00:00:00 / 00:00:00


FRANCAIS - ENGLISH
Peinture - Sculpture - Epoque contemporaine - Belgique - Histoire de l'art Apolline Malevez La Scission entre réalistes et symbolistes au sein de L'Essor La Genèse de l'idéalisme à l'épreuve des faits
Amateur
Expert
Reporticle : 182 Version : 1 Rédaction : 01/06/2014 Publication : 14/09/2016

Les expositions de L'Essor

Jean Delville (1867-1953), Le Cycle des passions, 1890, craie noire sur papier, 210 x 332 mm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 7926).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Jean Delville (1867-1953), Le Cycle des passions. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.
Jean Delville (1867-1953), Les Aveugles, 1891, lithographie, 34,9 x 52,2 cm. Collection privée.
Fermer
Jean Delville (1867-1953), Les Aveugles. Collection privée.

Jean Delville débute sa carrière de peintre en exposant aux Salons de L'Essor à partir de 1887. Ce cercle est créé en 1876 sous le nom « Société d'élèves et anciens élèves des Académies des Beaux-Arts » et a pour ambition d'offrir un cadre expositionnel aux jeunes peintres diplômés des Académies des Beaux-Arts. Renommé L'Essor en 1879, il se propose plus largement de « rechercher tous les développements possibles en matière d'art » et de soutenir les jeunes artistes en facilitant le début de leur carrière, principalement par l'organisation d'expositions annuelles (1). Il ne revendique pas de style esthétique particulier et fait pendant au cercle des XX, issu d'une sécession de L'Essor en 1883, qui a une vocation plus internationale. Il ne connaît toutefois pas le même succès. L'Essor est en réalité une initiative assez peu connue et l'on ignore si elle dispose de réseaux commerciaux ou d'une visibilité suffisante dans la presse, en absence d'une tribune qui lui est réservée, malgré les connexions avec les revues La Jeune Belgique et La Wallonie, qui vont offrir à Delville des alternatives à L'Art moderne (2).

Jean Delville (1867-1953), Les Trésors de Satan, 1895, huile sur toile, 258 x 268 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 4575).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Jean Delville (1867-1953), Les Trésors de Satan. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.

Selon Delville, le réalisme est alors la tendance dominante au sein de L'Essor. Néanmoins, d'autres courants artistiques y sont représentés. En 1887, Léon Dardenne expose à L'Essor trois eaux-fortes pour les Fleurs du mal, Vision, inspirée d'un sonnet d'Iwan Gilkin, et un frontispice pour les Chants de Maldoror. Delville réalisera également un frontispice pour cet ouvrage en 1891. D'autres titres d’œuvres sont assez significatifs, même si les œuvres sont aujourd'hui inconnues, comme Perversité de Ciamberlani, exposé en 1887 ou Le Démoniaque d'Auguste Levêque (1888). Les envois de Delville eux-mêmes sont assez révélateurs puisque le peintre explore différents registres et expose à la fois des paysages d'inspiration symbolistes, des toiles réalistes évoquant le monde ouvrier, paysan et le prolétariat miné par la crise ainsi que des œuvres qui puisent leur inspiration dans la littérature, qu'il s'agisse des ouvrages de Camille Lemonnier, Maurice Maeterlinck, Edgar Allan Poe, Lautréamont ou Dante Aligheri (3).

L'année 1890 amorce un tournant décisif puisque Delville présente dans sa totalité Le Cycle passionnel, inspiré de L'Enfer de Dante. Cette toile monumentale attire l'attention de la presse. Dans La Revue belge, Edgar Baes constate : Les sociétés de jeunes vieillissent et leur peinture s'en ressent. Où est-il, ce bel entrain, ce souffle de lutte et de renouveau des premières années ? Nous en sommes à la période de progrès tranquille, de travail sans enthousiasme, qui amène peu à peu l'indifférence. - Quand viendra le Messie ? - M. Delville, que l'on dit être louvaniste, semble viser ce rôle (4). Ainsi, dès 1890, Delville cherche à s'imposer en chef de file. Ce rôle se confirme avec l'exposition de 1891, conçue comme une exposition rétrospective, où Delville présente dix-neuf pièces inédites, parmi lesquelles se trouvent des toiles résolument symbolistes, comme : La symbolisation de la Chair et de l'Esprit, le frontispice pour le 4ème chant de Maldoror, Le Masque de la Mort-Rouge et le dessin d'une damnée.

La dernière exposition de L'Essor est une révélation. Alors que L'Art moderne taxait jusque là les Salons de L'Essor de peu novateurs, de « grisâtre » et régis par le code de « l'officielle bonne tenue », le critique note une tendance bienvenue vers ce qu’il appelle un art de pensée, un art évocateur : A côté des Essoriens qui s'avisent que vraiment le vieux jeu ne réussit guère la lumière et l'atmosphère et que les ramoneuses peintures à la suie sont vraiment bien lugubres quand on a dans la mémoire les joyeuses et sereines clartés des XX, voici ceux qui lâchent le brutal réalisme et, suivant à la queue une autre phalange de réformateurs, donnent en plein dans l'art de pensée, dans l'ART EVOCATEUR (5).

Jean Delville (1867-1953), Orphée mort, 1893, huile sur toile (rentoilée), 79,3 x 99,2 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 12209).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Jean Delville (1867-1953), Orphée mort. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.

Le constat est le même dans La Jeune Belgique : « L'Essor-au-Bois-dormant semble se réveiller de son long sommeil. Au lieu de l'ennui terne habituel aux dernières expositions de ce cercle, voici un peu de joie, un peu de vaillance, des couleurs plus fraîches, un peu de jeunesse, enfin ! » (6). Delville, Levêque et Ciamberlani sont épinglés par Grégroire Le Roy comme les « hommes à idées, les philosophes » de L'Essor. Edgar Baes pointe les mêmes artistes comme tenants d'un « symbolisme ésotérique » (7)

Les Salons triennaux

Parallèlement aux Salons de L'Essor, Delville participe au Salon triennal de Gand en 1889 avec une œuvre intitulée Blind (8). Il s'agit probablement de la lithographie inspirée par la pièce de théâtre Les Aveugles de Maeterlinck. En 1890, il envoie au Salon de Bruxelles le Portrait de Monsieur Léon Lebon ainsi que le carton de la composition Le Cycle passionnel – Divine Comédie (9). Enfin, en 1891, il expose le Portrait noir et violet – M. R. N. au Salon triennal d'Anvers (10). Par la suite, les participations de Delville aux Salons s'espacent. En 1895, il envoie au Salon de Gand Les Trésors de Sathan et Orphée (11) et en 1898, au Salon d'Anvers, il expose L’École de Platon, qui est mentionné dans le catalogue comme un essai de fresque (12).

Pour l'art, affiche pour la première exposition à Bruxelles, du 12 novembre au 4 décembre 1892, lithographie en couleur, 122 x 98,2 cm. Anvers, Letterenhuis (inv. AV38.5.10.128).
Photo LetterenhuisFermer
Pour l'art, affiche pour la première exposition à Bruxelles, du 12 novembre au 4 décembre 1892. Anvers, Letterenhuis.

Il est significatif qu'au début de sa carrière, Jean Delville participe annuellement aux Salons triennaux avec des envois qui ne reflètent pas les toiles d'inspiration plutôt réaliste et sociale qu'il expose à l'Essor ; puisqu'il y montre une lithographie symboliste d'inspiration littéraire, deux portraits, et son grand projet du Cycle passionnel. Il semble qu'à partir de 1892, Delville se contente d'exposer aux Salons de Pour l'Art, ainsi qu'aux Salons de la Rose+Croix organisés à Paris par Joséphin Péladan (13) . L'absence de Delville aux Salons triennaux ces années-là renforce l'idée qu'il avait de fonder un projet cohérent autour des Salons Pour l'Art. 1895 et 1898 sont deux autres dates charnières dans la carrière de Delville, puisque 1895 correspond à l'année du dernier Salon Pour l'Art à laquelle Delville participe et 1898 à l'année du dernier Salon d'Art idéaliste. Il semble donc que Delville ait, dans un premier temps et parallèlement aux Salons de l'Essor, cherché sa voie dans les circuits officiels, avant de mettre en place sa propre tribune et de tenter de construire un projet cohérent autour de celle-ci. Le parcours de Delville est inverse à celui de certains de ses confrères au sein de L'Essor qui, à la suite de la dissolution du groupe, renonceront à s'affilier à un nouveau groupe et se tourneront vers les manifestations officielles. C'est notamment le cas de Léon Frédéric et d'Auguste Levêque, qui remporteront de francs succès au Salon triennal de Bruxelles en 1893 (14) .

La Scission de L'Essor

A l'occasion de la dernière exposition de l'Essor, Edgar Baes signale les graves divergences qui opposent le « clan jeune » et les « anciens », précisant toutefois que celles-ci se sont résolues avant l'ouverture de l'exposition, qui contentent de manière égale les deux clans (15). De fait, alors que la dernière exposition de L'Essor a lieu du 14 mars au 13 avril 1891, la scission n'est annoncée dans la Fédération artistique que le 31 janvier 1892 selon la même rhétorique du conflit de générations : l'élément jeune et novateur se sépare de l'ancien noyau (16). Dans la Chronique du 29 février 1892, il est annoncé que les membres restant de L'Essor ont décidé de ne pas organiser d'exposition cette année-là (17). C'est ce qui aboutit probablement à la dissolution effective du groupe.

Dans son Curriculum vitae, écrit en 1944, Delville revient sur la scission de l'Essor en ces termes : Pour l'Art était une scission de l'Essor, que je provoquais avec d'autres face au bourgeoisisme croissant de ce milieu, Julien Dillens ayant déclaré son hostilité pour toute tendance à l'idéalisme et au symbolisme. [...] C'est donc aux Salons de « Pour l'Art » qu'en réalité je pus commencer à donner libre cours à ma tendance vers un idéalisme et un symbolisme pictural.

Victor Rousseau (1865-1954), Le Baiser, 1892, bronze, 16,5 x 12 x 10,5 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. GC 093).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Victor Rousseau (1865-1954), Le Baiser. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.

Pierre Braecke, Albert Ciamberlani, Omer Coppens, Léon Dardenne, les frères José et Omer Dierickx, Emile Fabry, Georges Fifechet, Adolphe Hamesse, Alexandre Hannotiau, Jean Herain, Léon Jacques, William Jelley, Antoine et Clémence Lacroix, Amédée Lynen, Victor Rousseau, Hector Thys et Richard Viandier sont les artistes de L'Essor que Delville entraîne avec lui dans cette scission. Excepté Albert Ciamberlani et Émile Fabry, tous sont membres fondateurs de Pour l'Art en février 1892. A notre connaissance, il n'existe pas de trace de la dispute que Jean Delville mentionne avec Julien Dillens. Il convient en outre de souligner que celui-ci rejoindra Delville aux Salons d'art idéaliste à partir de 1896, dont l'hermétisme et la doctrine exclusive rebuteront beaucoup d'autres artistes, parmi lesquels Émile Fabry, qui a pourtant exposé à Pour l'Art.

Pour l'Art

La première exposition de Pour l'Art s'ouvre le 15 novembre. Outre les membres fondateurs de l'Essor, on retrouve des artistes issus du premier Salon de la Rose+Croix : les Français Maurice Chabas, Louis Chalon et Alexandre Séon, les Suisses Auguste de Nierderhausern, Carlos Schwabe et Albert Trachsel ainsi que deux peintres de la colonie de Pont-Aven, Charles Filiger et Jan Verkade. Il convient aussi de citer la présence remarquable de deux grands noms du symbolisme, à savoir Félicien Rops et Auguste Rodin, qui avait initialement refusé, mais qui est présent par l'intermédiaire d'une pièce prêtée par un tiers. Hormis ces deux artistes, les grands représentants du symbolisme annoncés dans la revue Le Mouvement littéraire – Pierre Puvis de Chavanne, Gustave Moreau, James Whistler, Edouard Burne-Jones et Franz von Lembach – sont absents. La participation de Rops est révélatrice, puisque celui-ci, bien que proche de Péladan dans un premier temps, se détache ensuite de lui et refusera toujours d'exposer aux Salons Rose+Croix, probablement rebuté par l'hermétisme et le dogmatisme catholique de Péladan (18). Elle semble révéler que, dans un premier temps, les deux initiatives ne sont pas assimilables.

L'annonce de la constitution du groupe et de la première exposition dans Le Mouvement littéraire ne va pas de pair avec la formulation d'un programme esthétique. L'objectif du groupe est posé en ces termes : [il] compte, par ses hautes tendances, le choix attentif et sévère des œuvres et des invités, s'ériger en une si splendide éclosion d'Art, qu'on tienne à honneur de venir à elle de partout et que l'acceptation d'une œuvre, d'un artiste, soit pour les deux désormais une hautaine consécration (19).

Sous prétexte de faire un pas en avant « Pour l'Art », l'idée de promouvoir un « art élevé et intellectuel » (20) est déjà de mise. Cette conception très élitiste de l'art et du rôle de l'artiste est inspirée par Joséphin Péladan, selon lequel l'Artiste est à la fois prêtre, roi et mage (21). Toutefois, cette vision intellectuelle et spirituelle de l'art ne s'accompagne pas de la définition d'un style exclusif ou de la préséance de certains genres picturaux, comme ce sera le cas au sein des Salons d'Art idéaliste.

Jean Hérain (1853-1924), L'Agriculture, 1892, marbre, 152 x 146 x 93,5 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 3255 A).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Jean Hérain (1853-1924), L'Agriculture. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.
Omer Coppens (1864-1926), A vêpres, 1899, huile sur toile, 92,5 x 153 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 3860).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Omer Coppens (1864-1926), A vêpres. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.
Albert Ciamberlani (1864-1956), Ophélie, [avant 1900], huile sur toile, 40,5 x 65,5 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts (inv. 7961).
Photo Musées royaux des Beaux-ArtsFermer
Albert Ciamberlani (1864-1956), Ophélie. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts.

En réalité, c'est encore l’éclectisme qui domine l'exposition. Albert Ciamberlani, Jean Delville, Emile Fabry, Alexandre Hannotiau, Léon Jacques forment le noyau des artistes belges de Pour l'Art qui participent aux Salons de la Rose+Croix. Excepté Hannotiau, ils sont également ceux dont l’œuvre prend une orientation le plus distinctement symboliste avec les Salons Pour l'Art. A ces noms, on peut ajouter celui du sculpteur Victor Rousseau, qui se distingue des sculpteurs plus classiques Pierre Braecke et Jean Hérain. En ce qui concerne les autres exposants belges, ce sont les peintres de paysages qui dominent. Omer Coppens est celui qui semble le plus distinctement intégrer une composante symboliste à sa peinture de paysage avec des œuvres telles que Brouillard de nuit et Nuit lunaire. Léon Dardenne, Omer Dierickx, Alphonse Hamesse et Alexandre Hannotiau, Antoine Lacroix et Amédée Lynen souscrivent quant à eux à la pratique du nocturne. Cela ne représente toutefois pas la majorité de leurs envois. Georges Fifechet, William Jelley, Clémence Lacroix et Richard Viandier exposent quant à eux des scènes et des paysages anecdotiques dont l'esthétique est réaliste, voire impressionniste (22). Ainsi, s'il faut nuancer la scission entre réalistes et symbolistes comme ce qui aboutit à la fondation de Pour l'Art et à la naissance de l'idéalisme, il convient tout de même de remarquer que l'exposition parvient à afficher une cohérence qui restera inégalée, grâce au nombre restreint d'exposants, aux œuvres de Rops et aux envois étrangers, ainsi qu'à la pratique de la nocturne à laquelle souscriront de manière assez exceptionnelle les peintres du cercle se situant plutôt dans la tradition réaliste.

Le secrétariat du groupe est confié à Raymond Nyst. Ce choix est stratégique, puisqu'en 1891, suite à la réception de La Création du Diable, Péladan a nommé ce dernier Consul de la Rose+Croix belge (23). A l'occasion d'une cérémonie organisée le 17 novembre 1892, Joséphin Péladan accorde une charte à Pour l'Art et fait de ce cercle « une collégiale belge de la Rose+Croix ». C'est au cours de la même soirée que Jean Delville demande officiellement à Nyst de devenir le secrétaire du groupe (24). Ce double événement cristallise l'orientation symboliste que Delville et Nyst entendent donner à Pour l'Art. Celle-ci sera structurée au sein de la revue Le Mouvement littéraire, dirigée par Nyst, qui deviendra la tribune du groupe (25). Toutefois, il est important de souligner que ces événements se produisent alors que la première exposition est déjà ouverte.

Le premier Salon Pour l'Art est plutôt bien accueilli. Le critique de L'Art moderne salue les artistes qu'il considère comme au centre de cette initiative, à savoir Delville, Rousseau, Thys, Jacque et Fabry, « promoteurs d'un art de pensée et de rêve, d'un art "littéraire" » (26), en délaissant volontairement dans sa critique « ceux qui forment l'appoint nécessaire pour compléter les cadres, qui tâchent laborieusement dans les sillons tracés et dont l’œuvre honorable n'apportent point de sensation nouvelle », catégorie dans laquelle le critique range entre autres Hamesse, Dierickx, Lynen, Viandier, Lacroix et Hérain. Du salon ressort « une impression un peu cahotante, inharmonique, qu'échauffent la fougue juvénile et l'enthousiasme ». Toutefois, le Salon est articulé autour de la peinture littéraire, qui forme sa caractéristique. L'Art moderne rend également compte de la conférence de Péladan, organisée le 17 novembre, dont l'esthétique « paraît d'ailleurs en contradiction flagrante avec l'esprit qui a présidé à la sélection des artistes composant le cercle ». Le code rigoureux et la hiérarchie des genres promus par Péladan contrastent avec la jeunesse et la liberté qui émanent des toiles : « L’Évangile de M. Péladan n'est assurément pas celui des artistes rangés sous la bannière de Pour l'Art, et le dogme qu'il proclame, s'il était adopté, rétrécirait singulièrement leur horizon » (27).

Dès 1894, le secrétariat de Pour l'Art est confié à Omer Coppens (28). Bien que sensible au symbolisme qu'il applique à sa propre peinture de paysage, et proche de Jean Delville dont il possède plusieurs oeuvres, Omer Coppens ne fait pas partie des ardents défenseurs de la doctrine du Sâr Péladan. Lors de l'exposition Pour l'Art de 1894, l'accent est mis sur les arts décoratifs et appliqués, avec une participation importante des représentants de l’École de Nancy, comme Emile Gallé. La participation d'Edme Couty, Edmond Aman-Jean, Henri Ottevaere ainsi que du Baron Arild de Rozenkrantz et du sculpteur Ville Vallgren ne comblent pas les défections des autres artistes Rose+Croix qui avaient pris part à l'exposition de 1892. L'année 1895 marque la dernière participation de Delville aux Salons Pour l'Art. En 1896, le peintre ouvre son premier Salon d'art idéaliste. La revue L'Art idéaliste, qu'il fonde dans la foulée, lui fournit la tribune pour régler publiquement ses comptes avec le groupe de Pour l'Art. Un certain « J. Varkan » y écrit, en 1898, à propos des idéalistes à l'exposition Pour l'Art, il n'y en a que deux : Albert Ciamberlani et Victor Rousseau. Ce sont eux qui soutiennent encore l'intérêt déclinant de ce cercle de "jeunes" qui s'enlise dans une tendance éclectique [...] Ce sont, en effet, les mêmes et sempiternels paysages plus ou moins impressionnistes comme ceux de Dardenne et de Coppens, les petits intérieurs ou les brugeoiseries coutumières de Hannotiaux [sic], les portraits inévitables de M. un tel ou Mme une telle, enfin, tous les habituels produits du talent facile, sans élévation aucune, sans recherche sérieuse (29).

Les Salons d'art idéalistes, quant à eux, seront revendiqués, « analogues, si pas identiques, aux Salons de la Rose+Croix créés à Paris par le Sâr Joséphin Péladan » (30). Delville, tout en se distanciant quelque peu de Péladan, adoptera des principes esthétiques semblables à ceux qui régissent les Salons Rose+Croix : la peinture d'histoire (sauf si elle est synthétique), la peinture militaire, la représentation de la vie quotidienne, le portrait, le paysage, la peinture animalière, l'orientalisme et les natures mortes sont rigoureusement bannies. Albert Ciamberlani, Omer Dierickx, Isidore De Rudder et sa femme et Victor Rousseau sont les seuls artistes belges des trois premières expositions Pour l'Art qui le suivront au sein du premier Salon d'art idéaliste.

Notes

NuméroNote
1Voir : L'Essor. Règlement et liste des membres, Bruxelles, Imprimerie E. Lambert – Stevelinck, 1883.
2Voir : Denis Laoureux, « Jean Delville dans la genèse du symbolisme (1887 - 1892) », in Denis Laoureux (dir.), Jean Delville (1867-1953). Maître de l'idéal, Namur, Musée Félicien Rops, 25 janvier – 4 mai 2014, p. 46.
3Pour un compte-rendu détaillé des œuvres de Delville exposées à l'Essor, voir : Ibid., pp. 40-62.
4Edgar Baes, « L'Exposition de l'Essor. Bruxelles », in La Revue belge, Bruxelles, n°51, 01.06.1892, p. 30.
5Anonyme, « Le Salon de l'Essor », in L'Art moderne, Bruxelles, n°13, 29.03.1891, p. 100.
6Grégoire Le Roy, « Chronique artistique. L'Exposition de l'Essor », in La Jeune Belgique, Bruxelles, n°5, 05.1891, p. 221.
7Edgar Baes, « Le Salon de L'Essor », in La Revue belge, Bruxelles, n°71, 01.04.1891, p. 210.