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Musique - Temps modernes - Europe - Musicologie Jean-Marie Rens La forme sonate L'analyse phraséologique : un outil de manipulation, de créativité et de recherche
Expert
Reporticle : 41 Version : 1 Rédaction : 01/11/2012 Publication : 12/12/2012

La forme sonate

Ce texte a été publié pour la première fois dans les Cahiers du GRiAM, Orphée apprenti, nouvelle série, n°2, 2010

La forme sonate : Le b.a-ba

Nous proposons, pour suivre, l’analyse de quelques pièces. Celles-ci vont non seulement nous permettre de mettre à l’épreuve la terminologie fixée ci-dessus, mais également d’utiliser l’analyse phraséologique à d’autres fins que la seule description destinée à la compréhension du déroulement temporel. Car, nous l’avons dit, sur base de cette première étape, il est possible d’utiliser l’analyse phraséologique comme support d’un travail de manipulation et de créativité, mais également de réflexion sur des choix possibles d’interprétation.

Extrait de la Sonate op. 36 n°1 de Muzio Clementi
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Extrait de la Sonate op. 36 n°1
Extrait de la Sonate op. 36 n°1 de Muzio Clementi
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Extrait de la Sonate op. 36 n°1
Extrait de la Sonate op. 36 n°1 de Muzio Clementi
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Extrait de la Sonate op. 36 n°1

Le premier exemple est tiré d’une sonatine de Clementi dont voici le texte – op 36 n°1, premier mouvement. L’analyse phraséologique qui va suivre, faite à partir du texte et sous forme d’arborescence, montre le niveau des motifs, des propositions ainsi que celui des phrases. Cette représentation, suffisante comme première approche générale, contient, au niveau de la structure arborescente supérieure, d’autres indications que celles étudiées plus haut. Celles-ci, bien que connues de la plupart des lecteurs, méritent d’être commentées. Les deux phrases ne sont pas dans le même ton. La “phrase A” est, globalement, en DO majeur. Ce n’est que dans ses derniers moments qu’elle module vers le ton de SOL majeur (en b2). Ce nouveau ton, celui de la dominante, occupera toute la deuxième phrase qui se ponctue par une cadence parfaite – les tonalités ainsi que la flèche qui montre le passage modulant, sont notées sous le texte. Cette opposition de tonalités, ainsi que le contraste thématique qui l’accompagne, sont les ingrédients minimums d’une exposition de forme sonate bithématique classique. C’est cette forme sonate et plus précisément l’exposition d’une forme sonate, qui explique les raisons pour lesquelles nous avons ajouté dans notre représentation graphique les termes de GTA (groupe thématique A) et GTB (groupe thématique B). Sans vouloir entrer dans une longue discussion quant à la terminologie propre à la forme sonate, il faut préciser qu’aujourd’hui la plupart des analystes ont renoncé à la terminologie quelque peu réductrice de Czerny. Sans enlever à Czerny tout le mérite d’avoir théorisé cette forme archétypale de la musique tonale, il faut bien reconnaître qu’il s’est basé, presque exclusivement, sur la musique de Beethoven afin d’élaborer sa théorisation de la forme sonate. Or, cette terminologie ne convient pas nécessairement aux oeuvres de forme sonate d’un Haydn ou d’un Mozart. Dans sa définition, Czerny semble vouloir placer l’aspect thématique à l’avant. Or, ce qui est déterminant pour la forme sonate c’est d’abord et avant tout, le rapport dialectique entre le ton principal et le ton secondaire (souvent celui de la dominante ou du relatif si la sonate est en mineur). Sans deuxième ton, même si une deuxième idée thématique intervient, il n’y a pas de forme sonate. Avec un deuxième ton et un retour du thème principal pour l’accompagner il y a bien forme sonate – celle-ci est du reste appelée forme sonate monothématique (1). Ajoutons encore qu’une même tonalité peut accueillir plusieurs thèmes différents comme nous le rencontrons parfois dans de grandes sonates chez Mozart ou Beethoven. D’où l’importance de parler non pas de thème, mais de groupe thématique. Bref, afin d’avoir une terminologie plus adaptée à l’immense corpus d’oeuvres utilisant cette forme, il est aujourd’hui assez commun de définir les événements musicaux se produisant au ton principal par GTA (cette symbolisation ayant également l’avantage de pouvoir l’interpréter aussi comme Groupe Tonal A) et les événements se produisant au sein de la seconde tonalité par GTB. Nous renvoyons à nouveau le lecteur qui souhaite avoir plus d’informations sur ce vaste sujet, à l’ouvrage de référence écrit par Charles Rosen : “Formes sonate”  (2). J’ai également consacré un très large chapitre à ce sujet – sans commune mesure avec le travail extraordinaire de Rosen – dans mon ouvrage déjà cité plus haut : “Comprendre les oeuvres tonales par l’analyse”. Mais revenons à notre texte et à quelques-unes de ses particularités. La “phrase A”, ouverte, se ponctue par une cadence parfaite au ton de la dominante un peu particulière. En effet, cette phrase – cette thématique – qui semble vouloir se précipiter vers la conclusion, ne prend pas le temps de s’arrêter sur la résolution de la cadence. Il y a en réalité tuilage entre les deux groupes thématiques. L’arrivée de l’un est aussi le départ de l’autre. Afin de bien comprendre, et surtout entendre, cette particularité, il suffit de jouer le texte en le transformant quelque peu. Cette finale, qui a l’avantage de rétablir la carrure de cette phrase en 2 propositions de 4 mesures – plus habituelle dans une phrase classique – fonctionne, c’est évident, beaucoup moins bien musicalement. La raison en est assez simple. Après s’être arrêté posément sur l’accord de dominante à la cadence réécrite, le début du GTB partant du même accord est d’une affreuse platitude.

Alfred Lemoine, Muzio Clementi, eau-forte d’après le portrait de Thomas Hardy de 1794, 1865 (domaine public, source : bibliothèque nationale de France).
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Alfred Lemoine, Muzio Clementi

Cette très simple manipulation, même si elle gauchit le texte, est importante pour la compréhension. Non pensons fermement que c’est par la manipulation et la transformation des textes que nous pouvons mieux saisir les choix des grands maîtres. C’est une des manières, efficaces, d’étudier et d’apprendre la musique. De plus, la manipulation est, au sens propre du terme, une manière de travailler ce fameux socle de compétence de notre enseignement, la créativité. Pour en terminer avec cette première approche graphique de la sonatine de Clementi, nous avons placé tout en haut de l’arborescence, le terme “exposition”. La première partie de la forme sonate est close.

Extrait de la Sonate op. 36 n°1 de Muzio Clementi
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Extrait de la Sonate op. 36 n°1

Afin de montrer les enseignements que l’on peut tirer d’une analyse phraséologique plus morcelée – niveau des cellules – nous proposons une seconde représentation graphique à partir du texte. Celle-ci s’accompagnera d’une série de manipulations afin de mieux faire apparaître la récurrence et les multiples variations que Clementi fait subir aux quelques cellules de cette courte pièce. Ce sont essentiellement deux éléments, cellules, qui conditionnent toute la construction de l’exposition. Nous les avons nommées a et b (3). Afin de démontrer la construction de l’exposition de la pièce à partir de ces deux éléments, nous avons également écrit un deuxième système de piano. Celui-ci donne quelques propositions de synthèse des cellules utilisées. Il tente en quelque sorte, par la manipulation, de faire apparaître le fondement ou encore le “squelette” thématique.

Plusieurs réductions se passent de commentaires, car elles sont lisibles aisément. Par contre, nous nous permettons d’insister sur quelques petites choses plus cachées. A la mesure 7, l’écriture fait appel au “contrepoint virtuel”. L’idée, assez simple ici, est que la ligne mélodique contient deux voix. Du reste, ce même passage, lorsqu’il sera réinterprété au ton principal à la réeexposition, est écrit de la sorte par Clementi. Toujours dans cette idée de contrepoint, la conduite globale du GTB, si nous prenons la première note de chaque mesure, reprend clairement le motif b en mouvement ascendant et extrêmement élargi temporellement. Cette ligne est reprise en ronde à la main droite du second système. Le GTB est construit à l’image de sa jonction avec le GTA : par tuilage. Les lettres b qui se chevauchent aux mesures 8 et 10 le montrent (4).

Extrait de la Sonate op. 36 n°1 de Muzio Clementi
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Extrait de la Sonate op. 36 n°1

Cette analyse, certes exhaustive, s’avère être utile pour comprendre le déroulement du développement construit, en grande partie, à partir de b. La réécriture est suffisamment claire que pour pouvoir nous passer de longs commentaires. La seule chose que nous souhaitons relever concerne le traitement de la cellule b. Celle-ci est présentée sous plusieurs formes : nous l’entendons d’abord en mouvement brisé et en noires, aux mesures 17 à 19, ensuite, toujours dans un mouvement brisé, mais en blanches cette fois, aux mesures 20, 21 et 22 avant de la retrouver sous sa forme rythmique première (en croches) juste avant l’arrivée de la réexposition.

Notes

NuméroNote
1 Signalons qu’il existe, rarement bien entendu, des expositions de formes sonates ou après le GTA une transition amène le second ton sans véritable thématique. Celle-ci étant substituée alors par une coda.
2 Il est intéressant de noter l’orthographe du titre de cet ouvrage : formes est au pluriel tandis que sonate est au singulier. Outre la genèse de la forme sonate, Rosen montre admirablement les différentes formes qu’elle peut revêtir. Il montre aussi combien cette structure musicale est vitale pour les compositeurs du XVIIIe ainsi que du début du XIX et tout particulièrement chez Mozart pour qui c’est une véritable manière de « penser la musique ».
3 Les lettres grecques ne sont utilisées ici que pour marquer une hiérarchie.
4 Nous nous permettons d’insister ici sur le rapport qui existe entre la macro-structure, le passage de témoin entre les deux groupes thématiques et la micro-structure, la construction de l’amorce du GTB.