsqu’il représente le Christ en Croix, donne en revanche de l’Annonciation une interprétation pour le moins classique. C’est précisément son caractère d’image emblématique de la religion chrétienne qui a attiré ( provoqué ? ) Garouste, jusqu’à lui donner l’envie d’entrer en compétition avec le panneau. Une compétition signalée d’entrée de jeu par le choix du format : la toile mesure en hauteur deux cent soixante centimètres, à peine trente de moins que l’Annonciation du polyptyque. Dans celle-ci, Marie, agenouillée en prière, reçoit la visite de l’archange Gabriel, descendu des cieux. La colombe du Saint-Esprit, entourée d’un halo, plane au-dessus de la scène, située dans une chapelle.

Un détail, au premier plan du panneau de Grünewald, s’impose à l’attention du spectateur : le grand livre ouvert posé sur un coffre faisant fonction de prie-Dieu. On peut lire, en latin, un passage d’Isaïe ( vii, 14-15 ), repris partiellement dans l’évangile de Matthieu ( i, 23 ). Il est traduit comme suit par l’abbé Glaire dans une édition de la Vulgate en français, publiée en 1863 : « Voilà que la vierge concevra et enfantera un fils et son nom sera appelé Emmanuel. Il mangera de beurre et du miel, en sorte qu’il sache réprouver le mal et choisir le bien ( … ). » Le peintre allemand suggère que Marie était occupée à méditer sur ce passage de l’Ancien Testament, au moment où elle fut approchée par l’ange, au jour de l’Annonciation. La Providence aurait fait ouvrir par la mère du Christ le livre sacré des Juifs au bon endroit et au bon moment, de sorte qu’elle put comprendre sur-le-champ ce qui était en train de lui arriver par la volonté de Dieu. Comment douter, dans ces conditions, que ce qui avait été annoncé par les prophètes se réalise bien à travers l’Incarnation et la venue sur Terre du Fils de Dieu ? Le thème de la concordance entre l’Ancien et le Nouveau Testament, fondement de ce que le christianisme a toujours considéré comme sa vérité historique, fait l’objet, dans le panneau de Grünewald, d’une mise en scène picturale centrée sur le vécu de Marie, une mise en scène dont le spectateur est pris directement à témoin, puisque le livre ouvert est tourné vers lui.

Comme il se doit dans une image relevant de la tradition catholique, Isaïe, le prophète, n’est pas seulement présent par le texte, il est aussi figuré. C’est certainement lui, en effet, le petit personnage sculpté visible dans le haut du panneau, dans l’écoinçon gauche d’un arc-diaphragme. Il s’agit d’une statue en pierre, partiellement polychromée. Les veines brunâtres du matériau ont été soigneusement reproduites par l’artiste allemand. Indice de son extranéité par rapport au monde chrétien, le prophète juif porte un turban d’Oriental et tient un livre ouvert dont le texte est illisible. Selon la tradition exégétique chrétienne, ce n’est qu’avec l’Incarnation que l’obscurité foncière du texte de l’Ancien Testament va être levée. Le contraste entre le livre ouvert de la statue, couvert de signes indéchiffrables, et celui de Marie, où l’on aperçoit un texte calligraphié en belles lettres gothiques, a donc valeur de métaphore. Grünewald suggère que la parole d’Isaïe ne se révèle véritablement qu’en latin, la langue du clergé et des lettrés de son temps. On attribuera également une valeur de métaphore à l’opposition entre la statue d’Isaïe, qui n’est qu’une image dans l’image, en format réduit, et la figure monumentale aux couleurs de la vie qu’est Marie. Si le prophète est un simple signe, la Mère de Dieu est, quant à elle, un être vivant.

Garouste a souhaité prendre le contre-pied de cette image on ne peut plus christocentrique, qui organise en termes visuels la subordination de l’Ancien au Nouveau Testament, le premier étant réduit au rang d’une simple préfiguration du second. Sébastien Harosteguy évoque, à propos de l’Isaïe d’Issenheim, un « travail de déconstruction de l’iconographie chrétienne (2)  », Michel Onfray une « déconstruction de fable » et un « démontage de mythe (3)  ». On sait que le peintre français, né dans une famille catholique, n’a cessé de se rapprocher du judaïsme (4). Il a appris l’hébreu, s’est initié à la cabale, aime à se définir comme un marrane qui pratiquerait la religion juive sous un habit de catholique par baptême. Il assimile l’usage que les chrétiens ont fait des prophéties de l’Ancien Testament à un véritable acte de confiscation visant à légitimer un prétendu messie. Et il compare le discours théologique chrétien, tel qu’il fut notamment articulé par saint Augustin, aux spoliations de biens juifs durant la Seconde Guerre mondiale, un sujet qui le touche, lui, Garouste, tout particulièrement, car son propre père se serait rendu coupable de tels actes.

À propos de l’Isaïe d’Issenheim, le peintre déclare qu’il a été scandalisé par le fait que dans la Vulgate, on traduise l’hébreu ‘almâh par virgo, car le terme original signifierait simplement la jeune fille nubile (5). Le christianisme aurait opéré par cette traduction tendancieuse une distorsion de sens, sur laquelle a pu s’appuyer a posteriori toute une culture phallocrate et misogyne, hostile au sexe et à toute forme de plaisir des sens, laquelle a dominé l’Occident pendant des siècles. La figure de la Vierge Marie, construite par la tradition chrétienne prétendument sur le modèle entrevu par Isaïe, ne serait rien d’autre, pour Garouste, qu’un mensonge, une affabulation, un biaisement. D’où le geste pour le moins radical dont l’Isaïe d’Issenheim porte témoignage : l’effacement pur et simple de la figure mariale et de la colombe du Saint-Esprit peintes par Grünewald. En effet, si le peintre français reproduit avec fidélité, à partir d’un document digital fourni par le musée Unterlinden, le panneau de l’Annonciation, il en a éliminé deux acteurs essentiels, comme si, à ses yeux, ils n’existaient fondamentalement pas.

On reconnaît fort bien, dans l’Isaïe d’Issenheim, l’espace dans lequel Grünewald a situé son Annonciation. En dépit de son hostilité idéologique à un tableau ancien qu’il a entrepris de démonter et de reformuler, le « maître d’autrefois » qui est en Garouste ne peut se soustraire à la tentation de revivre une expérience esthétique associée à l’art du passé. Grünewald est un représentant particulièrement virtuose du naturalisme septentrional de la fin du Moyen Âge.

Fig. 2 – Gérard Garouste, Isaïe d'Issenheim (détail), 2007, huile sur toile, diptyque, 260 x 220 cm (chaque panneau). Collection privée, en dépôt au musée des Beaux–Arts de Caen.
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Fig. 2 – Gérard Garouste, Isaïe d'Issenheim (détail), 2007.

Son contradicteur français du xxie siècle s’est-il voulu lui aussi, le temps d’un tableau, un Primitif du Nord ? C’est en tout cas avec un délice non dissimulé qu’il détaille le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Une nostalgie presque néogothique de l’art du xve siècle pointe dans le tableau. C’est elle qui a inspiré le drapé de la figure d’Isaïe, un drapé à la Jean van Eyck caractérisé par un jeu de plis cassés et écrasés sur le corps que l’on ne trouve déjà plus dans la figure du prophète peinte par Grünewald, dont le manteau dessine un jeu de lignes plus souple et dynamique.La complaisance vis-à-vis du passé artistique occidental et l’envie de s’y retirer n’ont toutefois pas fait renoncer Garouste à son projet critique. Dans le sol de la chapelle de l’Annonciation de Grünewald, il a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent clairement la forme d’une croix chrétienne au poteau allongé ( fig. 2 ). Dans le pavement représenté sur le retable d’Issenheim, le motif qui a servi de modèle à ces croix est à peine reconnaissable. L’intention didactique de l’artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l’espace dans lequel l’artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l’Isaïe d’Issenheim, le monde du christianisme.

Si cet espace a été reproduit avec tant de soin, c’est aussi, évidemment, pour permettre au spectateur qui connaît le polyptyque de se rendre compte d’un changement radical de point de vue. Grünewald a élaboré la perspective de son Annonciation en fonction d’un spectateur fictif dont les pieds sont campés sur un sol imaginaire situé dans le prolongement immédiat de l’axe de la chapelle et dont les yeux se trouvent approximativement à la hauteur des visages de Marie et de l’ange. C’est à ce spectateur fictif, construit par le peintre, que le spectateur réel est invité à s’identifier, s’il veut contempler la réalité tridimensionnelle simulée sur le tableau. Or, c’est précisément à ce spectateur-là que Garouste n’a en aucun cas souhaité s’identifier.

Devant une image mettant en scène de manière explicite une relation de subordination entre Ancien et Nouveau Testament, entre la Prophétie d’Isaïe et l’Incarnation, il a refusé d’adopter le point de vue christocentrique imposé par l’artiste allemand. Il a choisi de proposer un autre point de vue, concevant un tableau qui oblige le spectateur réel à lever les yeux vers la figure d’Isaïe. Le spectateur fictif qu’il a construit se trouve en effet comme en lévitation ; il paraît avoir quitté le sol de l’Annonciation grünewaldienne pour venir se placer à la hauteur des pieds du prophète juif. En outre, un basculement des plans a été opéré.

Dans la peinture de Grünewald, la statuette d’Isaïe occupe l’écoinçon gauche d’une arche dont le pilier gauche, dissimulé en grande partie par une tenture rouge, est situé derrière la Vierge. Garouste a non seulement effacé cette dernière, mais il a également souhaité contester la hiérarchie des plans établie par Grünewald. À l’image frontale, constituée de surfaces parallèles à l’encadrement, que le peintre allemand s’était ingénié à construire et qui accorde à Marie une place prépondérante, il oppose une image formée de surfaces obliques, dans laquelle Isaïe occupe désormais le premier plan. Ce renversement hiérarchique, pour le moins spectaculaire, n’est-il pas annoncé dans le titre même du tableau : l’Isaïe d’Issenheim ? On relèvera l’allitération, qui capte l’attention.

Le changement de perspective opéré par Garouste surprend l’historien d’art. Il est pour le moins exceptionnel, en effet, qu’un peintre du passé, copiant d’un tableau le décor architectural, en modifie radicalement l’organisation perspective. L’exemple de la tapisserie bruxelloise de Nuremberg datée de 1495, qui reprend et propose sous un autre angle de vue l’intérieur d’une chapelle pseudo-romane conçue quelque six décennies plus tôt par le Maître de Flémalle pour servir de décor à une Messe de saint Grégoire, constitue un cas à peu près unique au xve siècle (6). Garouste apparaît non seulement comme un artiste désireux de « revisiter » la tradition artistique occidentale, mais aussi comme un fils de la révolution digitale du xxie siècle. Car c’est bien le modèle de la réalité virtuelle qui semble l’avoir guidé ici, dans sa volonté d’entrer personnellement dans la chapelle peinte par Grünewald, avec la ferme intention d’y voir autre chose et d’y voir autrement que son devancier allemand. Son intrusion provocatrice dans l’espace d’un tableau ancien, Garouste a souhaité la faire acter en peinture : il a prêté ses traits et sa chevelure grisonnante à l’ange aux ailes rouges visible à droite, qui lève les yeux vers Isaïe.

Le prophète juif, que le peintre a cherché à dégager de la lecture chrétienne traditionnelle, constitue le point d’aboutissement du regard du nouveau spectateur fictif construit par le peintre, comme d’ailleurs du Garouste-archange représenté en contrebas. Cet Isaïe diffère nettement de celui de Grünewald. Ce n’est plus un simple signe sculpté de dimensions modestes, c’est un personnage aux couleurs de la vie, représenté plus grand que nature. Les traits individuels que le peintre lui a donnés sont ceux d’un ami. Isaïe retrouve ainsi un statut de personne, là où Grünewald l’avait réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné. Le texte hébreu du livre ouvert reste toutefois obscur – Garouste, bien qu’il ait appris l’hébreu, a curieusement opté ici pour des signes de fantaisie. Était-il désireux de conserver aux révélations d’Isaïe un voile d’obscurité ? Le livre des Juifs présente dans son tableau les mêmes dimensions que celui des chrétiens. Dans un dessin préparatoire, il apparaissait même plus grand (7). Toute idée d’une subordination de l’Ancien au Nouveau Testament a ainsi disparu. Ce dernier a même été jeté au sol, en un geste pictural qui frise la profanation. L’inscription peinte par l’artiste allemand demeure toutefois parfaitement lisible, suggérant que le Garouste post-moderne, qui aime reproduire l’architecture de la fin du Moyen Âge, n’a pu résister non plus au plaisir anachronique de calligraphier un texte latin en lettres gothiques…

Une suggestion contenue dans l’Annonciation du polyptyque a été retenue et développée par l’artiste français. Grünewald a eu l’idée d’associer la statue du prophète à une branche en pierre dessinant de nombreux entrelacs. Il a bien marqué le contraste entre l’une et l’autre : la statue, de couleur blanchâtre, évoque un fin calcaire ; la branche, brun rosé comme la paroi, rappelle le grès rose typique des constructions de la vallée du Rhin. Garouste reprend cette idée d’une opposition chromatique entre la figure et le décor végétal. Son Isaïe constitue une tache blanche qui se détache nettement sur le ton rouge sombre des entrelacs. Néanmoins, il a souhaité intégrer le motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l’humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d’Isaïe partent des racines. Celles qui jaillissent de sa main droite sont particulièrement mises en évidence par le contraste avec l’intrados sombre de l’arc brisé. Elles constituent, à l’évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. Isaïe comme arbre. Garouste affirme de la sorte que le judaïsme n’est pas une préfiguration floue du christianisme. C’est le fondement, la matrice de toute la culture occidentale.

Le tableau comporte également une dimension très personnelle, autobiographique, que le peintre a évoquée dans un témoignage (8). Il s’est représenté en contrebas, enserré par une camisole de force qui renvoie à un moment difficile de sa vie, durant lequel il fit plusieurs séjours dans des hôpitaux psychiatriques. La partie droite du diptyque le montre tombant, terrassé par une crise, confronté à un médecin en blouse blanche. La scène est située devant un portail présentant la forme d’un arc en tiers-point, peut-être l’entrée d’une église. Le drapé des figures est étrangement de style gothique tardif, comme celui d’Isaïe. Il est tentant de considérer les deux toiles non pas comme un diptyque chrétien, à parcourir de la gauche vers la droite, mais comme une sorte de diptyque juif, qui se lirait de droite à gauche. La toile représentant le peintre et son médecin constituerait le point de départ du parcours narratif, la contemplation des racines juives, telle que thématisée dans le tableau de gauche, son aboutissement. Ces racines juives revendiquées seraient une voie de guérison, que l’artiste interné aurait découverte au travers d’un travail critique sur ses préconceptions chrétiennes. Dans le diptyque, la Vulgate a non seulement été jetée sur le sol, l’archange Garouste en a également arraché un morceau de page, qu’il tient fièrement entre ses dents. Faut-il lacérer le livre sacré des chrétiens, pour aboutir à la vérité première du texte hébreu ? C’est en tout cas le parcours personnel que semble avoir voulu illustrer l’artiste dans son Isaïe d’Issenheim (9)...

Une autre toile de Garouste peinte en 2007 donne à voir un parcours personnel de l’artiste localisé dans un espace architectural emprunté à l’histoire de l’art. Cette fois, c’est la cathédrale de Chartres, réédifiée en style gothique primaire à partir de 1194, qui sert de toile de fond à la narration. Le lieu choisi relevant tout autant de la culture touristique de masse que le musée Unterlinden, les références visuelles mises en œuvre par le peintre sont à nouveau reconnaissables ou, pour le moins, faciles à identifier. Le titre même de la toile – Chartres – indique de toute façon au spectateur, comme dans le cas de l’Isaïe d’Issenheim, le lieu même où il convient de les rechercher.

Chartres a pour origine une sorte de happening réalisé par l’artiste dans un état second à l’intérieur du vénérable sanctuaire. Ce type de manifestation artistique présente souvent, on le sait, le caractère d’une profanation, d’un sacrilège consommé en public. Garouste, qui a inscrit précisément ces deux mots en bordure d’une esquisse dessinée de son tableau ( « sacrilège / profanation (10)  ? » ), aurait tout d’abord, selon son propre témoignage (11), « fait quelques signes mystérieux » dans le labyrinthe du vaisseau central, puis aurait brisé des cierges dans « la chapelle de la Vierge noire », sous les yeux stupéfaits des dévots qui y étaient rassemblés. Enfin, revenu dans la nef, il aurait intimidé par son comportement les participants à un mariage religieux. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la fuite, des policiers l’interpellèrent à la sortie de la cathédrale pour le conduire à l’hôpital.

Fig. 3 – Vue d'ensemble de la chapelle Notre Dame du Pilier en la cathédrale de Chartres.
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Fig. 3 – Vue d'ensemble de la chapelle Notre Dame du Pilier en la cathédrale de Chartres.

Chez un artiste au profil postmoderne comme Garouste, le happening profanateur, qui relève de la culture des avant-gardes des années 1960, ne pouvait demeurer une simple performance éphémère, éventuellement filmée par un proche. Il a donné lieu à un tableau figuratif, réalisé dans les règles de l’art pictural, avec modelé unidirectionnel et agencement perspectif. À gauche, on aperçoit la chapelle de Notre-Dame du Pilier (12) ( fig. 3 ).

C’est dans cette chapelle, située dans la première travée nord du déambulatoire, que se trouve une statue de la Vierge à l’Enfant remontant aux années 1500. Habillée, elle est posée sur une colonne, comme la fameuse Madone du Pilar de Saragosse. Les chairs de la statue chartraine ayant été badigeonnées de noir, elle a été dénommée de manière abusive Vierge noire. C’est sous ce nom que Garouste la mentionne dans l’une des esquisses préparatoires.

Le peintre a représenté le fond de la chapelle. On reconnaît fort bien le mur-écran néogothique en bois, animé de baies aveugles, de gables en tiers-point et de pinacles. On reconnaît également la niche-abside, surmontée d’un arc en plein cintre inscrit dans un arc brisé, qui abrite la statue. Jusqu’aux lampes rouges qui l’entourent et au pavement constitué de losanges ont été reproduits. Les proportions de la niche-abside et des baies aveugles ont toutefois été modifiées. Ces éléments architecturaux ont été figurés beaucoup plus étroits qu’ils ne le sont en réalité. De même, l’artiste a réduit les dimensions de la statue, jusqu’à en faire un simple bibelot, une sorte de poupée. Une manière de mettre à distance l’héritage catholique ?

Le peintre s’est portraituré sous l’aspect d’une créature monstrueuse se détournant de la statue et sortant de la chapelle. On relèvera les trois bras, les deux pieds gauches, le visage de l’artiste situé à la hauteur du genou. Derrière ce monstre se trouve l’un des piliers ronds du déambulatoire nord, dont Garouste a soigneusement détaillé moulures et griffes. On est tenté de se demander si le camaïeu de rouge dans lequel il rend la chapelle de Notre-Dame du Pilier ne visualiserait pas une pulsion incendiaire éveillée en lui par le culte marial. Les cierges allumés tenus par l’artiste et dirigés tous, à une exception près, vers ladite chapelle, comme les taches rouges du pavement, qui évoquent des flammes, accréditent une telle lecture car ce dallage est en réalité blanc et noir.

L’hypothèse d’un Garouste incendiaire est confirmée par l’un des premiers titres que l’artiste a envisagé de donner à son tableau, si l’on en croit son carnet d’esquisses, à savoir : « Chartres – La Vierge noire – l’incendiaire (13). » Un second titre, griffonné sur la même feuille, précise sa pensée : « la Vierge noire et le démon. » Il invite à considérer que Garouste apparaîtrait dans l’image comme l’ennemi par excellence de Marie, à savoir un démon, un diable. Ce caractère démoniaque de son double figuré, le peintre le rend clairement visible par le motif du pantalon rayé jaune et rouge.

En 1991, l’historien français Michel Pastoureau publie un ouvrage intitulé L’Étoffe du diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés. Il y démontre l’existence d’une longue association, dans l’iconographie médiévale et renaissante, en particulier aux xive, xve et xvie siècles, entre l’habit rayé et des figures négatives d’essence plus ou moins diabolique. « Nombreux sont, écrit-il, dans l’Occident médiéval, les individus – réels ou imaginaires – que la société, la littérature ou l’iconographie dotent de vêtements rayés (14). » Et de citer « le Juif et l’hérétique jusqu’au bouffon ou au jongleur », en passant « par le lépreux, le bourreau ou la prostituée ». Même si, par la suite, avec l’avènement des Temps modernes, les significations associées à la rayure sont devenues de plus en plus complexes et ont pu prendre à l’occasion une dimension positive, les connotations originellement diaboliques du motif n’ont pas disparu pour autant. Ainsi, l’auteur signale, au terme de son essai, que le « vêtement rayé imposé aux déportés dans les camps nazis a poussé à leur paroxysme les fonctions avilissantes et mortifères de la rayure (15)  ».

Il est fort possible que Garouste ait entendu parler du livre de Pastoureau, dont le succès en librairie dépassa les attentes les plus optimistes. Lors de sa parution, L’Étoffe du diable fut, il est vrai, présenté à la télévision dans la fameuse émission littéraire de Bernard Pivot Apostrophes, en présence de l’auteur.

Fig. 4 – Gérard Garouste, Chartres (détail), 2007, huile sur toile, 270 x 320 cm. Collection particulière.
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Fig. 4 – Gérard Garouste, Chartres (détail), 2007.

On constate que l’idée de détourner à son profit le motif des rayures n’a germé que relativement tard dans l’esprit de Garouste. Dans les deux esquisses dessinées de Chartres qui ont été publiées, le motif du pantalon rayé est absent. Il en va de même dans une version préparatoire, peinte à l’huile, comportant la seule figure du démon incendiaire et la statue de la Vierge noire (16). Le peintre ne s’est revêtu de l’étoffe du diable que dans un second moment de l’élaboration de la composition. L’association des rayures à l’iconographie médiévale du Juif ainsi qu’à celle, beaucoup plus récente, des victimes de la Shoah, a dû orienter le peintre vers ce motif.

Fig. 5 – Vue d'ensemble du labyrinthe de la cathédrale de Chartres.
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Fig. 5 – Vue d'ensemble du labyrinthe de la cathédrale de Chartres.

La partie droite de la toile est occupée par une image de la nef de la cathédrale ( fig. 4 ). Le peintre nous convie cette fois dans la quatrième et la cinquième travée, en comptant à partir de la croisée. C’est là que se situe le monumental labyrinthe du xiiie siècle inscrit en noir sur fond blanc dans le pavement du vaisseau central (17) ( fig. 5 ). On remarquera le collage opéré par l’artiste. Celui-ci a combiné en une vue unique des espaces qui, dans la réalité du monument, ne sont nullement contigus. Il met ainsi en communication une chapelle du déambulatoire avec la partie occidentale du vaisseau central de la nef. De plus, il n’a pas hésité à faire pivoter aussi bien le mur du fond de la chapelle, qu’il dirige vers le spectateur, que le labyrinthe. Dans l’esquisse dessinée de l’ensemble de la composition, cette rotation de la chapelle n’avait pas encore été effectuée. Elle répond sans doute, du chef du peintre, à un souci de plus grande lisibilité.

On peut admettre que c’est bien le vaisseau central de la cathédrale que Garouste entend représenter, vu depuis l’ouest, dans la partie droite de l’image. Les piliers sont en effet éclairés par la droite, c’est-à-dire, comme dans la plupart des édifices de culte médiévaux, par le sud. En outre, si l’on postule un tel point de vue occidental, la mariée, visible en haut à droite sur la toile, se trouverait près de la croisée du transept, ce qui serait conforme à la liturgie catholique du mariage. Dans ces conditions, il faut considérer que le labyrinthe a subi une rotation de quarante-cinq degrés. Son entrée est, dans la réalité, située à l’ouest, dans l’axe du vaisseau central ; elle est fort logiquement tournée vers les visiteurs qui entrent dans l’église. En revanche, dans la toile, l’entrée du labyrinthe se trouve au nord. Même si elle n’est pas à proprement parler placée dans l’axe de progression de l’artiste profanateur, il est clair, pour le spectateur, que ce labyrinthe « attend » le peintre, qu’il lui est comme destiné. Garouste a donc fait violence à la topographie de la cathédrale de Chartres. Il a recomposé selon ses propres besoins psychiques l’un des sanctuaires les plus célèbres de France, de façon à en faire une toile de fond visualisant un parcours personnel. Celui-ci l’amène à s’éloigner de la Vierge Marie et à se diriger vers un labyrinthe dont le centre polylobé est en grande partie caché, le cadrage choisi permettant d’entretenir l’ambiguïté sur la destination finale du peintre.

Garouste, en se détournant du catholicisme, s’apprêterait ainsi à entrer dans un labyrinthe dont le point d’aboutissement est dissimulé au spectateur. L’artiste lui-même ne peut non plus apercevoir ce point, car ses yeux se trouvent à la hauteur de ses genoux et l’entrée est décalée par rapport à son axe de progression. Ce labyrinthe habilement cadré, il faut vraisemblablement le considérer comme une image du judaïsme intérieur auquel Garouste aspire. Dans une interview publiée en 2006, il affirme en effet : « Dans la pensée juive, le lecteur interprète des signes sans jamais sortir de la sphère du langage » et précise : « La première condition pour être un bon interprète est de ne pas chercher la vérité scientifique ni même philosophique (18). » L’artiste a ensuite recours à une métaphore visuelle qui jette une lumière sur le tableau Chartres : « J’associe la ligne droite, chronologique, au christianisme, le cercle au judaïsme. La première est contraire à l’esprit du second : à la place de la grâce, j’y ai découvert un art du raisonnement et du dialogue, une loi qui se discute, s’interprète et se commente. C’est un univers mythique fermé sur lui-même et infiniment ouvert au sens. » Ce cercle du judaïsme, à la fois refermé sur lui-même et ouvert aux interprétations, peut probablement être reconnu dans le labyrinthe chartrain. Un labyrinthe que Garouste fait contraster avec les colonnes de la cathédrale gothique, y compris celle qui supporte la Vierge noire, autant de lignes droites, d’axes, dont il s’efforce de s’affranchir.

Dans la toile, le labyrinthe semble se surimposer, tel un cachet, à une série de taches bleues et rouges. Le peintre fait référence ici aux reflets colorés projetés par les vitraux de la claire-voie sur le pavement du vaisseau central, véritable lieu commun de la littérature d’histoire de l’art consacrée au gothique en général et à Chartres en particulier. Dans ces reflets dominent le rouge et le bleu. À ce rouge et ce bleu d’origine « céleste », le peintre a toutefois donné une forme étonnamment liquide. Plutôt que l’illumination de la Grâce, ils semblent évoquer le sang et l’eau qu’un Garouste en pleine recherche spirituelle se devra de suer – ou les larmes et le sang qu’il aura à verser – en entrant dans le labyrinthe.

On connaît le rôle qu’a joué le pèlerinage de Chartres dans la vie de Charles Péguy et de nombreux intellectuels français du xxe siècle, tels Paul Claudel ou François Mauriac. Dans sa toile de 2007, Garouste nous invite à voir son propre pèlerinage de Chartres : un antipèlerinage irrespectueux, qu’il accomplit certes pieds nus, mais en tournant ostensiblement le dos à Marie, sans attendre la moindre grâce, les pupilles vides, à la recherche du cercle du judaïsme…

Fig. 6 – Gérard Garouste, Sainte Thérèse, 1983, huile sur toile, 200 x 300 cm. Collection FRAC Limousin, Limoges, N° inv. 1987 25.
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Fig. 6 – Gérard Garouste, Sainte Thérèse, 1983.

Le philo-judaïsme rebelle sur la base duquel l’artiste relit la tradition artistique occidentale marquée par le christocentrisme constitue certainement l’un des fils conducteurs de son travail. Sous une forme plus discrète que dans l’Isaïe d’Issenheim, ce philo-judaïsme apparaît déjà dans une œuvre de 1983, une représentation de Thérèse d’Avila en oraison commandée pour le quatrième centenaire du décès de la sainte castillane (19) ( fig. 6 ). Le peintre a réalisé une composition monumentale de style baroque, mesurant deux mètres en hauteur sur trois en largeur (20). La pose instable de la religieuse, son drapé agité, le visage vu en raccourci da sotto in su et le cadrage rapproché, qui donne l’impression au spectateur que la figure pourrait basculer hors du tableau, tous ces éléments proviennent en effet de la grande peinture des xviie et xviiie siècles, dont Garouste a pu voir de nombreux exemples dans les musées français comme dans les livres d’histoire de l’art. C’est à la même source qu’il a emprunté la tenture rouge visible du côté gauche, ainsi qu’une technique d’exécution mettant en évidence le travail rapide de la main.

Fig. 7 – Anonyme, Sainte Thérèse d'Avila, seconde moitié du XIXe siècle, huile sur toile, 205 x 155 cm. Eglise Saints Pierre et Paul, Chimay.
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Fig. 7 – Anonyme, Sainte Thérèse d'Avila, seconde moitié du XIXe siècle,

Garouste s’est manifestement plu à jouer à l’artiste de la Contre-Réforme, devant peindre un tableau d’autel. Il n’ignore pas les symboles usuellement associés à ce type d’images : l’auréole, qu’il représente sous la forme d’un anneau métallique brillant, et le nuage sur lequel la sainte se tient. Il a dû s’inspirer de l’une ou l’autre représentation ancienne. Dans l’église des Saints-Pierre-et-Paul de Chimay, en Belgique wallonne, se trouve une image de Thérèse remontant au xixe siècle ( fig. 7 ) qui n’est pas sans rappeler celle créée par Garouste. L’attitude de la sainte, en particulier la position des mains, est fort similaire. L’artiste français a certainement eu recours aux mêmes modèles iconiques que son devancier belge. Garouste, en outre, s’est documenté (21). La sainte, telle qu’il l’a représentée, porte bien l’habit de chœur des carmélites déchaussées : la robe brune, le manteau blanc et la coiffe noire. Le visage rond, assez massif, est conforme à celui transmis par le seul portrait réalisé du vivant de la sainte, la vera effigies peinte en 1576 au Carmel de Séville par le frère Jean de la Misère (22) ( Giovanni Narducci ). Harosteguy écrit fort justement : « La Sainte Thérèse d’Avila que peint Garouste en 1983 peut non seulement être rattachée au genre de la peinture religieuse, mais elle ressortit aussi partiellement au genre du portrait (23). »

À la différence de l’auteur de la toile de Chimay, Garouste ne s’inscrit pas dans un projet d’exaltation du passé catholique, mais bien dans une stratégie de subversion. Si l’artiste français a accepté la commande, c’est vraisemblablement en raison des origines juives de la sainte. Le grand-père paternel de Thérèse, Juan Sánchez dit Juan de Toledo, est en effet un marchand juif de Tolède converti au christianisme, mais dans un premier temps demeuré fidèle en son for intérieur à la loi de Moïse (24). En 1485, un tribunal de l’inquisition fut établi à Tolède.

ll publia un édit de grâce, permettant aux chrétiens coupables d’hérésie ou de pratiques non conformes à la religion catholique de se « réconcilier » avec l’Église en avouant leurs fautes aux inquisiteurs. En se dénonçant eux-mêmes et en faisant ensuite pénitence, ils pouvaient échapper à toute poursuite judiciaire, à condition bien entendu de ne plus retomber dans leurs anciennes erreurs. C’est ce que le converso Juan Sánchez jugea opportun de faire en 1485. L’existence de ce grand-père juif, qui avait dû s’y reprendre à deux fois pour devenir un bon catholique, n’a été révélée qu’en 1946 par un historien espagnol. Il eut la curiosité de lire dans sa totalité un document de la chancellerie de Valladolid concernant le père de sainte Thérèse. Cette découverte a exercé une grande influence sur les études thérésiennes dans l’après-guerre, donnant lieu à des interprétations en clés « crypto-judaïques » ou marranes de l’abondante production littéraire de la sainte (25).

Un détail, dans le tableau de Garouste, suggère que l’état extatique dans lequel l’artiste a plongé Thérèse n’a pas une origine tout à fait orthodoxe. Nombreux sont les peintres qui ont représenté la sainte agenouillée devant un crucifix. Outre l’auteur de la toile de Chimay, on peut citer, bien avant lui, Pierre Paul Rubens, qui peignit vers 1614 l’autel de sainte Thérèse pour le couvent des Carmes de Bruxelles. La prédelle est conservée aujourd’hui au musée Boijmans-Van Beuningen de Rotterdam (26) ( fig. 8 ). Dans ces images, la croix en petit format sert de support à l’effigie classique du Christ dénudé, revêtu d’un simple pagne, les mains et les pieds cloués. Tout différent est le crucifix de sainte Thérèse peint par Garouste ( fig. 9 ). Aucun corps humain suspendu n’est reconnaissable. On a l’impression d’un ou de plusieurs serpents enroulés autour d’une croix. La volonté de l’artiste de faire référence à cet animal est d’autant plus manifeste qu’on aperçoit en contrebas une pomme, qui renvoie au péché originel.

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    Comment faut-il interpréter ce bien étrange crucifix ? On peut y voir une évocation du serpent d’airain, tel qu’il a été représenté dans l’art chrétien à partir du xve siècle (27). Ce totem aurait été élevé par Moïse pour le salut des Juifs ( Nombres, xxi, 4-9 ). Après avoir quitté l’Égypte, alors que ceux-ci erraient dans le désert en proie à la faim et à la soif, ils en vinrent à maudire Dieu et leur guide. « Alors Iahvé envoya contre le peuple les serpents brûlants et ils mordirent le peuple :  beaucoup moururent du peuple d’Israël. » ( trad. Pléiade. ) Effrayés par le courroux divin, les Juifs se repentirent de leurs critiques et vinrent trouver Moïse pour le supplier d’intercéder auprès de Dieu afin qu’il mît fin à leurs souffrances. Moïse fit ce qu’on lui avait demandé « et le Seigneur lui dit : “Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une hampe : quiconque aura été mordu et le verra, il vivra ! ” Moïse fit donc un serpent d’airain et le plaça sur la hampe. Or, si l’un des serpents mordait un homme et que celui-ci regardait vers le serpent d’airain, il vivait » ( trad. Pléiade ).

    Ce récit a suscité l’une des plus anciennes exégèses chrétiennes de l’Ancien Testament. Elle se trouve dans l’évangile de Jean ( iii, 14-15 ) et est placée dans la bouche même du Christ, lequel répond aux questions du Pharisien Nicodème. Jésus aurait affirmé : « Et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle. » ( trad. TOB. ) Par cette lecture, le serpent d’airain fixé sur une hampe devenait une préfiguration du Christ cloué sur la croix, l’un et l’autre ayant été hissés pour la salvation des hommes.

    Fig. 10 – Agnolo Bronzino, L'Adoration du serpent d'airain, 1542, Fresque 320 x 385 cm, Palazzo Vecchio, 2e étage, Quartiere di Eleonora da Toledo, Capella di Eleonora, mur d'entrée, Florence (Toscane, Italie).
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    Fig. 10 – Agnolo Bronzino, L'Adoration du serpent d'airain, 1542.

    L’interprétation christocentrique de l’épisode vétérotestamentaire a donné naissance à une iconographie tout aussi christocentrique, dont la fresque réalisée dans les années 1540-1545 par Agnolo Bronzino pour la chapelle d’Éléonore de Tolède au Palazzo Vecchio de Florence constitue un des exemples les plus célèbres (28) ( fig. 10 ). Dans cette image, le peintre maniériste toscan a tout mis en œuvre pour que le spectateur chrétien reconnaisse le Christ crucifié dans le serpent d’airain. Celui-ci enserre de ses anneaux une croix représentée en vue frontale, dans l’axe de symétrie vertical de la composition. Or, la croix du Christ est souvent disposée de cette manière dans les images du Calvaire peintes aux xve et xvie siècles. Le totem mosaïque est en outre dressé au sommet d’une butte qui rappelle le Golgotha. Le ciel est sombre. Le peintre évoque ici les nuées qui obscurcirent le ciel au moment de la mort du Sauveur. Enfin, du côté droit, une Juive, étendue sur le sol, le torse redressé, est soutenue par une compagne. Pour le spectateur familier de l’art chrétien, ce groupe remet immédiatement en mémoire la pâmoison de la Vierge, s’effondrant dans les bras des saintes Femmes.

    C’est en ayant à l’esprit une peinture comme la fresque du Palazzo Vecchio que l’on peut comprendre la particularité de la démarche de Garouste dans sa Sainte Thérèse. Contrairement à Bronzino, le peintre français n’incite nullement le spectateur à voir le Christ dans le serpent d’airain, il montre sainte Thérèse voyant le serpent d’airain dans le Christ. Le crucifix posé sur l’autel, à côté d’un livre ouvert, semble en effet se transformer sous les yeux de la sainte en un nœud de serpents, le corps du Fils de Dieu se décomposant en une série d’enroulements. Ceux-ci se répètent d’ailleurs dans la tenture rouge suspendue au-dessus de l’autel. À en croire Garouste, la cause de l’extase de la sainte serait une sorte d’hallucination juive : devant le crucifix chrétien, Thérèse parcourrait en sens inverse le lien typologique établi par l’évangile de Jean et remonterait du Nouveau Testament vers l’Ancien, de Jésus à Moïse. La sainte apparaît ainsi comme une marrane, recouvrant d’un manteau chrétien son attachement à la Loi ancienne. La dévotion toute catholique exercée devant une image en bronze posée sur un autel permettrait à la Thérèse garoustienne de s’abandonner en toute discrétion à la contemplation d’un symbole juif salvifique, une contemplation qui, manifestement, la remplit de bonheur…

    Le projet garoustien de rendre visible le socle juif de la culture occidentale a conduit à des reformulations d’images célèbres, telle l’Annonciation de Grünewald, et d’iconographies établies, comme celle de sainte Thérèse d’Avila agenouillée devant le crucifix. Elle a amené le peintre français à remodeler une architecture bien connue, celle de la cathédrale de Chartres, pour en faire la toile de fond de sa propre rébellion contre le culte marial. La judéophilie de l’artiste peut même prendre l’aspect d’un programme iconographique complet, comme dans le cas du cycle de toiles marouflées de l’hôtel de ville de Mons (29). Le peintre y a déployé tout un système d’images à caractère judéocentrique.

    Il convient de relever la dimension publique de l’entreprise. Le cycle, inauguré en 2000, a été installé à mi-hauteur dans un espace destiné à accueillir les citoyens montois à un moment clé de l’existence : les toiles ornent en effet la salle des mariages municipale. Traditionnellement, en Belgique comme en France, le décor figuré de ce genre de salles combine l’exaltation de la nation et de l’identité locale avec celle de l’amour hétérosexuel et de la famille. En France, l’importance du lieu, véritable sanctuaire de la religion civile, est signalée par la présence du buste de Marianne et du portrait du président de la République, en Belgique, par celle des photographies du couple royal. Un homme comme Garouste, si désireux de délivrer un message au travers de sa peinture, a dû ressentir d’emblée quelle tribune la commande de la ville de Mons pouvait offrir à ses idées. Dans le cycle qu’il a conçu et réalisé, il accorde une place importante non seulement au folklore local montois et aux figures emblématiques qui y sont associées, les saints Georges et Waudru, mais aussi aux mythes juifs, profitant de l’occasion pour mettre en évidence le caractère matriciel qu’il aime à leur prêter. L’originalité de la démarche de l’artiste apparaît une nouvelle fois : hormis celle de Mons, il n’y a probablement aucune autre salle des mariages dans un hôtel de ville européen qui contienne un cycle de représentations récentes empruntées à l’Ancien Testament !

    Le caractère public de l’œuvre a conditionné le choix du format. Il est monumental : le peintre a élaboré une frise de quelque trente-cinq mètres de long pour une hauteur de deux mètres cinquante. Certains personnages sont représentés grandeur nature.

    Lorsque le visiteur entre dans la salle et que, se retournant vers la porte, il regarde devant lui, il est tout d’abord confronté, sur la droite, à une représentation du char de feu d’Ézéchiel ( fig. 11 a ). Non sans témérité, Garouste a accepté le défi que constitue, pour tout peintre se réclamant de la tradition occidentale, la tâche d’enfermer dans une représentation faite de plans, de volumes et d’espaces un texte qui, par son caractère visionnaire et sa syntaxe extrêmement libre, échappe a priori à toutes les tentatives d’objectivation. L’artiste français a lu attentivement les chapitres i et x d’Ézéchiel. Sur la base de ces textes, il a construit un char à quatre roues. Sur chaque roue, il a placé une face : « la première était une face de chérubin, la deuxième une face d’homme, la troisième une face de lion, la quatrième une face d’aigle. » ( Ézéchiel, x, 14, trad. Pléiade.)

    Au-dessus de ces quatre êtres, le peintre a représenté une plate-forme de couleur bleue, offrant l’aspect d’un trône sur lequel il a assis un personnage blanchâtre. Il cherche à illustrer ici le passage suivant de la vision : « Par-dessus la plate-forme qui était sur leurs têtes, c’était, pareille à l’aspect d’une pierre de saphir, la forme d’un trône et sur la forme de trône une forme pareille à celle d’un homme qui était dessus, dans la partie supérieure. » ( Ézéchiel, i, 26, trad. Pléiade. ) La « forme pareille à celle d’un homme » renvoie manifestement, dans le texte d’Ézéchiel, à Iahvé, que Garouste, ne craignant pas le scandale, n’a pas hésité à convoquer dans la salle des mariages d’une municipalité traditionnellement socialiste et laïque ! Quant au personnage noir figuré la tête renversée, il doit s’agir du chérubin fautif dont parle également Ézéchiel ( xxviii, 18 ) et que Dieu aurait rejeté sur la Terre après l’avoir « réduit en cendres » ( trad. Pléiade ). Le peintre a même eu le souci d’évoquer dans son image, par une bande ondulée jaune, le mystérieux scintillement qui entoure le char et que le prophète mentionne à deux reprises ( Ézéchiel, i, 4 et i, 27 ).

    Fig. 11 – Julius Schnorr von Carolsfeld, Le prophète Ezéchiel tiré de Bibel in Bildern, Allemagne, Leipzig, 1860, gravure sur bois, collection non identifiée.
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    Fig. 11 – Julius Schnorr von Carolsfeld, Le prophète Ezéchiel tiré de Bibel in Bildern, Allemagne, Leipzig, 1860.
    Fig. 12 – Lettrine du Dialogus Miraculorum de Césaire de Heisterbach, v. 1230, Manuscrit C26, folio 165 v°, parchemin, 35 x 25 cm, Universitätsbibliothek, Düsseldorf.
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    Fig. 12 – Lettrine du Dialogus Miraculorum de Césaire de Heisterbach, v. 1230.
    Fig. 13 – Gérard Garouste, Sainte–Waudru, détail de l'intégration murale La Ducasse dans la salle des mariages de l'hôtel de ville de Mons, 2000, huile sur toile marouflée, 250 x 2600 cm, Collection Ville de Mons.
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    Fig. 13 – Gérard Garouste, Sainte–Waudru, détail de l'intégration murale La Ducasse dans la salle des mariages de l'hôtel de ville de Mons, 2000.

    Comme on pouvait s’y attendre, le traitement de la Vision d’Ézéchiel par Garouste est fort éloigné de celui qui a eu longtemps cours dans l’art occidental et qui se caractérise par un finalisme chrétien. Si la mystérieuse figure entraperçue par le prophète juif présente, dans un panneau de Raphaël conservé au Palais Pitti de Florence (30), les traits de Jupiter, dans une peinture du Flamand Pierre Coeck d’Alost appartenant aux collections de l’État bavarois (31), elle offre en effet l’aspect du Christ lui-même, reconnaissable à ses mains percées. Dans la gravure de de Julius Schnorr von Carolsfeld publiée en 1860, c’est encore le Christ qui apparaît à Ézéchiel ( fig. 12 ). Assis sur son trône à roues, entouré par les quatre êtres, il a le visage du Nazaréen tel que décrit dans la Lettre de Lentulus. Devant une telle image, Garouste ne se serait vraisemblablement pas privé d’évoquer la spoliation symbolique dont, à ses yeux, la tradition exégétique chrétienne s’est rendue coupable vis-à-vis du monde juif. Lui-même a préféré donner à l’occupant du trône de saphir une silhouette vague, prenant ainsi en compte l’interdit mosaïque, au moins en ce qui concerne l’image divine.À gauche de l’image du char d’Ézéchiel se trouve celle de l’échelle de Jacob ( fig. 11 b ). C’est là un thème de prédilection de l’artiste, qu’il avait déjà traité dans le cycle des vitraux de Talant (32) ( 1997 ) et dans La Dive Bacbuc ( 1998 ). Garouste fait référence au songe dont aurait bénéficié Jacob, l’un des fils d’Isaac, en un lieu dénommé par la suite Béthel, alors qu’il avait quitté le domicile paternel pour se mettre en quête d’une épouse. La nuit venue, il ramassa une pierre et y posa sa tête pour dormir. C’est alors qu’il eut un rêve : il vit qu’« une échelle était dressée par terre, sa tête touchant aux cieux, et voici que des anges d’Élohim montaient et descendaient sur elle » ( Genèse, xxviii, 12, trad. Pléiade ). Le peintre a représenté Jacob endormi, recroquevillé sur le sol, la tête appuyée sur une pierre blanchâtre, devant un ciel sombre qui évoque l’heure nocturne. Souvent, les artistes européens des Temps modernes ont inclus dans la scène un arbre, comme le fit notamment José de Ribera dans un célèbre tableau du Prado, signé en 1637 (33). Garouste a souhaité suivre cet usage. La représentation oblique de l’échelle est également fréquente dans la peinture occidentale. En revanche, l’artiste français rompt avec les formules traditionnelles dans le traitement des anges qui montent et qui descendent. Il s’est abstenu de les représenter sous un aspect anthropomorphe, choisissant plutôt de leur donner l’apparence de grands oiseaux blancs aux ailes déployées. Il est à noter que, dans la version du Songe de Jacob insérée dans le cycle de Talant et dans La Dive Bacbuc, les anges possèdent encore un visage et des pieds. La volonté de bannir tout anthropomorphisme dans la représentation de figures associées à Dieu semble avoir fait progressivement son chemin dans l’esprit de l’artiste.La juxtaposition du Songe de Jacob et de la Vision d’Ézéchiel constitue, pour le moins, une solution iconographique inhabituelle. Dans L’Échelle céleste. Une histoire de la quête du ciel, l’historien d’art français Christian Heck signale une seule représentation médiévale associant les figures de Jacob et d’Ézéchiel à l’échelle (34). Elle est inscrite dans l’initiale M ornant un manuscrit rhénan du Dialogus miraculorum de Césaire de Heisterbach (35) ( fig. 13 ). Ce manuscrit, conservé à l’université de Düsseldorf, date de la première moitié du xiiie siècle. L’enlumineur a pris l’initiative de représenter Ézéchiel et Jacob, bien que ceux-ci ne soient nullement mentionnés dans le passage du texte du prieur cistercien qu’il cherche à illustrer. Une échelle oblique divise la vignette selon une diagonale ; Ézéchiel, debout, se trouve à gauche, Jacob, assis, à droite. L’un et l’autre sont désignés par une inscription comportant leur nom et une citation tirée de la Genèse et du texte d’Ézéchiel.

    Garouste connaît-il le livre de Heck, dont a été publiée en 1999 une édition en format de poche, largement diffusée dans le monde francophone ? Toujours est-il qu’au-delà du rapprochement opéré en image entre Jacob, Ézéchiel et le motif de l’échelle, la miniature médiévale et la toile de la salle des mariages diffèrent de manière radicale. La première ressortit manifestement à la spoliation chrétienne des symboles juifs dénoncée par Garouste. L’échelle oblique n’est plus celle de Jacob, dont elle ne conserve que le schéma. Un détournement conceptuel a été opéré, par lequel l’image reçue a été investie d’un contenu nouveau. En effet, dans la miniature, conformément au texte de Césaire de Heisterbach, les deux montants de l’échelle symbolisent l’un la vision spirituelle, l’autre la vision corporelle. Quant aux échelons, ils correspondent à différents niveaux de réalité que « tout chrétien » peut arriver à contempler, soit en esprit soit de ses propres yeux. Ces niveaux sont hiérarchisés. C’est ainsi que le fidèle, représenté au bas de l’échelle, les mains jointes, se voit successivement proposer, du bas vers le haut, comme l’indiquent les inscriptions entre les échelons, la contemplation du « monde des vierges », puis celle du « monde des confesseurs », des martyrs, des apôtres, des prophètes et enfin, juste au-dessous du dernier échelon, celle du « monde des anges ». Si la place privilégiée concédée aux prophètes juifs dans cette hiérarchie de la sainteté mérite d’être relevée, vu le contexte antijudaïque du xiiie siècle, elle n’enlève toutefois rien au caractère christocentrique de la composition. En effet, comme il est indiqué dans le texte du prieur de Heisterbach, le point d’aboutissement de l’échelle, c’est la vision du Christ lui-même, un privilège dont, à en croire le miniaturiste, auraient été gratifiés tant Jacob qu’Ézéchiel. Ceux-ci sont d’ailleurs représentés dans la lettrine comme des saints chrétiens, pourvus d’une auréole, et lèvent la tête vers un Christ bénissant, en buste frontal. Le nimbe cruciforme ne laisse aucun doute quant à l’identité du personnage…

    L’association d’Ézéchiel et de Jacob répond, dans la miniature, au souci de convoquer deux visionnaires exemplaires, deux autorités prophétiques, pour appuyer la conception de la vision chrétienne développée par Césaire de Heisterbach. On imagine aisément que les préoccupations d’un Garouste sont bien différentes. Sa logique de peintre judéophile le conduit à aborder l’Ancien Testament à partir du seul Ancien Testament et à en développer une lecture circulaire, hostile à tout finalisme chrétien.

    Dans cette lecture, l’unité de la révélation faite au peuple juif est affirmée, de façon à ce que les divers textes de l’Ancien Testament puissent se compléter.

    Ceci permet de comprendre pourquoi, dans sa représentation de la Vision d’Ézéchiel, Garouste a omis le visionnaire lui-même. Le seul visionnaire présent dans l’image est en effet Jacob, plongé dans son sommeil. Et pour cause : par la Vision d’Ézéchiel, le peintre français a voulu représenter Iahvé, tel qu’aurait pu le voir Jacob. Garouste a eu à cœur de suivre précisément le texte de la Genèse. Après le rêve de l’échelle, Jacob, toujours endormi, reçoit la visite de Dieu. « Et voici que Iahvé se tenait debout près de lui. Il dit : “Je suis Iahvé, Dieu de ton père Abraham et Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donnerai, ainsi qu’à ta race.” » ( Genèse, xxviii, 13, trad. Pléiade. ) Le passage ne livre aucune indication quant à l’aspect de Iahvé. En revanche, bien après l’époque de Jacob, qui aurait vécu au début du iie millénaire avant notre ère selon les chronologies traditionnelles, Dieu se manifestera à Ézéchiel, durant l’exil babylonien ( 597-538 ), sur un char portant un trône. Ne pouvant représenter, faute d’une description fournie par le texte lui-même, le Iahvé de Jacob, Garouste a décidé de représenter celui d’Ézéchiel et d’en faire l’interlocuteur du fils cadet d’Isaac. C’est pourquoi la forme blanche anthropomorphique assise sur le trône est tournée vers lui et semble le bénir.

    Le caractère fondateur de l’apparition de Iahvé à Jacob justifie pleinement l’emplacement réservé à l’épisode dans la frise de la salle des mariages. « Ta race sera comme la poussière de la terre et tu déborderas à l’occident et à l’orient, au nord et au sud ; en toi et en ta race seront bénies toutes les familles du sol. » ( Genèse, xxviii, 14, trad. Pléiade. ) À partir de la terre que Dieu lui a offerte à Béthel, l’Ancien Testament annonce donc que la descendance de Jacob va essaimer dans toutes les directions, vers l’ouest notamment. Jusqu’à Mons ?

    Fig. 14 – Vue du parvis sud de la collégiale Sainte Waudru, Mons.
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    Fig. 14 – Vue du parvis sud de la collégiale Sainte Waudru, Mons.
    Fig. 15 – Armand Bourdon, Chef Reliquaire de sainte Waudru de Mons, 1867, Métal repoussé, hauteur : 182 cm, Fabrique d'église collégiale Sainte–Waudru, Mons.
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    Fig. 15 – Armand Bourdon, Chef Reliquaire de sainte Waudru de Mons, 1867.

    C’est ce que suggèrent certains éléments du dispositif figuratif complexe mis en place par l’artiste. En face de l’image composite du Songe de Jacob, réunissant le char d’Ézéchiel et l’échelle aux anges, se trouve, sur le mur du fond de la salle, à gauche de la cheminée, une toile comportant une série de représentations relatives à Waudru, la sainte protectrice de Mons, qui passe aussi pour sa fondatrice ( fig. 14 ). Selon la tradition, cette dame des temps mérovingiens, issue de l’aristocratie franque, vécut au viie siècle et édifia dans cette ville une abbaye, convertie avant le xiie siècle en un chapitre de chanoinesses nobles (36). De nombreux miracles furent attribués à son intercession. À partir de 1450, une immense église fut élevée en son honneur : l’ancienne collégiale Sainte-Waudru, le principal sanctuaire montois devenu après la Révolution française simple église paroissiale. C’est elle que Garouste a représentée d’une façon extrêmement stylisée, au premier plan. L’édifice gothique, doté d’un transept non saillant, apparaît dans la frise sous la forme d’un parallélépipède rectangle de couleur fauve, surmonté d’une toiture à deux versants (37). Le peintre a reproduit la forme caractéristique du parvis méridional, avec ses volées d’escaliers qui dessinent une courbe rentrante, et l’imbrication, dans les marches, d’une partie du mur extérieur ( fig. 15 ), rendant ainsi Sainte-Waudru reconnaissable pour les Montois observateurs, en dépit de l’aspect schématique de l’image. La mouchette, tracée par Garouste sur le bâtiment lui-même, fait vraisemblablement référence au style de la construction : le gothique dit « flamboyant », qui doit son nom aux motifs en flamme inscrits dans les remplages des fenêtres. De tels motifs s’observent effectivement en abondance sur tout le pourtour de l’ancienne collégiale.

    Fig. 16 – Joseph Wilmotte Fils, Châsse reliquaire de sainte Waudru (face : sainte Waudru et ses deux filles), 1887, laiton coulé et doré, émail et pierreries, 109 x 146 x 43 cm, Fabrique d'église collégiale Sainte–Waudru, Mons.
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    Fig. 16 – Joseph Wilmotte Fils, Châsse reliquaire de sainte Waudru (face : sainte Waudru et ses deux filles), 1887.
    Fig. 17 – A. Ghienne et F.J. Midavaine (sculpteurs), J.F. Delhove (orfèvre), J.–F. J. Beghin et C.A. De Bettignies (doreurs), Le Car d'or, char de procession, 1779–1782, essenses de bois peintes et dorées (orme, tilleul), fer et cuir, 315 x 530 x 230 cm, Fabrique d'église collégiale Sainte–Waudru, Mons.
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    Fig. 17 – A. Ghienne et F.J. Midavaine (sculpteurs), J.F. Delhove (orfèvre), J.–F. J. Beghin et C.A. De Bettignies (doreurs), Le Car d'or, char de procession, 1779–1782.

    L’édifice peint est identifié de manière explicite comme Sainte-Waudru par une effigie de la sainte. Le peintre a copié soigneusement le chef-reliquaire néogothique de 1867 dû à l’orfèvre Armand Bourdon (38) ( fig. 16 ). Le visage de Waudru est en argent, la construction filigrane qui l’entoure en bronze. La fidélité du peintre au modèle n’empêche nullement une certaine élaboration esthétique du motif. Ainsi, le traitement mat du visage de la sainte, dans la frise, évoque moins l’argent qu’une photo d’identité légale en vue frontale. Cet effet de modernité confère à la sainte mérovingienne une présence que l’on ne retrouve pas dans le buste. Dans la salle des mariages de l’hôtel de ville, Waudru apparaît paradoxalement comme une contemporaine de la photographie en noir et blanc, regardant de ses grands yeux l’objectif. Ou l’assemblée ? En haut à gauche, le peintre a représenté la châsse néogothique de 1887 due à l’orfèvre Joseph Wilmotte fils ( fig. 17 ). Le sarcophage métallique en forme d’église contient les ossements de Waudru, à l’exception du crâne. À nouveau, on est frappé par la précision dont fait preuve le peintre, en dépit du format réduit. De la châsse, il reproduit le pignon orné de la Vierge à l’Enfant et le long côté occupé par sainte Waudru et ses deux filles.

    La châsse elle-même repose sur un char. Il s’agit du fameux Car d’or, réalisé dans les années 1779-1782 ( fig. 18 ). Ce char processionnel en bois, orné de pièces métalliques dorées, sert aujourd’hui encore au transport de la châsse dans les rues de Mons, lors de la procession annuelle du dimanche de la Trinité, à la fin du mois de mai.

    À la différence de ce qu’il avait fait pour les deux reliquaires, le peintre ne livre nullement une image fidèle de la voiture sacrée. Certes, l’étrange engin sur roues qu’il a conçu partage bien avec le véritable Car d’or une série de traits caractéristiques, qui permettent l’identification : la bichromie blanc et or, les mufles de lion ponctuant les bords et l’arrière de la caisse, la grande volute située en avant, les angelots sculptés de couleur blanche… Un habitant de Mons reconnaîtra sans difficultés le Car d’or. Il pourra même préciser que celui-ci est tourné vers la droite et s’apprête à s’engager sur la fameuse rampe Sainte-Waudru, bordant l’édifice au nord. Pourtant, l’aspect que le peintre français a conféré au véhicule diffère nettement de celui familier aux Montois.

    Le judéocentrisme de Garouste donne lieu cette fois à une véritable manipulation visuelle du spectateur. L’image qui vient d’être décrite fait face à celle du Songe de Jacob, incluant l’échelle aux anges et le char d’Ézéchiel. Dans la conscience du spectateur qui s’est d’abord imprégné de cette double représentation, le Car d’or, tel que l’a peint l’artiste, ne peut qu’éveiller des souvenirs. Les ressemblances avec la représentation du char divin d’Ézéchiel s’imposent au regard et le conditionnent (39). Le dessin des roues dorées, leurs proportions et leur agencement dans le plan sont similaires. Le mufle de lion visible à l’avant du char d’Ézéchiel se répète dans les trois autres qui timbrent la caisse du Car d’or.

    On signalera également les liens qui unissent les anges qui entourent la châsse à ceux du Songe de Jacob. De même, on ne manquera pas de relever, dans l’image de l’échelle céleste et dans celle du Car d’or, le thème commun de l’ascension. Les anges montent et descendent sur l’échelle posée obliquement, tandis que le char, au terme de la procession, doit gravir en une traite une pente abrupte…

    De toute évidence, Garouste a cherché à faire ressembler le Car d’or au char décrit par Ézéchiel. Dans ce but, à la manière d’un peintre cubiste, il a comme plié en deux le véhicule sacré montois, lui donnant la forme d’un siège, avec banquette rectangulaire et dossier. Le Car d’or, ainsi déformé, remet en mémoire le trône bleu figuré à l’entrée de la salle. L’artiste français n’a pas craint non plus de remplacer les angelots dénudés en bois de goût baroque par des figures évanescentes blanches, de façon à ce que le spectateur les associe aux créatures représentées sur l’échelle de Jacob. La volonté de Garouste de ne pas conférer à ces dernières un aspect anthropomorphe a conduit à abandonner les sculptures originales de la caisse. D’une certaine façon, le refus juif de l’iconisme a été appliqué de manière rétrospective au Car d’or. Enfin, celui-ci est représenté sans son attelage, alors même qu’il transporte la châsse. Durant la procession, une fois sorti de l’église, il est normalement tiré par des chevaux. Mais comme Ézéchiel n’en mentionne aucun dans sa vision du char divin, Garouste a jugé bon d’en priver le Car d’or

    On ne peut que constater, dans une telle manière de procéder, un renversement complet de ce qui a été pendant des siècles l’approche de l’Ancien Testament par les artistes occidentaux. Il ne s’agit plus de donner à comprendre en image les récits de la tradition juive à la lumière de la révélation chrétienne, ce qui amenait les peintres à injecter dans les représentations empruntées à l’Ancien Testament figures et motifs provenant du Nouveau. À cette manipulation des consciences guidée par les Évangiles, l’artiste français cherche à en opposer une autre, qui fonctionne en sens inverse.

    De la tradition catholique locale, illustrée notamment par le culte de sainte Waudru et les pratiques rituelles et festives qu’il a suscitées, Garouste s’efforce de mettre en évidence une matrice juive refoulée. S’il reproduit, aussi fidèlement qu’il se peut, sur la base du texte biblique, le char aperçu par Ézéchiel, en revanche, il transforme le Car d’or, le prive de ses chevaux et redessine ses angelots, de façon à faire voir aux Montois, dans leur véhicule emblématique, le reflet d’une révélation divine première, inscrite dans l’Ancien Testament.

    De manière analogue, à gauche de la porte d’entrée de la salle et à droite de la cheminée du fond, Garouste oppose le Combat de Jacob contre l’ange à celui de saint Georges contre le dragon ( fig. 19 ). Il faut rappeler ici que Georges est le saint protecteur de Mons et que la répétition ritualisée de son affrontement avec le dragon, sur la Grand Place de la ville, constitue le point d’orgue de la fête du dimanche de la Trinité, une fois le Car d’or rentré à la collégiale. Quant au combat de Jacob contre l’ange, il s’agit d’un épisode clé du cycle de Jacob ( Genèse, xxxii, 23-31 ). Bien après le songe de Béthel, le patriarche revient vers le pays de Canaan avec ses deux femmes et ses onze enfants. Durant toute une nuit, il va affronter seul un envoyé céleste, peut-être Dieu lui-même. Au terme de ce combat, son adversaire lui donnera un nouveau nom : Israël.

    Le lien entre les deux représentations est avant tout de nature thématique. Pour Garouste, il s’agit cette fois de montrer aux Montois le combat de leur saint patron, que la tradition situe au ive siècle de notre ère, comme l’écho d’un combat bien plus ancien, celui de Jacob, qui en constituerait la matrice. En outre, un lien peut être relevé avec le char d’Ézéchiel. Le peintre a donné au monstre terrassé par Georges un aspect anthropomorphique pour le moins inhabituel dans l’iconographie du saint. Or, ce « diable » rouge étendu au sol n’est pas sans rappeler le « diable » noir renversé, évoquant le chérubin fautif réduit en cendres par Iahvé (40).

    Au terme de ce parcours d’images, il apparaît clairement que l’ambition de Garouste dépasse celle de la plupart des peintres du xxe siècle. En effet, elle ne se limite pas au champ de l’expérience visuelle, à l’exploration de l’espace pictural et de ses propriétés ou à la quête d’une définition de l’art. Elle présente une dimension temporelle. Il s’agit pour l’artiste de réécrire l’histoire par la peinture, d’apprendre au spectateur à voir les mythes fondateurs de sa culture dans une autre perspective que celle qui lui a été transmise par l’enseignement scolaire, la catéchèse et la culture académique, et ceci dans le but d’inverser le rapport conventionnel, vieux de deux millénaires, entre judaïsme et christianisme. Sa peinture constitue de ce fait un défi tant pour le spectateur que pour l’exégète européens. Pour autant qu’ils aient une conscience historique, ni l’un ni l’autre ne peut espérer ressortir indemne de la confrontation avec des images qui, sous un aspect néomimétique semblant de prime abord conforter la tradition, organisent en réalité sa subversion…

    Notes

    NuméroNote
    1Voir, pour un commentaire récent de ce panneau, Pantxika Béguerie-De Paepe, Philippe Lorentz, « Le retable d’Issenheim », dans Grünewald et le retable d’Issenheim. Regards sur un chef-d’œuvre( cat. exp. Colmar, musée Unterlinden, 8 décembre 2007 – 2 mars 2008 ), Colmar / Paris, musée Unterlinden / Somogy, 2007, p. 71.
    2Sébastien Harosteguy, La Référence à l’art ancien dans la peinture de Gérard Garouste et Martial Raysse. Référence, dialogue, émulation, rejet ( thèse de doctorat ), Bordeaux, université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, 2008, t. I, p. 397.
    3Michel Onfray, « La peinture en vérité. Le sous-main, l’âne et la figue», dans Gérard Garouste, Paris, Skira-Flammarion, 2009, p. 7-17 ( p. 14 ).
    4Voir, à ce propos, M. Onfray, op. cit., p. 12-14.
    5M. Onfray, op. cit., p. 14. Dans l’Ancien Testament de la Pléiade, publié en 1959 sous la direction d’E. Dhorme, Isaïe, vii, 14 est traduit comme suit : « ( … ) voici que la jeune femme va être enceinte et va enfanter un fils ; tu lui donneras pour nom Emmanuel. »
    6Voir, à ce sujet, Didier Martens, « Rayonnement d’un modèle. Emprunts méconnus à la “ Messe de saint Grégoire ” flémallienne dans la peinture et la tapisserie bruxelloises », dans Annales d’Histoire de l’Art et d’Archéologiede l’Université libre de Bruxelles, vol. 23, 2001, p. 25-59 ( p. 43-44 ).
    7Ce dessin est reproduit dans : Hortense Lyon, « Les carnets. Notes et croquis, le laboratoire de l’artiste », dans Gérard Garouste. En chemin ( cat. exp. Saint-Paul de Vence, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 27 juin – 29 novembre 2015 ), Paris, Flammarion, 2015, p. 16-112 ( p. 74 ).
    8Ce témoignage est reproduit dans : Gérard Garouste, op. cit., p. 265.
    9Voir, dans le même sens, le commentaire du diptyque par S. Harosteguy, qui s’achève par ces mots : « En associant dans un même tableau l’évocation de sa propre histoire à une réflexion sur les difficultés de la traduction, Garouste revendique la nécessité pour le peintre et la peinture de sonder respectivement leurs racines, biographiques et textuelles. » ( op. cit., p. 398. )
    10Ce dessin est reproduit dans : H. Lyon, op. cit., p. 77.
    11Ce témoignage est reproduit dans : Gérard Garouste, op. cit., p. 257.
    12Voir, sur cette chapelle, Marie-Francine Jourdan, « Notre-Dame du Pilier », dans Mgr Michel Pansard ( éd. ), Chartes, Strasbourg, coll. « La Grâce d’une Cathédrale », 7, 2013, p. 416-418.
    13Ce dessin est reproduit dans : H. Lyon, op. cit., p. 36.
    14On citera ici l’ouvrage d’après la deuxième édition augmentée : Michel Pastoureau, Rayures. Une histoire des rayures et des tissus rayés, Paris, éd. du Seuil, 1995, p. 5.
    15M. Pastoureau, op. cit., p. 116.
    16La Vierge noire, 2007. Ce tableau est reproduit dans : Gérard Garouste, op. cit., p. 240.
    17Voir, sur ce labyrinthe, Gilles Fresson, « Le labyrinthe dévoilé ? », dans M. Pansard ( éd. ), Chartres, op. cit., p. 293-297. Voir, sur les relations entre Garouste et le labyrinthe de Chartres, H. Lyon, op. cit., p. 76.
    18Hortense Lyon, Garouste à Talant, Paris, 2006, p. 106-107.
    19Selon Pierre Cabanne, la Sainte Thérèse d’Avila aurait été commandée « par le Comité national d’Art sacré pour une exposition commémorant le quatrième centenaire de cette illustre religieuse réformatrice de son ordre » ( Gérard Garouste, Paris, coll. « Classiques du xxie siècle », 5, 1988, p. 27 ).
    20L’œuvre a été rapprochée, à mon sens de manière peu pertinente, de l’art du Greco et du maniérisme. Voir, à ce sujet, P. Cabanne, op. cit., p. 28 ; S. Harosteguy, op. cit., p. 156, 256.
    21Selon Pierre Cabanne, Garouste aurait « très sérieusement étudié Thérèse d’Avila, lu ses œuvres » et se serait « documenté sur le Carmel et les carmélites » ( op. cit., p. 28 ).
    22Voir, sur ce tableau, Edeltraud Klueting, « Ikonen der Spiritualität des Karmel : Pieter Paul Rubens’ Darstellungen Teresas von Avila und ihre Vorbilder », dans Carmelus, 60, 2013, fasc. 1, p. 47-100 ( p. 48-49 ).
    23S. Harosteguy, op. cit., p. 255.
    24Voir, à ce sujet, Joseph Pérez, Thérèse d’Avila, Paris, 2007, p. 12-17.
    25J. Pérez, op. cit., p. 23-24. Cet auteur se montre toutefois très critique vis-à-vis de telles lectures.
    26Voir, sur cette œuvre, E. Klueting, op. cit., p. 56-57.
    27Voir, sur l’iconographie du Serpent d’airain, Ursula Graepler-Diehl, « Eherne Schlange », dans Lexikon der christlichen Ikonographie, Rome ( … ), 1994, t. I, col. 583-586.
    28Voir, sur cette chapelle, Janet Cox-Rearick, Bronzino’s Chapel of Eleonora in the Palazzo Vecchio,
    29On trouvera une reproduction complète du cycle dans Laurent Busine ( éd. ), Saint Georges et le dragon. De la légende au mythe, dépliant entre les p. 31-32.
    30Voir, sur cette œuvre, Jürg Meyer Zur Capellen, Raphael. A Critical Catalogue of His Paintings II : The Roman Religious Paintings ca. 1508-1520, Landshut, 2005, no 60.
    31Voir, sur cette œuvre, Max J. Friedländer, Early Netherlandish Painting XII : Jan van Scorel and Pieter Coeck van Aelst, Leyde / Bruxelles, 1975, no 157.
    32Le vitrail est reproduit dans : H. Lyon, op. cit. ( 2006 ), p. 73.
    33Voir, sur cette œuvre, Alfonso Pérez Sánchez, notice, dans : Ribera 1591-1652 ( cat. exp. Madrid, Museo Nacional del Prado, 2 juin – 16 août 1992 ), Madrid, Museo del Prado, 1992, n° 95.
    34Christian Heck, L’Échelle céleste dans l’art du Moyen Âge. Une histoire de la quête du ciel, Paris, Flammarion, 1999, p. 224-225.
    35Düsseldorf, Universitätsbibliothek, no C 26, fol. 165 vo.
    36Voir, sur sainte Waudru, François De Vriendt,« Le dossier hagiographique de sainte Waudru, abbesse de Mons ( ixe-xiie siècles ) », dans Mémoires et Publications de la Société des Sciences, Arts et Lettres du Hainaut, vol. 98, 1996, p. 1-37.
    37Voir, sur l’architecture de Sainte-Waudru, Klaus Jan Philipp, « Sainte-Waudru in Mons ( Bergen, Hennegau ). Die Planungsgeschichte einer Stiftskirche 1449-1450 », dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, vol. 51, 1988, p. 372-413.
    38Voir, sur les reliquaires de Sainte-Waudru et sur le Car d’or, François De Vriendt, « Les reliques de Waudru au Moyen Âge », dans Gérard Bavay ( éd. ), La Collégiale Sainte-Waudru. Rêve des chanoinesses de Mons, Bruxelles / Mons, éd. Racine, 2008, p. 136-141.
    39Le lien unissant les deux chars a également été relevé par S. Harosteguy, qui note : « Par la répétition d’un bout à l’autre de la fresque ( sic ) du motif du chariot, associé respectivement à la procession du Car d’or et au motif du char divin d’Ézéchiel, Garouste s’intéresse au passage entre une image réelle et une image rêvée, entre une scène vécue et une vision imaginaire. » ( op. cit., p. 296, voir aussi p. 294. ) Cette interprétation diffère toutefois assez nettement de celle développée dans le présent texte.
    40Voir, dans le même sens, S. Harosteguy, op. cit., p. 295 : « Représenté à terre, dans l’instant de son terrassement, le monstre s’éloigne de l’image traditionnelle du dragon de la légende. Il renvoie davantage à l’imagerie du diable ( ou de Satan ). »