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Sculpture - Epoque contemporaine - Belgique - Histoire de l'art Catherine Leclercq Jacques de Lalaing Quelques exemples de statuaires dans l’espace public
Amateur
Reporticle : 20 Version : 1 Rédaction : 15/04/2012 Publication : 23/04/2012

L’homme et l’artiste

Biographie

Jacques de Lalaing
Photo archives privéesFermer
Jacques de Lalaing

Jacques de Lalaing naît à Londres le 4 novembre 1858 et meurt à Bruxelles le 10 octobre 1917. Il est issu d’une famille aristocratique dont l’origine remonte au XVe siècle. Cadet de marine sur le navire-école Britannica, il interrompt son apprentissage pour entrer dans l’atelier de Jean-François Portaels (1875). Il fréquente aussi Louis Gallait et Alfred Cluysenaar. L’art désormais fait partie intégrante de sa vie. Il trouve en Thomas Vinçotte son maître en sculpture. Peintre puis sculpteur, ensuite simultanément les deux, il se révèle un infatigable travailleur, un producteur fécond et un créateur méditatif qui considère son art comme asservi à un idéal élevé. Cette double qualité et son talent font qu’il est nommé membre de la Commission directrice des Musées royaux de Peinture et de Sculpture. Il en assume la vice-présidence (1912) puis la présidence (1914). Il est aussi élu membre de la classe des Beaux-Arts de l’Académie royale de Belgique (1896), classe qu’il dirige à deux reprises (en 1904 et en 1913). Sa notoriété le désigne pour participer à de nombreux jurys (le prix de Rome, le jury international de Berne pour le Monument de l’Union postale, le prix du Roi, le Concours Lambermont,…). En tant qu’artiste, il est présent sur la scène culturelle belge et internationale. Il expose ses œuvres dans les salons et galeries à Bruxelles, Paris, Krefeld, Saint-Louis, Berlin ou Venise.

Jacques de Lalaing réalise de nombreux portraits, il exécute des peintures historiques, des scènes de genre, il honore des commandes officielles, produit des monuments publics, des groupes décoratifs, plusieurs fontaines,…

Jacques de Lalaing, Artiste & Homme du monde

Année après année, il travaille avec une régularité exemplaire. Il ne se passe pas un jour sans qu’il n’aille à l’atelier pour esquisser, dessiner, peindre ou modeler. Il mène de front son travail d’artiste sans le moindre dilettantisme et une vie sociale souvent et mondaine bien remplie. La Première Guerre mondiale et la maladie n’interrompent pas son abondante production. A aucun moment il n’est question de démission. Ni devant l’occupant, ni face au mal qui le ronge. Au contraire, il mobilise toutes ses forces pour continuer à travailler, l’art reste jusqu’au bout l’expérience à tenter.

L’homme du monde

Jacques de Lalaing prêt à participer à un bal costumé
Photo Louvois, archives privéesFermer
Jacques de Lalaing prêt à participer à un bal costumé

Jacques de Lalaing tient son rang. Il a une vie mondaine brillante. Il croise régulièrement à Bruxelles, Ostende, Laeken ou Spa, les membres de la famille royale. Il ne dédaigne pas de se plonger dans une certaine frivolité. Sa vie au sein de la haute société, séparée de son activité créatrice, ne débute qu’au milieu de l’après-midi (si toutefois, ce qui arrive fréquemment, un impératif ne l’oblige pas à rester à l’atelier). Il retrouve avec plaisir ses pairs, des gens policés pour qui il n’est pas imaginable de dévoiler des sentiments. Cette grande réserve plaît à l’artiste pétri de droiture, de culture et d’esprit et dont l’élégance morale n’est jamais prise en défaut. Il dîne souvent au palais de Laeken, il participe aux bals de la cour, il fréquente les Caraman Chimay, Grunne, Ligne, Mérode, d’Ursel, d’Arenberg, d’Hooghvorst, Limburg-Stirum, Spoelberch,… De réceptions en cocktails, de bals en dîners, Jacques de Lalaing se mêle, avec assiduité et un plaisir certain, à la vie mondaine de son temps.

L’homme de cœur

Christine du Tour van Bellinchave, 1906, huile sur toile, 151x101cm, coll. privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Christine du Tour van Bellinchave, 1906, huile sur toile, 151x101cm, coll. privée

Il considère comme fondamentale les relations humaines. Il maintient sa conscience ouverte sur le monde. Sa famille d’abord est l’objet de continuelles préoccupations. Très attentif au bien-être de sa maman, il s’inquiète pour elle, est soucieux de son confort et l’entoure de sa protection. Proche de Christine du Tour van Bellinchave, l’épouse de son frère aîné Charles, il est à l’écoute de son mal-être. Lorsqu’il apprend que l’un de ses frères souffre de tuberculose, il ne ménage pas ses efforts pour qu’il puisse bénéficier des meilleurs traitements. Il agit exactement de la même manière pour deux de ses modèles, Emilie et Germaine Thomas. C’est avec le même empressement qu’il s’occupe de la santé de Nel Wouters, qui pose aussi pour lui, qu’il fait soigner par son médecin personnel. Quand Marie Van Wymeersch, autre modèle de l’artiste, subit des violences conjugales, il l’aide à fuir le pays et lui donne les moyens de s’installer à Bâle où elle travaille comme modiste.

La guerre 1914-1918 le révolte. Il opte d’emblée pour un engagement moral sans concession. L’emprisonnement, la faim, les atrocités l’indignent et attisent sa colère. Il est bouleversé par le récit des horreurs que lui narrent les rescapés de Verdun. Au début de l’année 1917, en tant que président de la Commission directrice des Musées de Peinture et de Sculpture, il s’engage personnellement et lutte contre la flamandisation des institutions belges. Il s’oppose à un état de choses qu’il juge intolérable parce que c’est son devoir d’homme. Jacques de Lalaing est unanimement apprécié ainsi que le souligne Paul Lambotte : « J’ai entendu discuter le peintre, le sculpteur, je n’ai jamais entendu discuter l’homme » (1) .

L’homme de culture

Jacques de Lalaing, court les Salons, véritables institutions dédiées à la musique, à la lecture, à la poésie. Fin lettré et homme cultivé précédé d’une excellente réputation de peintre et de sculpteur, sa présence est recherchée et il est très sollicité. Il est souvent présent chez Mesdames de Sousberghe, Brugmann, Benard, Dolez, Wieniawska, Errera, van Bruyssel, de Spoelberch, Gilson de Rouvreux,…

Sa culture musicale est classique ce qui n’empêche pas la musique d’être un tremplin vers l’imaginaire. Les émotions et l’expressivité entraînent l’artiste dans un espace de plaisir. Il fréquente assidument La Grande Harmonie, l’Alhambra, le Conservatoire, la Monnaie ainsi que Le Cercle Artistique et Littéraire, dont il est membre. Ses goûts le portent vers Mozart, Beethoven, Bach, Haendel, Ysaye.

Cécile Gilson de Rouvreux, 1910, pastel, 71x55cm, coll. privée
Photo Marie TimmermansFermer
Cécile Gilson de Rouvreux, 1910, pastel, 71x55cm, coll. privée

La danse l’intéresse et il va applaudir Isadora Duncan. Il écrit dans son journal, en date du 10 avril 1905 : « …nous voyons Mlle Isadora Duncan danser Iphigénie de Gluck. C’était adorable de simplicité plastique et de belle joie païenne. Public d’artistes, salle bondée ».

Il goûte aussi à toutes les formes théâtrales et lorsqu’il séjourne à Paris, il se rend régulièrement à l’Opéra, au Théâtre Antoine ou à la Comédie française pour voir et entendre la star du moment : Sarah Bernhardt.

Jacques de Lalaing est aussi un homme de son temps. Le cinéma le fascine, il assiste à la projection de documentaires comme par exemple « La chasse au léopard », « Le dressage de chevaux sauvages », « Les inondations de Paris » ou de fictions « Les misérables » avec dans le rôle principal, Henri Krauss.

Insatiable « regardeur », il hante les galeries et les lieux d’exposition. Son style s’inscrit dans la tradition et il ne veut pas vraiment s’ouvrir à des perspectives nouvelles. A l’écart des recherches modernistes, il exprime des jugements esthétiques parfois tranchés. « Il ne transige pas » écrit Paul Lambotte et « il est mort sans avoir admis que trois pommes peintes par Cézanne puissent constituer un chef-d’œuvre, à quelque point de vue que l’on voulût se placer » (2). Il se rend très régulièrement aux Tuileries, au Grand Palais, au Louvre, au salon de Paris, à la Libre Esthétique, au salon de Gand, au Sillon, à la Galerie Giroux,… Le 28 février 1904, l’artiste note ce commentaire après sa visite à la Libre esthétique : « …sont réunis des Manet (portrait d’Antonin Proust), des Claude Monet, des Renoir puis la file des Seurat, Signac, d’Espagnat, Lautrec etc avec des Degas. A part les premiers Monet tout le Salon m’a fait un effet d’anarchie de Mardi Gras – folie décadente ».

L’artiste

Jacques de Lalaing, Artiste et homme du monde

Sa sensibilité le pousse à œuvrer dans le respect des formes et des conventions traditionnelles à travers un métier incontestable et parfaitement maîtrisé. Son activité artistique est liée à la préexistence d’un idéal sur lequel il ne reviendra pas. Possédé par un élan créateur insatiable, il produit avec une régularité exemplaire. Ce travail quotidien, opiniâtre, souligne les interrogations d’un artiste pour qui la création est une recherche inlassable d’une expression maîtrisée, une permanente investigation du sens et une remise en question journalière. Constamment, il pose la question du « quoi » et du « comment ». Il vient d’entrer dans l’atelier de Jean-François Portaels lorsqu’il réalise les portraits de ses frères Philippe, Antoine et Max. L’art du portrait qu’il pratique avec une certaine dextérité, mais parfois avec un inégal bonheur, s’enracine dans la tradition du portrait mondain qui remonte à Alfred Stevens. La perfection du rendu et le charme de Christine du Tour van Bellinchave (l’épouse de son frère aîné Charles) en fournissent la preuve.

Dès le début, Jacques de Lalaing affectionne les grands formats, mélange les techniques et diversifie les sujets. Il peint des paysages (Après l’inondation), des scènes mythologiques (Combat de Centaures, Hamadryades), historiques (Courrier intercepté) ou allégorique (Le fer et l’or), des scènes de genre –intimes (Enfant au bain), légères ou orientalisantes (Sans titre).

Il expose à Bruxelles, Paris ou Vienne et le succès est au rendez-vous. Les commandes officielles arrivent (l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, la questure du sénat,…) et la critique reconnaît aux œuvres peintes par l’artiste un souffle épique indéniable, une sobriété dans le traitement des sujets et met en exergue les qualités sculpturales des peintures et le peu de plaisir qu’il éprouve à organiser les tons sur la toile.

Peintre puis sculpteur, ensuite simultanément les deux, Jacques de Lalaing est sans doute plus talentueux sculpteur que peintre. Il a vaincu tous les obstacles techniques et est allé au bout de sa passion, au bout de son rêve. Il façonne un visage, maîtrise le poids de la terre, dompte la matière. Qu’il réalise une effigie, qu’il imagine une allégorie ou un fauve aux aguets, il construit dans l’espace et toujours dans le vif du sujet. Il participe au développement de la statuaire dans l’espace public.

La statuaire dans l’espace public

La statuaire publique fonde une formidable médiation esthétique capable de prêter forme à des thèmes moraux (la Justice), à des processus émotionnels (Monument pour les officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo), aux panthéons nationaux (Léopold Ier, Josse Goffin, père Ferdinand Verbiest, Jules de Burlet), aux allégories (l’Elément barbare, la société organisée et la civilisation ornée) ou à la création pure (Le mât tigres ou mât électrique, La lutte équestre).

Monument pour les officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo, 1890, bronze, Cimetière de Bruxelles, Evere
Photo Marie TimmermansFermer
Monument pour les officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo, 1890, bronze, Cimetière de Bruxelles, Evere

Dès la fin des années 1880, Jacques de Lalaing étudie la thématique du monument aux morts. Il remporte en effet le concours organisé par l’Angleterre pour le Monument aux officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo  (3), dont l’inauguration, par le duc de Cambridge a lieu le 26 août 1890. La symbolique affichée dans cette œuvre fait la part belle aux fauves, un des sujets de prédilection de l’artiste. L’unité du monument passe par les lions. Le courage, la vaillance, l’honneur et la puissance sont représentés par les grands carnivores tandis que la figure féminine exprime la fragilité, la vulnérabilité, la souffrance. D’emblée, sa réalisation est unanimement appréciée : « Un monument tout à fait neuf et original, très suggestif et impressionnant, d’une conception très simple et ne rappelant en rien aucune œuvre existante… Un soubassement très large et très bas supporte un immense cercueil adossé à un massif –sorte de pan de muraille en ruine- sur lequel, appuyée à un bouclier, une figure, symbole de l’Angleterre, pleure. Trois lions se traînent en hurlant de douleur autour du sarcophage qui est couvert, ainsi que le soubassement, de casques, de sabres, d’armes de toutes sortes, de harnachements et de drapeaux ; un vaste linceul tombe du massif et roule jusqu’au sol en enveloppant, dans ses plis, le cercueil et les armes… La conception de chacune des parties de l’œuvre est à la hauteur de celle de l’ensemble. La personnification de l’Angleterre est d’une vérité, d’un réalisme qui lui donne une grande originalité…Les lions sont superbes de mouvement et l’artiste qui, du reste, a déjà prouvé qu’il connaît les fauves, leur a fait exprimer autant qu’on aurait pu le faire à l’homme. L’un d’eux surtout frottant son mufle contre le cercueil, exprime une douleur poignante… Le linceul est d’une coulée magnifique ; il jette par ses ruissellements d’une richesse étonnante, de la vie sur tout l’amoncellement de débris » (4). Jacques de Lalaing réalise un caveau particulier par son caractère héroïque et impressionnant par son gigantisme. Très libre dans son propos, le sculpteur développe une esthétique classique mélangée à des éléments organiques baroques.

Monument pour les officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo, détail
Photo d’époque, archives privéesFermer
Monument pour les officiers, sous-officiers et soldats britanniques morts à Waterloo, détail
Josse Goffin, 1887-1888, bronze, Clabecq
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Josse Goffin, 1887-1888, bronze, Clabecq

« En 1830, on ne trouvait à Bruxelles aucun monument en hommage à un personnage illustre, si ce n’est celui au « plus ancien bourgeois » de la ville : Manneken-Pis… Un monument, une statue érigés dans la rue (espace commun d’un peuple) étaient chargés de toutes les valeurs qui font une nation. De ces sculptures émanaient une valeur exemplaire, une puissance symbolique, liées aux idéaux le plus élevés. Chacune était un hommage à un être d’exception, la reconnaissance d’un concept suprême » (5).

Le panthéon des héros nationaux s’étoffe rapidement. Et Jacques de Lalaing y contribue. D’Ostende à Nivelles, en passant par Bruxelles, Pittem et Clabecq, il sculpte l’effigie d’hommes qui ont marqué le pays de leur empreinte.

Il commence par célébrer l’un des grands capitaines d’industrie du XIXe siècle, Josse Goffin. Edifiée par souscription publique, la statue est inaugurée, sur la place de Clabecq, le 30 septembre 1888. Un an plus tard, une brochure relatant la manifestation est publiée. Ce document détaille la cérémonie et insiste sur l’origine ancienne des forges (un octroi délivré sous le règne de Marie-Thérèse). L’histoire de la « dynastie Goffin » (6) y est esquissée et l’accent est mis sur l’action de Josse Goffin : « Il fut donné à M. Josse Goffin d’agrandir le terrain des Usines par l’acquisition de parcelles avoisinantes ; un détournement de la rivière a doublé nos cours, facilitant ainsi nos manœuvres à l’intérieur et le classement des produits dans les chargements pour l’extérieur. M. Goffin construisit un grand nombre de maisons ouvrières, un train à tôles fines, renouvela presque entièrement les machines et le matériel des trains à fers, le plus complet et le mieux outillé qu’il y a en Belgique ». Le monument plaît et est considérée comme très réussi : « M. Goffin est représenté dans la pose très naturelle qu’il prenait habituellement, s’appuyant de la main droite sur sa canne, le paletot entr’ouvert. M. Goffin regarde devant lui, la figure éclairée d’une grande bonté naturelle et très pénétrante d’observation » (7).

Jules de Burlet, 1898-1899, bronze, Square Gabrielle Petit, Nivelles
Photo Alexandre, archives privéesFermer
Jules de Burlet, 1898-1899, bronze, Square Gabrielle Petit, Nivelles

Jules de Burlet (10 avril 1844 – 1er mars 1897) a une vie politique bien remplie. Il est bourgmestre de Nivelles, ministre d’Etat, président du Conseil et ministre plénipotentiaire à Lisbonne. Il est aussi avocat. Dans un esprit classique, Jacques de Lalaing met en exergue son métier (avocat) qu’il traduit par la figure d’un orateur qui incarne l’éloquence tandis que ses fonctions de député et de sénateur sont exprimées dans un haut-relief représentant un guerrier de l’antiquité (symbolisant la combativité). Octave Maus évoque le monument en ces termes : « Ces deux sculptures évoquent l’idée de la Vie et de la Mort. Elles prêtent l’une et l’autre à l’ensemble du monument une grandeur qui le hausse au-dessus de la banalité des allégories usuelles. Elles lui confèrent un accent à la fois funèbre et triomphal en harmonie avec sa destination. Le sommet de l’œuvre est occupé par le buste de Jules de Burlet, modelé par M. de Lalaing d’après celui qu’il exécuta du vivant du ministre qui orne le Palais de la Nation. Un poêle, retombant en plis harmonieux, relie l’effigie aux reliefs, par un dispositif ingénieux qui rompt l’inflexibilité des angles et unifie les diverses parties de la composition. Celle-ci a belle allure par son ordonnance classique. L’athlète paraît surtout avoir été choisi pour offrir à l’artiste l’occasion de sculpter un morceau de nu, seule excuse plausible de cette résurrection, dans un monument moderne, des simulacres les plus académiques. Il n’était rien moins que « pompier » ce ministre up to date… Aussi se demande-t-on ce que le trop classique symbole du héros casqué, armé d’un glaive antique, a de commun avec l’homme d’Etat… Et puis, telle a été la fantaisie du sculpteur ! Et cette raison en vaut bien une autre. L’essentiel dans les œuvres d’art, c’est de les réussir. Et certes, à cet égard, le monument Jules de Burlet prendra-t-il place parmi les meilleures productions de M. de Lalaing. A défaut de vie et de passion, le statuaire a une aristocratie intellectuelle qui donne à ses œuvres, même pour ceux que rebute son exécution un peu sèche, une réelle séduction… M. de Lalaing a trouvé, semble-t-il, après quelques hésitations, sa voie définitive. Son éducation, la culture de son esprit, l’orientation de ses goûts le portent vers l’expression de la beauté antique qu’il réalise avec le souci du geste éloquent de l’attitude parlante » (8). Le sculpteur travaille assidument au monument, de février 1898 à mai 1899, et prend le temps de réaliser les derniers ajustements. Il note dans son journal, le 29 mai 1899 : « A la fonderie pour le Guerrier à qui je suis amené à supprimer un cimier et un pommeau de sabre trop important. Je termine à 3h1/2. Petermann a une crise de son vieux mal –la pierre -».

L’érection du monument réserve quelques difficultés, l’artiste écrit : « Appelé à Nivelles 7h, fais route avec Petermann. Il y a du tirage. Le socle du buste est boiteux. A l’aide de deux tailleurs de pierre très intelligents je fais retailler deux côtés du socle. Soleil de plomb – dure journée d’essais et d’incertitude. A midi vais déjeuner chez Theys, dînatoirement. Comme ça vit ces wallons. Sa fille la mercière vient prendre le dessert. Elle me demande un dessin comme souvenir. Chaleur énorme, travaillons jusqu’à la nuit –au socle et à river les doks du haut-relief. A 7h1/2 l’estrade est occupée par 150 jeunes filles et femmes. Wautcamp arrive diriger la répétition de la cantate. L’obscurité se fait. On allume les torches. Scène pittoresque, nous, ouvriers du bronze et de la pierre groupés sur le monument pendant la répétition et la reprise. Une belle voix de femme chante le solo de la prière. Mme van der Borght ancien prix du Conservatoire. La cantate est impressionnante, convient au plein air. Simple. Rentre à Bruxelles à 10h dîne en route de deux couques au beurre » (9).

La veille de l’inauguration, l’artiste peaufine encore quelques détails : « Premier train pour Nivelles (Auguste à la gare me remet du plâtre). Je modèle en terre un pli qui doit unir la pierre et le bronze devant le socle. Le petit noir et Sermon le moulent et on le patine. Déjeune chez Theys avec sa fille et un notable –haut en verbe- suis un peu gris et très gai. On vient me chercher pour constater la fin des travaux. On place des fleurs et du gazon autour du monument. Je constate que c’est à 8h et à 3h que les reliefs sont les mieux éclairés au soleil. Je pars en vélo pour Bruxelles par la forêt et Groenendael où je prends le thé. Grande chaleur » (10).

Jules de Burlet, détail –l’Orateur – dans l’atelier de l’artiste, 1898-1899
Photo Louvois, archives privéesFermer
Jules de Burlet, détail –l’Orateur – dans l’atelier de l’artiste, 1898-1899

« Le ministre des Finances Mr de Smet de Naeyer me fait appeler au ministère. Il me demande si j’accepte de faire la statue équestre de Léopold Ier pour Ostende et me met en rapport avec le bourgmestre Mr Pieters – 35 avenue Charles Janssens » (11). Jacques de Lalaing répond positivement à l’offre qui lui est faite et se rend aussitôt à Ostende pour choisir le lieu qui accueillera le monument. Il opte pour le parc Léopold, mais après de nombreuses tergiversations (12) les autorités imposent la place de la Commune. Il se met au travail et inscrit sa réalisation dans la tradition du Gattamelata (1446-1450) de Donatello ou de Bartoloméo Colleoni (1480-1488) de Verrochio. Il recrute un modèle : « Un vieux sec – ancien cuirassier, de l’hospice des Ursulines vient se présenter » ; « Première séance de Pierre Loosen -à cheval- en gendarme nous l’y hissons Pierre et moi. Ensemble ils parlent garnisons anciennes » (13). L’artiste adopte un rythme de travail soutenu et fait aussi appel à un autre de ses modèles, Massaer : « Esquisse équestre continuée avec Massaer en selle » et « Massaer pose à cheval mais descend et s’en va accablé d’influenza » (14). Il mène de front l’élaboration de la statue équestre et la réalisation de deux haut-reliefs, Ostende et La Jeune Belgique. La statue équestre requiert presque l’entièreté de son temps et l’artiste, rigoureux et précis, attache de l’importance à tous les détails : « Travaille esquisse équestre – Vais aux écuries du roi. Place du Trône rencontrer le gen. Bricoux. Reçu par le chef du matériel et le vétérinaire qui me montrent la sellerie avec les harnais de gala et les lourds harnachements anglais, (…). On me met sur sa selle pour ajuster les fontes. Je fais chercher le tout –selle et étriers du vieux roi – Bride et fontes du roi actuel » (15).

Carte postale du monument à Léopold Ier
Photo archives privéesFermer
Carte postale du monument à Léopold Ier

Jacques de Lalaing sculpte sans relâche et apprend abruptement la date de l’inauguration du monument. Il est sommé de se conformer au délai prévu : « Travaille le brabançon. Arrive le bourgmestre d’Ostende avec Liebaert et Fermon. Le roi a désigné le 1er août pour l’inauguration et « sacrénomdetonnerre » si vous n’avez encore jamais entendu tonner faut être prêt. Ils vont ensuite à la fonderie » (16). L’artiste achève la figure équestre, la date fatidique approche et la tension monte. Parce que les chapiteaux du socle ne sont pas prêts, les travaux sont arrêtés et le bourgmestre écrit une lettre alarmée et désespérée au sculpteur. Celui-ci ne ménage pas ses efforts et met un point d’honneur à remplir son contrat : « L’après-midi je travaille Ostende quand entrent Spoelberch, son fils Olivier et Marie Cornet qui viennent voir le pastel de Nanette. J’étais en très petite tenue et les mains sales. Retour à la fonderie pour corriger le « coup de l’étrier ». La statue en 3 sections. Tout le cavalier, torse et tête du cheval – 4 jambes et la queue – la plinthe – tout ça prend le train ce soir pour Ostende » (17).

Pierre Loosen posant dans l’atelier de l’artiste pour la statue de Léopold Ier
Photo Jacques de Lalaing, archives privéesFermer
Pierre Loosen posant dans l’atelier de l’artiste pour la statue de Léopold Ier

Jacques de Lalaing et tous ses collaborateurs travaillent d’arrache-pied. Il se rend sur place pour superviser la construction du socle. Il multiplie les allers-retours Bruxelles/Ostende. Le mardi 30 juillet, on scelle la statue et on achève la patine. Le monument est inauguré le 5 août…mais il manque les deux haut-reliefs ! Sitôt les festivités clôturées, l’artiste se remet au travail. La critique salue la réalisation, note que le monument, classique, fait bon effet et ravit les Ostendais dont les places publiques étaient jusqu’ici « vierges de toute effigie en bronze ou en marbre » (18).En juin 1902, le sculpteur met en place Ostende, le deuxième haut-relief, La Jeune Belgique n’est pas prêt. En été 1903, le monument est enfin terminé : « A Ostende. Je constate la fin des travaux. Le monument est complet » (19).

Père Ferdinand Verbiest, 1913, bronze, Pittem
Photo Jean-Jacques HeirweghFermer
Père Ferdinand Verbiest, 1913, bronze, Pittem

Jacques de Lalaing sculpte aussi le monument dédié au père Ferdinand Verbiest (Pittem, 9 octobre 1623-Pékin, 28 janvier 1688) situé à Pittem (20). Homme d’église, missionnaire mais également scientifique de haut niveau, il est directeur de l’Observatoire de Pékin, s’intéresse aux mathématiques et à l’astronomie. Il publie beaucoup et presque toujours en mandarin. L’artiste, dans son œuvre, traduit le double aspect de cette personnalité : crucifix d’une part, livres et globe terrestre d’autre part. Comme pour chaque sculpture, Jacques de Lalaing étudie son sujet de manière approfondie afin de pouvoir le restituer dans sa vraie dimension. Le sculpteur possède d’ailleurs dans sa bibliothèque un texte de H. Bosmans intitulé : « Les écrits chinois de Verbiest », publié en 1913 dans la Revue des Questions Scientifiques. Le monument, inauguré le 10 août 1913, subira malheureusement des détériorations lors du bombardement du 26 mai 1940. Le bronze est perforé à douze endroits différents. Il est restauré en 1988.

Jacques de Lalaing a l’aisance de la création pure. Il sculpte des œuvres pour son plaisir et certaines d’entre elles trouvent une place dans l’espace public. C’est le cas notamment du Mât-Tigres ou Mât électrique et de La lutte équestre.

Mât-tigres, détail, 1887-1910, bronze, Place Colignon, Schaerbeek
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Mât-tigres, détail, 1887-1910, bronze, Place Colignon, Schaerbeek

Le Mât-Tigres se définit comme un objet sculptural en perpétuel chantier et participe indéniablement à l’appréciation de son style. Il remporte un franc succès lorsqu’il expose, à Bruxelles, un groupe en plâtre intitulé « Base de mât électrique ». Nous apprenons que l’artiste envisage d’implanter « ses tigres et ses serpents » dans le cadre prestigieux de la Grand’ Place de Bruxelles : « Monsieur de Lalaing avait proposé ses tigres et serpents, mais le style de cette œuvre ne convenait pas, l’œuvre est d’un caractère trop naturaliste ne rappelant en rien les lignes architecturales du cadre dans lequel elle devait être placée » (21) . D’autre part, l’érection de cette œuvre aurait entraîné des frais trop importants pour le budget communal. La question n’est pas d’actualité. Par contre, le président de la Société Bruxelles-Attractions s’enthousiasme pour la sculpture et relance le débat. Il interpelle le bourgmestre de Bruxelles, et souhaite son implantation à un des carrefours de l’avenue Louise. Par ailleurs, le ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et des Travaux publics propose à l’administration communale de Bruxelles d’acquérir à frais communs la Base du Mât électrique. Mais en 1890, tous les espoirs s’écroulent. Jacques de Lalaing reçoit une lettre du Collège des Bourgmestre et Echevins de Bruxelles lui signifiant ne pas pouvoir donner suite au projet (22). De loin en loin l’idée d’implanter l’œuvre à Bruxelles refait surface. On parle alors de la gare du Midi, de la place de Brouckère. L’artiste connaît des moments de découragements, mais peu importe les déboires qu’il rencontre, inlassablement, il continue à explorer son thème : « Petermann et son équipe amènent le mât (petit groupe tigres) en bronze et le placent à l’atelier » (23)  ; « Acker vient apporter les plans du mât électrique » ; « Vais en vélo chez Petermann voir le dessin grandeur d’exécution qu’il a fait du mât électrique afin d’établir un prix (20.000fr). Acker estime à 9.000 le soubassement » (24).

Les lutteurs, 1884, huile sur toile, 400x500cm, Palais de Justice, Tournai
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Les lutteurs, 1884, huile sur toile, 400x500cm, Palais de Justice, Tournai

Après de longs mois au cours desquels il s’occupe d’autres projets, il revient, encore et encore, avec ténacité, à l’étude des fauves : « Je travaille les tigres aidé du mouleur » (25). L’année suivante, en 1903, lors d’un voyage à Paris, il s’informe des possibilités d’éclairage notamment auprès de la compagnie du gaz et de la compagnie Lacarrière.

La lutte équestre, 1899-1908
Photo d’époque, archives privéesFermer
La lutte équestre, 1899-1908

En 1907, il entreprend une nouvelle version du mât. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne se ménage un long tête-à-tête avec ses fauves. Même souffrant, il n’est pas envisageable d’y déroger : « En fiacre à l’atelier où je travaille les tigres en cagoule –contre l’humidité- très abruti je laisse passer le Te Deum et réception aux Affaires Etrangères » (26). En 1909, le sujet prend une ampleur considérable, de juillet à décembre, il enchaîne le moulage des tigres et les numérote de 1 à 9. Complètement absorbé par son sujet, il n’hésite pas à faire des allers-retours au zoo pour préciser certaines attitudes : « Je vais à 2h1/4 à Anvers au jardin zoologique étudier les fauves » : « Je vais à Anvers revoir les fauves » (27) . A l’affût, déchiquetant une proie, aux prises avec un serpent, les grands fauves le captivent. Jacques de Lalaing situe les tigres dans le mouvement, les muscles bandés, prêts à bondir. Il évacue tous les détails pittoresques et propose une vision simplifiée et synthétique de l’animal. Nous devinons la nervosité et nous sentons le muscle. Le système corporel interne affleure et transmet sa tension au bronze, lui donnant tout son sens. Il se donne sans compter et fait face à des problèmes techniques, notamment « l’effondrement » du tigre n°3. Il songe bientôt à la finition du mât et soigne les détails : « Vélo à Groenendael pour cherche aux étangs de quoi enjunler mes tigres » ; « J’ébauche le départ du mât. Thème bananes » ; « Je travaille la culée du trépied avec Wynincx » (28). 1910, Jacques de Lalaing met un point final à son œuvre. Il est question de l’ériger à Louvain : « Le ministre Descamps et son fils Pierre arrivent à l’atelier pour voir mon groupe de Tigres – dont il est question pour la place du Peuple à Louvain. Ils semblent satisfaits et promettent de convoquer les autorités de Louvain pour les voir » (29). Espoir déçu, une fois de plus. Par contre, elle figure à l’Exposition Universelle de Gand (1913). A la veille de la Première Guerre mondiale, il pressent les complications qu’il affrontera pour placer cette œuvre dans la ville. Lorsqu’il meurt, sa sculpture est toujours orpheline d’un lieu. En 1925, son neveu, Jacques de Lalaing (30), donne l’œuvre à la commune de Saint-Gilles. Celle-ci tergiverse et dit ne pouvoir accepter le don que lorsque la question de la jonction Nord-Midi aura été résolue. Echaudés par la lenteur des négociations, les héritiers de l’artiste proposent le Mât-tigres à la commune de Schaerbeek, qui s’empresse d’accepter et qui, dans la foulée fait procéder à l’évaluation des frais d’érection et d’achèvement. Paul Lambotte, directeur des Beaux-Arts, écrit : « J’ai vu aussi à la fonderie la base du mât électrique que l’on rajuste pour le placer à Schaerbeek. J’ai appris avec joie que tout est enfin bien arrangé aussi pour le placement définitif de cette belle œuvre. C’est un vœu de votre oncle qui se réalise encore. Vous voyez qu’il faut de la patience et de la persévérance, même dans la générosité » (31). Mais Paul Lambotte se trompe. Le placement du Mât-tigres au carrefour des avenues Deschanel, Voltaire et Louis Bertrand est provisoire. La sculpture, abîmée par le temps, est démontée en 1953 et placée dans un entrepôt communal. En 1993, grâce à quelques passionnés, elle sort de l’oubli et de la relégation. Elle est alors érigée place Colignon, devant l’hôtel communal. Mais elle est amputée de toute sa partie supérieure, le couronnement et les lampes. Enfin, en octobre 2006, elle est transférée à son emplacement initial (avenue Louis Bertrand) et le socle, conçu à l’origine par Joseph Diongre, est reconstruit à l’identique. La commune s’est attelée à la restauration complète de l’œuvre, qui est, à l’heure actuelle, dans sa dernière phase. Cette œuvre, éblouissante et singulière est ouverte sur son époque et se laisse guider par l’esprit du temps.

La lutte équestre, 1899-1908, bronze, Square du Bois de la Cambre, Bruxelles
Photo Luc SchrobiltgenFermer
La lutte équestre, 1899-1908, bronze, Square du Bois de la Cambre, Bruxelles

La Lutte équestre est sans conteste l’une des œuvres majeures de l’artiste et certainement la plus remarquable. Le thème apparaît dès 1884, dans un tableau accroché au tribunal de commerce de Tournai. Le projet tridimensionnel prend forme en été 1899, l’artiste y travaille épisodiquement et en 1903, Jacques de Lalaing décide de s’y atteler sérieusement : « Je remets à l’étude les Lutteurs Equestres. Avec petit Charles je scie et remonte les chevaux de l’esquisse déjà ancienne » (32). Un an plus tard, il achève l’esquisse qu’il souhaite porter à grandeur d’exécution. Son atelier ne peut convenir. Il cherche alors un lieu où abriter son travail et loue un local à Jules Herbays. Mais ce dernier pressent le caractère monumental de l’œuvre et interdit à son collègue de poursuivre cette réalisation dans ses installations : « Mon praticien Van Den Berg vient me dire que Herbays voyant le développement probable du groupe équestre refuse de laisser continuer chez lui ce travail par crainte d’effondrement » (33).

Il obtient alors l’autorisation de disposer d’une salle au Cinquantenaire. Il termine la mise au point, dans des conditions parfois difficiles à cause du froid et d’une malheureuse chute : « Je travaille difficultueusement (sic) de la main gauche. Gérard m’aide et pose des jalons sous ma dictée » ; « Je me promène autour de la galerie et dicte des changements à faire que le point de vue insolite me révèle » (34). De temps en temps, il sollicite l’avis de son maître Thomas Vinçotte. Il œuvre toujours avec la plus grande rigueur. Lorsqu’il hésite sur un détail comme l’attache d’un muscle par exemple, il ne tergiverse pas : «Cheval II. Je fais amener à l’atelier le cheval de Maman » (35). Enfin, au début de l’année 1907, l’œuvre est prête pour la fonte. Jacques de Lalaing souhaite pouvoir ériger son groupe au bois de la Cambre ou au rond-point de Tervuren mais une information qui ne lui sied guère lui parvient : « Appelé chez le ministre Descamps. Je m’entends confirmer l’acquisition du Groupe Equestre mais son désir est de favoriser la ville de Louvain en plaçant ce groupe place du peuple. Je combats de mon mieux cette idée. Le ministre demande à réfléchir. Rentré chez moi je me décide après avoir consulté Lambotte à lui offrir mon mât tigres pour Louvain. Et lui écris » (36). L’artiste obtient gain de cause et il est décidé d’implanter l’œuvre à l’entrée du bois de la Cambre, elle ne se découperait pas dans la perspective de l’avenue Louise (puisque placée vers la droite, en retrait) et ne gênerait pas, éventuellement, l’érection du Monument au Travail (37). Le sculpteur consigne avec un certain soulagement dans son journal, en date du jeudi 17 juin 1909 : « Convoqué par la ville je vais rencontrer un chef de travaux et mon architecte Diongre à l’entrée du bois pour la réception officielle du Groupe Equestre ».

Lorsqu’il met cette œuvre en chantier, Jacques de Lalaing a probablement vu les chevaux de Marly sculptés par Guillaume Coustou. Il construit son groupe sur le mode de l’intensité et défie les lois de l’équilibre. Il maîtrise parfaitement sa technique et il insuffle à la Lutte équestre une réelle puissance plastique. Hommes et chevaux sont saisis au paroxysme de l’effort. L’un des chevaux est dressé sur ses pattes postérieures, crinière au vent, naseaux dilatés. Tous deux transpirent la fougue. Les hommes sont présentés dans une nudité héroïque et pourvus d’une musculature d’athlète. Finalement, montures et cavaliers ne font qu’un. Jacques de Lalaing allie sens du détail et vision grandiose. Il réalise une œuvre qui déborde le classicisme au sens strict du terme, il parvient à créer une forme qui occupe l’espace, rapportée à l’essentiel, une sculpture de tous les temps.  

« Jacques de Lalaing positionne son expression, peinture et sculpture, dans un schéma visuel classique qui passe par une incontestable maîtrise du métier.

Il construit son œuvre sur des valeurs établies qu’il revendique. S’il développe un langage conventionnel et académique c’est parce qu’il est sincèrement et totalement convaincu que c’est ce mode particulier de représentation figurative qui répond à sa vision de l’art.

Sa manière de penser l’art s’inscrit dans un cadre conceptuel très précis qu’aucune révolution artistique ne fera éclater.

L’intuition du monde, Jacques de Lalaing la traduit à travers sa formation –classique- son éducation –rigoriste- mais aussi à travers son humanisme capable d’intégrer différentes valeurs spirituelles et morales et de les transcender.

La lutte équestre, 1899-1908, bronze, Square du Bois de la Cambre, Bruxelles
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La lutte équestre, 1899-1908, bronze, Square du Bois de la Cambre, Bruxelles

Autour de lui le monde change, mais, lucidement, Jacques de Lalaing n’accroche pas aux avant-gardes parce que les remises en question qui ébranlent la sphère de l’art ne conviennent pas à son tempérament. L’artiste façonne son œuvre à l’abri des innovations, dans le respect des règles académiques. Il maintient envers et contre tout le lien avec le passé et installe l’ensemble de sa production dans la continuité d’une tradition solidement instituée qu’il ne conteste pas. Avec comme bagage une technique parfaitement maîtrisée, il n’a pas quitté les rives d’un art classique » (38).

Illustrations

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    Notes

    NuméroNote
    1 Paul LAMBOTTE, Le comte Jacques de Lalaing. Peintre et sculpteur. 1858-1917, ed. L’Art Flamand et hollandais, s.l., 1918, p.6.
    2 Op.cit., p.8.